L’audience était décisive pour l’avenir de l’A69, ce jeudi à Toulouse (Haute-Garonne). La cour d’appel du tribunal administratif a entendu les arguments des avocat·es des deux camps dans le dossier de l’autoroute en construction, censée rapprocher Toulouse de Castres (Tarn). L’État et le concessionnaire privé Atosca contestent le jugement d’illégalité du chantier, prononcé le 27 février par la justice. Un jugement qualifié «d’anomalie» par le représentant de l’État, Éric Sacher, et que la cour était appelée à réexaminer.
En première instance, le tribunal administratif avait jugé illégale l’autorisation délivrée au projet en 2023. Saisi·es quelques mois plus tôt par 14 associations et syndicats (France Nature Environnement, Attac, la Confédération paysanne, Les Amis de la Terre…), réunis au sein du collectif La Voie est libre (LVEL), les juges avaient estimé que le projet ne répondait pas à une «raison impérative d’intérêt public majeur». Cette condition est indispensable pour autoriser l’atteinte à «157 spécimens d’espèces animales protégées» présentes sur le tracé.

Jeudi, les mêmes associations, représentées notamment par l’avocate Julie Rover, sont venues défendre la décision rendue en première instance. Pendant plus de trois heures, dans une salle plus que comble, leurs arguments se sont heurtés à ceux des promoteurs du projet, soutenus par le rapporteur public, Frédéric Diard.
Ce magistrat était chargé, en amont de l’audience, d’éclairer les débats après une analyse approfondie du dossier. Mardi, il a livré ses conclusions. Elles se sont montrées très favorables à la poursuite des travaux.
23 à 29 minutes de gain de temps
Premier à s’exprimer, visage fermé, ton égal, Frédéric Diard entame sa prise de parole sans enthousiasme apparent, contraint de défendre ses conclusions face à une salle largement acquise aux opposant·es. Pendant près de quarante minutes, il détaille, une à une, les raisons qui l’ont conduit à considérer que l’A69 répondait bien à une «raison impérative d’intérêt public majeur» qui vaudrait l’annulation du premier jugement.
Ses arguments sont les mêmes que ceux martelés depuis des années par les promoteurs de l’autoroute. Comme le gain de temps «significatif» promis par le nouvel axe routier : le trajet aujourd’hui estimé à 1h12 entre Castres et Toulouse serait réduit d’un tiers, soit de 23 à 29 minutes, selon les estimations. Un bénéfice «loin d’être anodin», souligne-t-il. Il ne manque pas non plus de faire valoir que l’A69 permettrait une amélioration du cadre de vie en éloignant le trafic routier des habitations situées le long de la route nationale RN126 actuelle. Et en renforçant la sécurité grâce à un itinéraire offrant «de meilleures conditions de circulation».
En février, en première instance, les débats s’étaient largement concentrés sur la question du «désenclavement» économique du bassin de Castres-Mazamet. Les juges avaient souligné que ce territoire ne présentait ni décrochage économique ni retard démographique susceptibles de justifier une intervention d’une telle ampleur, contrairement aux affirmations des promoteurs du projet.
Jeudi, le rapporteur public est revenu sur ce point. Après avoir reconnu que le bassin n’était pas à strictement parler «désenclavé», il a plaidé, dans un raisonnement élargi, pour une extension de la notion de «raison impérative d’intérêt public majeur», estimant qu’elle pouvait également s’appliquer à un «territoire en croissance».
«Le mot “impératif” a un sens»
Cette interprétation fait réagir la défense et sert de point de départ à la longue plaidoirie de Julie Rover, avocate des associations et des syndicats. Elle insiste sur le fait que l’exigence d’une raison «impérative» d’intérêt public majeur ne peut être traitée à la légère et ne saurait se réduire à un simple besoin. «Le mot impératif a un sens», martèle-t-elle, rappelant que suivre le raisonnement du rapporteur reviendrait à vider la directive européenne sur la protection stricte des espèces de sa substance.
La salle d’audience, suspendue à ses mots, la laisse poursuivre : «Quel est véritablement le besoin qu’a Castres d’être reliée par une liaison routière rapide ? Ce besoin est-il réel par nature ? Ou repose-t-il sur l’idée préconçue que toute autoroute apporterait de la prospérité économique ? On aurait pu entendre cet argument dans les années 1960, mais aujourd’hui il n’est plus justifié.»

Répondant à un autre argument selon lequel l’autoroute permettrait de mettre Castres sur un pied d’égalité avec d’autres villes déjà reliées à Toulouse, elle ironise : «Castres doit être reliée à Toulouse parce que les autres communes similaires le sont. Mais alors, pourquoi ne pas construire un aéroport à Albi ? Si l’on suit ce raisonnement, allons-y !»
Enjeux environnementaux et études d’impact
La salle rit jaune, et les débats se poursuivent autour d’autres points clés. La défense dénonce l’absence de réelle recherche de solutions alternatives à l’autoroute, un argument contesté par les promoteurs de l’A69.
La méthodologie des études d’impact environnemental est elle aussi scrutée : le rapporteur défend leur rigueur, affirmant qu’«aucune espèce n’avait été omise» et que chaque impact, notamment sur les zones humides, faisait l’objet de mesures de compensation adaptées. Julie Rover riposte et souligne qu’«une longue série d’avis scientifiques, notamment d’experts hydrogéologues de l’OFB», est très sévère sur ce point.

À peine l’audience levée, la salle se précipite pour féliciter Julie Rover et les deux autres avocat·es ayant pris la parole pour défendre la position des anti-A69. «Bravo, ça faisait tellement de bien de vous entendre. Merci pour nous», souffle une jeune femme encore émue des échanges auxquels elle vient d’assister.
Dehors, une foule venue en soutien aux associations requérantes accueille les avocat·es en héro·ines, sous un soleil radieux mais aussi… trompeur. «Nous n’avons absolument aucun espoir», confie Alice Terrasse, une autre avocate du collectif La Voie est libre (LVEL), qui n’a pas plaidé jeudi. Car, rappelle-t-elle, «les juges suivent quasi systématiquement les conclusions du rapporteur».

Elle déplore une décision qui, si elle allait dans le sens d’une annulation du premier jugement, serait très «inquiétante pour la justice». Elle prévient également : en cas de décision défavorable, le collectif La Voie est libre saisira le Conseil d’État. Le délibéré sera rendu le 30 décembre.