Rage against the bassines. Entre les Deux-Sèvres, la Vienne et la Charente-Maritime, des milliers de personnes se sont retrouvées ce weekend pour s’opposer à une agro-industrie toujours plus gourmande en eau, et lui opposer un contre modèle. Vert y était.
«Cette année, nous voulions éviter à tout prix le traumatisme moral et physique de l’année dernière, confie à Vert Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre, un an après les violents affrontements de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. Cette fois, nous nous sommes organisés pour former une stratégie et une communication claire afin d’éviter les confrontations», alors que les deux manifestations du weekend, organisées avec le collectif Bassines non merci (BNM) et Extinction Rébellion, ont été interdites par les préfectures de la Charente-Maritime et de la Vienne. Vendredi à Migné-Auxences, au nord de Poitiers (Vienne), et samedi dans les rues de La Rochelle (Charente-Maritime), des affrontements avec les forces de l’ordre auront fait quatre blessés légers du côté des gendarmes et cinq du côté des manifestants. Au total, sept personnes ont été placées en garde à vue.
Une répression grandissante
Vendredi, devant la paille qui se consume à cause de l’incendie provoqué dans un champ de Migné-Auxances par les bombes lacrymogènes employées par les forces de l’ordre, Pierre, agriculteur retraité des Deux-Sèvres, déplore «une disproportion des moyens engagés par les policiers face à nous». Dans cette scène de désolation, le cortège de 6 000 personnes qui devait se rendre au siège social de Cérience, un semencier français membre du groupe agro-industriel Terrena, est contraint de rebrousser chemin pour éviter les barrages de police. L’objectif était d’occuper le terrain de l’industriel pour dénoncer le modèle productiviste qui pousse les agriculteurs à construire des mégabassines, ces gigantesques retenues qui pompent dans les nappes phréatiques et privatisent la ressource en eau (notre article pour tout comprendre à ce sujet).
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Un peu plus tôt, des militant·es tentaient une nouvelle technique de «désarmement» sur l’une des mégabassines du groupe industriel Pampr’œuf à Pamproux (Deux-Sèvres) : le largage de lentilles d’eau sur la surface de la bassine par des cerfs-volants. L’objectif, c’est qu’elles se développent dans l’eau stagnante de la bassine et en bouchent les pompes et tuyaux, pour mettre l’ouvrage hors d’état de nuire, explique à Vert Gwendoline, membre d’Extinction Rébellion.
Même constat le lendemain, tôt le matin, à La Rochelle, alors qu’un millier de manifestant·es et une dizaine de tracteurs ont réussi à contourner les barrages de police en empruntant le pont de l’île de Ré pour aller symboliquement bloquer le silo de Soufflet, entreprise de négoce international, sur le port industriel de la Pallice : «Au début, c’était bien, tout était calme, jusqu’à ce que la police arrive et qu’on se fasse gazer allègrement, décrit Béatrice, éleveuse de vaches laitières dans la banlieue de Nantes, au volant de son tracteur dans le cortège. Cette action, elle sert à montrer le lien direct entre l’agro-industrie et la construction des mégabassines, indispensable à son fonctionnement». Les organisations dénoncent en effet un système de production dont les produits sont destinés à l’export et non aux Français et Françaises.
Vers 10 heures, le reste des manifestant·es rejoint La Rochelle pour former deux cortèges : l’un, familial, l’autre, «déter». Quand le premier longe la côte de la ville en danse et en musique jusqu’à atteindre la cale du Port Neuf, le second se frotte aux forces de l’ordre avec de nombreux affrontements, dégradant du mobilier urbain et un petit Super U.
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«Malgré les preuves scientifiques et les recours juridiques, le gouvernement fait passer ces projets en force, déplore Camille, militante venue de Niort. Donc à un moment, il faut montrer les muscles et rétablir une démocratie dans l’intérêt général». À côté d’elle, bouée de baignade à la main, Théo acquiesce. Il met en avant le «problème dans le discours politique qui ment sur la légitimité des projets de bassines. Il y a un déni permanent de la vérité de la part du gouvernement».
Dans l’euphorie du convoi qui défile sur la côte de La Rochelle, des messager·es masqué·es aux couleurs de Bassines non merci distribuent des tracts explicatifs sur les enjeux de la manifestation aux passant·es. C’est la première fois que le collectif s’aventure en ville pour une action. «D’habitude, on est dans la campagne avec les paysans, mais cette année, on voulait montrer le lien entre l’agro-industrie et ce qu’il se passe dans les champs», explique Adeline, porte-parole de Bassine non merci. Pour, elle aussi, l’objectif est d’éviter les affrontements pour se protéger en premier lieu, mais aussi pour «faire passer le message de fond».
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Hors de ces grands événements militants, le collectif continue de travailler toute l’année : «On est constamment sur le terrain pour donner des conférences, participer aux recours juridiques ou parler dans les médias», énumère la porte-parole. «On est parfois en contact avec des irrigants et on constate que beaucoup sont bloqués dans le système avec des prêts impossibles à rembourser qui les empêche de transitionner», ajoute-t-elle.
Informer, expliquer, agir
Les manifestant·es rencontré·es au cours de ce weekend de mobilisation sont particulièrement renseigné·es sur le sujet de l’accaparement de l’eau. Mardi, un «village de l’eau» a été créé pour l’occasion à Melle, dans les Deux-Sèvres. Cet endroit aux chapiteaux colorés, entouré d’un camping géant, de stand en tout genre et d’une organisation bien ficelée, a accueilli quelque 10 000 personnes jusqu’à dimanche. Toutes ont pu assister à de nombreuses tables rondes et autres ateliers autour de la gestion de l’eau et des enjeux des mégabassines. «L’objectif est de faire émerger l’intelligence collective et de travailler sur le fond des sujets, pour pouvoir les mettre en lumière lors des actions», explique Irénée Frérot, physicien au CNRS et membre du collectif Scientifiques en Rébellion.
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Les riches échanges proposés par les nombreuses prises de parole, révèlent que les mégabassines ne font, certes, pas consensus auprès des scientifiques, mais aussi qu’elles ne sont certainement pas la seule solution au problème du manque d’eau. «Nous ne sommes qu’au début du changement climatique et l’eau commence déjà à manquer. Face à cette situation, l’agro-industrie protège son modèle avec les bassines. Or, cela empêche de construire des transformations plus profondes qui pourraient permettre de s’adapter sur le long terme», argumente le scientifique, qui pointe cette forme de «mal-adaptation» au changement climatique.
L’une des solutions réside dans le stockage de l’eau au sein même du sol. «De nombreuses études, notamment de l’Inrae [Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, NDLR], montrent que l’agroécologie, le plantage de haie ou encore le couvert des cultures sont des solutions viables et pérennes pour le long terme», décrit le physicien.
L’importance des élu·es
Dans l’ambiance festive du cortège familial de La Rochelle, de nombreux maires de petites communes, comme François Salliou, édile de Trémargate dans les Côtes-d’Armor : «On est venus à plusieurs depuis le village et ils m’ont tous demandé de mettre l’écharpe, car ça rassure les manifestants de se sentir soutenus par les élus». D’autre prennent la parole, comme le conseiller régional des Pays de la Loire, William Aucant (L’écologie ensemble) et Emma Fourreau, eurodéputée de La France Insoumise : «C’est une compétence de l’Europe que de réformer les traités de libre échange pour permettre à nos agriculteurs et agricultrices de ne plus être en concurrence avec des produits venant de l’autre bout du monde et qui ne respectent pas les normes environnementales imposées ici», dit-elle à Vert.
Elle appelle également à réformer la Politique agricole commune (PAC) qui «encourage à s’agrandir et finance les plus gros alors qu’elle devrait aider à réorienter vers le bio et encourager à changer de modèle». Sa présence ici lui permet aussi de «relayer au mieux à l’Assemblée les aspirations des gens» et de «faire valoir les droits de manifester», alors que l’on «assiste à une criminalisation du mouvement écolo».
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Samedi soir, après deux journées de manifestation, les organisations se sont félicitées de «l’inventivité et les capacités de rebond du mouvement anti-bassines, et ce malgré une pression politique et policière sidérante». Elles comptent poursuivre leur lutte contre chaque chantier de bassines et chaque entreprise qui les défend et rappellent vouloir «un moratoire pour ouvrir la voie à une bascule agroécologique».
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