Décryptage

Lignes à grande vitesse du sud-ouest : quatre associations déposent un recours pour suspendre le chantier

Vison l’annule. Au sud de Bordeaux, les premiers travaux d’ampleur de ces lignes ferroviaires décriées démarreront en avril. Quatre associations anti-LGV viennent de déposer un référé-suspension pour stopper le chantier et éviter des dégâts «irréversibles», dans l’attente des décisions de justice sur le fond du dossier.
  • Par

Ne surtout pas reproduire la situation de l’A69 : ses exproprié·es, ses millions d’euros dépensés, le terrassement à moitié avancé et les trois quarts des ouvrages d’art déjà sur pied. À Bordeaux (Gironde), les travaux des 400 kilomètres des lignes à grande vitesse (LGV) du sud-ouest ont commencé à l’automne 2024. Le premier tronçon du plus gros projet ferroviaire en France doit permettre de relier Bordeaux à Toulouse (Haute-Garonne) en 1h05 d’ici 2032, au lieu de 2h10 aujourd’hui.

Dans la métropole bordelaise, ces travaux sont connus sous le nom d’Aménagements ferroviaires du sud de Bordeaux (AFSB). Autour de deux voies ferroviaires déjà existantes, ce chantier vise à en créer une troisième, longue de 12 kilomètres. L’idée est de faire circuler les trains express régionaux (TER) sur cette nouvelle voie, afin de laisser le champ libre aux trains à grande vitesse (TGV) sur les deux qui préexistent. Le projet compte aussi sur la construction d’une quatrième voie qui permettrait aux TER de se croiser dans trois gares près de Bordeaux.

À une quinzaine de kilomètres de Bordeaux, des travaux d’ampleur sont sur le point de débuter. © Nicolas Beublet/Vert

Quatre associations, Sepanso, LGVEA, Trans’Cub et Stop Bordeaux Métropole viennent de déposer il y a une dizaine de jours un référé-suspension – une procédure d’urgence pour demander à la justice administrative de suspendre l’application d’une décision dont la légalité est contestée –, afin d’essayer de stopper temporairement ce premier chantier.

Cette nouvelle procédure s’appuie sur un recours déjà déposé au tribunal administratif, qui demande l’annulation définitive de l’autorisation environnementale du projet AFSB, délivrée en octobre 2024 (notre article). Les opposant·es espèrent une décision sur le fond d’ici 2027.

Place aux terrassements et renforcements

Le long des deux voies déjà existantes, à Saint-Médard-d’Eyrans (Gironde), des maisons ont déjà été démolies. Les travaux préparatoires d’agrandissement de la plate-forme ferroviaire (comme le défrichement) vont bientôt laisser place aux terrassements, renforcements de terrain, renouvellements de voies ferroviaires et manutentions sur les ouvrages d’art. Une première phase intensive de travaux, sur un chantier «prévu pour durer huit ans et chiffré à 1 milliard d’euros», détaille Didier Gassiot, de l’association locale LGVEA.

Pour décrire l’urgence de la situation, les associations brandissent un arrêté préfectoral du 8 janvier 2025. Celui-ci décrit cinq périodes d’«opérations coups de poing», dès le 18 avril. Un terme qui décrit des travaux menés «en continu, de jour comme de nuit, avec interruption du trafic ferroviaire». Dans le détail, 20 jours d’arrêt total de la circulation des trains sont prévus en 2025. «Avec ces gros travaux qui vont commencer, l’urgence est établie. Nous voulons à tout prix éviter les problèmes économiques et le choc d’une décision qui arrive trop tard, comme pour l’A69 [en février, la justice a annulé l’autorisation environnementale de ce chantier près de Toulouse, mais de nombreux dégâts ont déjà été causés, NDLR]», ajoute Denis Teisseire.

Le long des deux voies existantes, une maison finit d’être démolie dans le cadre des travaux préparatoires. © Nicolas Beublet/Vert

Les associations comptent sur un contexte favorable. «Au regard de ce qu’il s’est passé pour l’A69, avec des travaux qui ont avancé sans avant que les procédures juridiques n’aillent au bout, nous espérons que le juge des référés sera plus enclin à suspendre les travaux ici», complète Denis Teisseire. La décision du tribunal administratif concernant l’autoroute A69 est un tournant pour les militant·es. «Nous avons enfin vu des juges qui ne se mettaient pas à plat ventre devant les lobbys du BTP», salue Philippe Barbedienne, président de l’organisation environnementale Sepanso en Gironde.

Des lignes saturées ?

Comme dans le dossier de l’autoroute A69, les opposant·s attaquent l’autorisation environnementale du chantier pour faire reconnaître son illégalité. D’après eux, les travaux menés détruiront les habitats du vison d’Europe, une espèce protégée classée en danger critique d’extinction depuis 2011. «Il ne reste que 250 spécimens à l’heure actuelle. C’est un animal que les humains font disparaître de la surface du globe», s’insurge Jacques Lacampagne, président de l’association environnementale Amis du Barthos.

L’autorisation environnementale a pourtant obtenu la «dérogation espèce protégée» (qui autorise à porter atteinte à des espèces protégées) au titre de la raison impérative d’intérêt public majeur : concrètement, un projet d’une telle ampleur doit revêtir un intérêt public qualifié d’«impératif» (c’est-à-dire absolument nécessaire) et «majeur» (il doit être d’une importance particulière). Les opposant·es contestent cet élément. Les partisan·es du projet disent vouloir accroître la fréquentation des lignes ferroviaires au sud de Bordeaux. Mais ses détracteur·ices remettent cet objectif en question en s’appuyant sur un document de SNCF Réseau (la branche de la SNCF chargée de l’entretien des chemins de fer) déposé en juillet 2024 au tribunal administratif de Bordeaux.

La base travaux de SNCF Réseau à Saint-Médard-d’Eyrans, au sud de Bordeaux (Gironde). © Nicolas Beublet/Vert

D’après ce document, les chiffres de 2024 des montées et descentes annuelles de voyageur·ses dans les quatre gares concernées par le chantier AFSB ne sont pas cohérents avec les fréquentations anticipées dans l’enquête publique réalisée en 2014. En gares de Bègles et Cadaujac (Gironde), la fréquentation en 2024 a été surestimée respectivement de 277 000 et 91 000 montées-descentes. Toutefois, à Villenave-d’Ornon (Gironde) les projections de SNCF Réseau pour l’année 2024 sont bonnes. Et en gare de Saint-Médard-d’Eyrans, la fréquentation réelle est supérieure aux anticipations, à hauteur de 133 000 montées-descentes en plus.

«On nous a dit qu’il fallait réaliser le chantier AFSB pour augmenter le trafic, car les deux lignes au sud de Bordeaux étaient saturées, se remémore Germain Suys, ancien chef du poste de commandement SNCF de la région Aquitaine et Poitou-Charente, désormais retraité. C’est juste une question d’organisation.» Ce dernier dit avoir eu accès aux graphiques de circulation sur cette partie de la ligne.

«En 2014, il y avait 22 TER qui circulaient dans les deux sens. En 2024, on était passé à 30. Et en 2028, il devrait y en avoir 64. Tout ça, uniquement avec les deux voies déjà existantes !», ajoute-t-il pour montrer que la LGV n’est, selon lui, pas nécessaire. Pour cause, les travaux de troisième puis de quatrième voie mentionnés dans le projet sont prévus pour une mise en service à partir de 2032 seulement. La demande de suspension en urgence des travaux des associations sera auditionnée le 4 avril prochain au tribunal administratif de Bordeaux. Un moment qui permettra aussi aux deux parties d’éclairer les zones d’ombre. Contactée, la société SNCF Réseau, maître d’ouvrage des lignes nouvelles et des AFSB, préfère réserver ses arguments pour l’audience.

«Merci pour tout le travail que vous réalisez, vous êtes d'utilité publique et devriez être prescrits par les médecins». Comme Florent, plus de 11 000 personnes ont soutenu Vert en 2024. Grâce à elles et eux, nous avons pu offrir des centaines d'articles de qualité en accès libre pour tout le monde ! Et tout ça, en restant 100% indépendants et sans publicités.

Permettez au plus grand nombre de comprendre les crises qui nous secouent et de savoir comment agir, et participez au projet médiatique le plus chaud de l'époque en faisant un don à Vert 💚