Entretien

Léna Lazare : «On n’a jamais autant parlé des Soulèvements depuis que l’on a eu ces menaces de dissolution»

Au lendemain de la dissolution des Soulèvements de la Terre par le gouvernement, l'avenir du collectif est en suspens. Dans un entretien à Vert, une porte-parole des Soulèvements, Léna Lazare, s’inquiète de la criminalisation croissante des activistes écologistes, mais reste optimiste quant à la poursuite des mobilisations et résolument motivée à obtenir gain de cause devant la justice.
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Comment avez-vous accueilli l’annonce de la dissolution des Soulèvements de la Terre ?

On trou­ve que c’est une déci­sion pro­fondé­ment anti-démoc­ra­tique. Les Soulève­ments de la Terre mènent des actions de désobéis­sance civile avec de la dégra­da­tion matérielle. Ce sont des modes d’actions qui ont tou­jours été là dans les mou­ve­ments soci­aux et c’est ce qui fait qu’on est en démoc­ra­tie en France. On peut pren­dre en exem­ple le démon­tage du McDon­ald’s de Mil­lau, le mou­ve­ment de José Bové au Larzac, ou encore les fauchages d’OGM.

Certes, le pou­voir peut décider de réprimer ces actions par la jus­tice, et c’est déjà ce qu’il fait avec les arresta­tions [voir plus loin]. Mais dis­soudre le mou­ve­ment, c’est encore une étape supérieure. L’idée, c’est de faire en sorte que ce mou­ve­ment n’existe plus du tout.

Avec cette annonce de dis­so­lu­tion, mais aus­si avec la crim­i­nal­i­sa­tion crois­sante des mou­ve­ments écol­o­gistes et par les dis­posi­tifs de main­tien de l’ordre qui sont de plus en plus vio­lents, nous trou­vons que le gou­verne­ment suit une pente autori­taire.

Et cette dis­so­lu­tion provient d’un gou­verne­ment qui a été con­damné pour inac­tion cli­ma­tique et qui, selon nous, mène une poli­tique de destruc­tion délibérée du vivant. Au lieu d’écouter les reven­di­ca­tions de mou­ve­ments écol­o­gistes, il préfère les crim­i­nalis­er.

Léna Lazare (en rose) prend la parole devant le Con­seil d’É­tat aux côtés de l’ac­tiviste sué­doise Gre­ta Thun­berg après l’an­nonce de la dis­so­lu­tion des Soulève­ments de la Terre, mer­cre­di 21 juin à Paris. © AFP

Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a annoncé que c’était la violence du collectif qui était à l’origine de sa dissolution. Que lui répondez-vous ?

Les modes d’actions des Soulève­ments de la Terre — blocages, occu­pa­tions et actions de désarme­ment — s’attaquent à des machines et pas des être vivants. Ces accu­sa­tions de vio­lences ne cor­re­spon­dent pas à ce à quoi appelle le mou­ve­ment. Si on com­mence à vouloir dis­soudre tous les mou­ve­ments dans lesquels les man­i­fes­tants ont riposté face à la police lors de man­i­fes­ta­tions, il faut aus­si deman­der la dis­so­lu­tion de l’intersyndicale [opposée à la réforme des retraites].

On sait très bien que dans toutes les man­i­fes­ta­tions en France face à une vio­lence des forces de l’ordre de plus en plus grande, mal­heureuse­ment, il y a de plus en plus d’af­fron­te­ments. Mais de dire que les SLT appel­lent à la vio­lence, c’est pour moi totale­ment infondé.

Maintenant que la dissolution est actée, quelle est la prochaine étape ? Est-ce que vous allez contester la décision devant la justice ?

Nous allons atta­quer en référé la déci­sion de l’État au Con­seil d’État et nous sommes prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme pour la faire annuler. En France, la dis­so­lu­tion a été facil­itée par la loi con­tre le séparatisme mais on sait très bien qu’au niveau européen, la lib­erté d’association est davan­tage garantie.

Je suis plutôt opti­miste dans le sens où les organ­i­sa­tions qui lut­tent ensem­ble au sein des SLT ne vont pas arrêter de le faire après la dis­so­lu­tion.

On nous empêche d’u­tilis­er une image et un logo. Pour moi, ça ne va pas du tout stop­per le mou­ve­ment. On n’a jamais autant par­lé des Soulève­ments et de nos modes d’ac­tion ‑déman­tel­er des infra­struc­tures à l’origine de rav­ages écologiques- depuis que l’on a subi ces men­aces de dis­so­lu­tion. Le dis­cours que nous por­tons résonne dans les milieux écol­o­gistes.

Je trou­ve très inquié­tante la mod­i­fi­ca­tion des lois d’abord au motif de la lutte con­tre le ter­ror­isme et qui s’étend ensuite à toutes les con­tes­ta­tions. L’Onu a sor­ti une note qui fait état de la crim­i­nal­i­sa­tion des mou­ve­ments écol­o­gistes qui, pour moi, est assez révéla­trice de de ce qui se passe en ce moment au sein du gou­verne­ment Macron.

18 personnes proches des SLT ont été placées en garde à vue dans le cadre d’une enquête sur des actions contre une usine Lafarge dans la région marseillaise en décembre dernier. Craignez-vous que la répression envers les militants écologistes ne s’intensifie ?

Je ne crains pas que la répres­sion s’intensifie. C’est déjà acté qu’elle s’intensifie. Il y a eu deux séries d’arrestations envers des mil­i­tants qui sont soupçon­nés d’avoir par­ticipé à des actions de désobéis­sance civile. C’est du jamais vu. Que ces mil­i­tants fassent 80 heures de garde à vue puis qu’ils soient relâchés sans pour­suite, ça me sem­ble totale­ment aber­rant. Les faits qu’on leur reproche ne sont pas du tout pro­por­tion­nels à la crim­i­nal­i­sa­tion qui est mise en place.

Maintenant que la dissolution est actée, quels sont les risques encourus par celles et ceux qui continueront à se revendiquer ou à mener des actions au nom des SLT ?

Le risque c’est que nous soyons pour­suiv­is pour main­tien ou recon­sti­tu­tion de ligue dis­soute. Der­rière le groupe­ment de fait des SLT, qui pour l’instant sem­ble large et flou, a pri­ori nous n’aurions pas le droit de nous retrou­ver au sein de ce groupe­ment de fait et de prôn­er des choses qui pour­raiznt s’as­sim­i­l­er à un main­tien — ou à la recon­sti­tu­tion- de la ligue dis­soute.

C’est du droit et cela dépend de la façon dont il est inter­prété. Est-ce qu’ils vont arrêter des cen­taines de per­son­nes parce qu’elles vont faire des actions de désobéis­sance civile impac­tantes dans des luttes locales ? C’est totale­ment inimag­in­able! Sinon on passe encore à une échelle plus inquié­tante dans la crim­i­nal­i­sa­tion des mou­ve­ments écol­o­gistes. Pour l’instant, je ne pense pas que ce soit fais­able, car ça veut aus­si dire s’en pren­dre à des asso­ci­a­tions his­toriques comme Attac ou la con­fédéra­tion paysanne.

Enfin, on se doute que dans les faits, il y aura une sur­veil­lance accrue des per­son­nes qui ont été par­ti­c­ulière­ment vis­i­bles dans les SLT.