Décryptage

Le gouvernement s’y prend « de la pire façon » pour accélérer sur les renouvelables et le nucléaire

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Façons de fer. La présen­ta­tion de deux pro­jets de loi cen­sés hâter le déploiement des renou­ve­lables, ain­si que du nucléaire, fait pleu­voir les cri­tiques. Inef­fi­cace sur le fond et bru­tale sur la forme, la méth­ode estom­aque insti­tu­tions et asso­ci­a­tions.

Lun­di, le min­istère de la Tran­si­tion énergé­tique présen­tait offi­cielle­ment son pro­jet de loi sur l’ac­céléra­tion des éner­gies renou­ve­lables en Con­seil des min­istres. Le même jour, il lançait les con­sul­ta­tions sur son ébauche dédiée au nucléaire. Les deux textes seront étudiés par les par­lemen­taires, à par­tir de la fin octo­bre pour le pre­mier, début 2023 pour le sec­ond.

Présen­tés comme les deux faces d’une même stratégie, ils pro­posent essen­tielle­ment des mesures tech­niques et/ou tem­po­raires des­tinées à accélér­er les pro­jets à court terme. « Il faut en moyenne cinq ans de procé­dures pour con­stru­ire un parc solaire néces­si­tant quelques mois de travaux, sept ans pour un parc éolien et dix ans pour un parc éolien en mer », regrette le gou­verne­ment. Il espère aus­si lim­iter à cinq ans le temps de procé­dure dans le nucléaire dans l’e­spoir de pos­er la pre­mière pierre d’un prochain EPR avant la fin du quin­quen­nat.

Plusieurs mesures sont d’ailleurs com­munes aux deux textes comme l’oc­troi d’une “rai­son impéra­tive d’intérêt pub­lic majeur” (RIIPM), qui per­me­t­tra aux pro­jets de déroger à l’in­ter­dic­tion de détru­ire des espèces pro­tégées. L’av­o­cat spé­cial­isé en droit de l’En­vi­ron­nement, Arnaud Gosse­ment, remar­que toute­fois que le texte relatif au nucléaire présente « des mesures de sim­pli­fi­ca­tion plus impor­tantes » comme la dis­pense d’au­tori­sa­tion d’ur­ban­isme ou l’inop­pos­abil­ité des lois de pro­tec­tion du lit­toral et de la mon­tagne.

Cen­trale nucléaire du Tri­c­as­tin © Flickr / Jeanne Men­joulet

Le pro­jet de loi con­sacré aux éner­gies renou­ve­lables « réalise le tour de force de mécon­tenter élus, ONG, envi­ron­nemen­tal­istes, et même… pro­fes­sion­nels de la fil­ière », remar­quent à juste titre nos con­frères de Con­texte. « On sou­tient l’ob­jec­tif sans hési­ta­tion mais il y a un manque d’am­bi­tion fla­grant », con­firme à Vert Michel Dubromel, référent Energie de France Nature Envi­ron­nement (FNE). « Si l’on est opti­miste, on peut espér­er un gain de temps mar­gin­al, de l’or­dre de quelques mois, sur le développe­ment des pro­jets. Mais en réal­ité, la mul­ti­pli­ca­tion de régimes déroga­toires va com­plex­i­fi­er le droit, créer des fragilités juridiques et ouvrir la voie à des recours con­tentieux », estime-t-il. Dans un avis sévère, le Con­seil d’État pointe les lacunes de l’é­tude d’im­pact qui accom­pa­gne le pro­jet de loi, « iné­gale, insuff­isante sur plusieurs arti­cles, voire inex­is­tante sur cer­taines dis­po­si­tions ». En se focal­isant entière­ment sur la « lour­deur de nos procé­dures admin­is­tra­tives et con­tentieuses », le gou­verne­ment ignore enfin des freins plus impor­tants encore — et que ses pro­pres ser­vices ont pointé dans un récent rap­port — comme les dif­fi­cultés de finance­ment ou les déci­sions poli­tiques.

« Le gouvernement s’était engagé au débat public sur le mix énergétique »

Quant à l’a­vant-pro­jet de loi nucléaire, il irrite surtout par la bru­tal­ité du proces­sus. Plus pressé que jamais, le min­istère de la tran­si­tion énergé­tique compte présen­ter le texte en Con­seil des min­istres mi-octo­bre. En guise de con­sul­ta­tion, il n’a lais­sé au Con­seil Nation­al de la Tran­si­tion Écologique qu’une semaine pour émet­tre un avis con­sul­tatif (con­tre trois pour le pro­jet renou­ve­lables) alors que l’é­tude d’im­pact n’est pas encore disponible. « Com­ment tra­vailler sérieuse­ment dans des délais si courts sur un texte aus­si sen­si­ble ? », s’est indigné sur Twit­ter la coor­di­na­trice du Réseau Action Cli­mat, Anne Bringault. « Quelle mouche a piqué le gou­verne­ment ? » a renchéri la Ligue de pro­tec­tion des oiseaux, stupé­faite.

« Surtout, le cal­en­dri­er actuel va à l’en­con­tre du proces­sus démoc­ra­tique », souligne Zélie Vic­tor du Réseau Action Cli­mat. Un débat pub­lic est cen­sé se tenir du 27 octo­bre 2022 au 27 févri­er 2023, soit après la présen­ta­tion offi­cielle du texte en Con­seil des min­istres. La Com­mis­sion nationale du débat pub­lic (CNDP) n’a pas man­qué de réa­gir à ce court-cir­cuitage man­i­feste : « Le débat pub­lic doit per­me­t­tre au pub­lic de s’informer et de s’exprimer sur l’opportunité même de con­stru­ire ces nou­veaux réac­teurs nucléaires. Ce n’est qu’au terme de ce débat pub­lic et en con­sid­éra­tion des obser­va­tions et propo­si­tions du pub­lic que le Gou­verne­ment pour­ra soumet­tre au Par­lement sa propo­si­tion de relancer un nou­veau pro­gramme nucléaire », a‑t-elle indiqué. Pour Michel Dubromel, le gou­verne­ment s’y prend « de la pire façon » pour engager la réforme. Mais celui-ci pren­dra-t-il le temps de chang­er de bra­quet ?