Décryptage

Le gouvernement s’empêtre dans la planification énergie-climat

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Sous le feu des cri­tiques, le gou­verne­ment a fini par sup­primer tout le volet pro­gram­ma­tion de son pro­jet de loi sou­veraineté énergé­tique. Un énième acci­dent de par­cours qui illus­tre ses pro­fondes dif­fi­cultés à avancer sur le sujet.

Présen­té en grande pompe au début de l’année, le pro­jet de loi sou­veraineté énergé­tique devait met­tre le pays sur la voie de la neu­tral­ité car­bone en 2050 tout en pro­tégeant les intérêts de la France et de ses consommateur·ices. Moins de dix jours plus tard – et un com­plet tol­lé –, voilà le texte vidé de sa sub­stance. «Nous avons décidé de reporter l’in­scrip­tion du volet pro­gram­ma­tique dans la loi», ont expliqué, laconiques, les conseiller·es du nou­veau min­istre de l’énergie, mer­cre­di 17 jan­vi­er. Deux jours plus tard, Bruno Le Maire con­fir­mait le retrait, au moins tem­po­raire, de tous les objec­tifs de long terme sur l’énergie et le cli­mat, «au nom du temps néces­saire pour dia­loguer». Depuis, c’est rideau.

«Quelque part, on peut y voir une bonne chose car ce volet soule­vait des ques­tions impor­tantes», analyse Andreas Rüdinger, spé­cial­iste de la tran­si­tion énergé­tique à l’Institut du développe­ment durable et des rela­tions inter­na­tionales (Iddri). En guise de plan­i­fi­ca­tion, le pro­jet de loi pro­po­sait la sup­pres­sion d’objectifs car­dinaux actuelle­ment inscrits dans la loi comme celui d’avoir l’ensem­ble des bâti­ments en BBC (bâti­ment basse con­som­ma­tion) d’i­ci 2050. Il pro­po­sait égale­ment de sup­primer tout objec­tif d’énergies renou­ve­lables dans la con­som­ma­tion finale, alors même que l’Union européenne s’est enten­due récem­ment pour vis­er au moins 42,5% à 2030. À l’inverse, le nucléaire se voy­ait doté d’objectifs chiffrés et datés, presque à l’excès. L’objectif de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre pas­sait de ‑40 à ‑50% d’ici à 2030 (par rap­port à 1990, hors puits de car­bone) mais le gou­verne­ment pro­po­sait de tro­quer le verbe «réduire» pour un inopérant «ten­dre vers une réduc­tion». «Relever l’am­bi­tion des objec­tifs tout en réduisant leur portée juridique pose un souci de crédi­bil­ité évi­dent», euphémise Andreas Rüdinger, qui a listé sur X de nom­breuses autres lacunes comme l’absence de bud­gets car­bone à respecter.

Même si le gou­verne­ment a rétropé­dalé, l’épisode est un révéla­teur de ses pro­fondes con­tra­dic­tions. «Il sou­tient le nucléaire mais n’arrive pas à assumer une posi­tion ambitieuse sur les éner­gies renou­ve­lables», explique Andreas Rüdinger. Or, c’est bien la part des éner­gies renou­ve­lables qui doit dou­bler d’ici à 2030 (pour pass­er de 20% à au moins 42,5%) tan­dis que la part du nucléaire stag­n­era, à env­i­ron 20% de la con­som­ma­tion d’énergie finale. Para­doxale­ment (en apparence), le gou­verne­ment ne manque pas d’ambition dans son pro­jet de stratégie française énergie-cli­mat mais «il sait aus­si que s’afficher en tant qu’ami des renou­ve­lables peut être coû­teux poli­tique­ment», explique Andreas Rüdinger. Tan­dis que la droite est ouverte­ment anti-renou­ve­lables, «la Nupes ne brille pas non plus par son sou­tien», rap­pelle-t-il. En clair, «le gou­verne­ment ne sait pas com­ment pass­er une telle loi au Par­lement où il n’a plus la majorité absolue», con­firme Nico­las Gold­berg, expert énergie chez Colom­bus Con­sult­ing. «L’ambiance y est si nauséabonde que le débat pour­rait dériv­er», con­firme Arnaud Gosse­ment, avo­cat en droit de l’environnement.

Impos­si­ble, pour l’instant, de savoir com­ment le gou­verne­ment compte se tir­er de ce mau­vais pas alors que la loi doit être présen­tée en Con­seil des min­istres début févri­er. «Il n’est pas exclu qu’il légifère unique­ment par décret», envis­age Nico­las Gold­berg. Ce faisant, il vio­l­erait la loi qui prévoit que le Par­lement con­trôle le cap énergé­tique du pays. «À court terme, il pour­rait défendre ce qui reste du texte en visant un élec­torat qui est sen­si­ble à la sou­veraineté, his­toire de mar­quer le coup avant les élec­tions européennes», pressent Arnaud Gosse­ment. Le volet pro­gram­ma­tique serait alors reporté après les élec­tions européennes. Pour Andréas Rüdinger «ne pas engager de trans­for­ma­tion pro­fonde par cal­cul poli­tique peut s’avér­er dan­gereux. La men­ace pop­uliste ne doit pas amen­er à épouser la ligne poli­tique des opposants, au risque de laiss­er le pays sans cap».

Pho­to d’il­lus­tra­tion : Bruno Le Maire au Forum économique mon­di­al de Davos (Suisse) en jan­vi­er 2023. © World eco­nom­ic forum / Cia­ran McCrickard