Décryptage

La loi Duplomb est-elle conforme à la Constitution ? Le Conseil constitutionnel doit trancher jeudi

Une procédure d’adoption controversée, des risques pour la santé publique, une pétition historique… jeudi 7 août, le Conseil constitutionnel dira si la loi Duplomb respecte ou non la Constitution. Décryptage des enjeux autour de cette décision cruciale.
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C’est ce jeudi 7 août que le Conseil constitutionnel doit statuer sur la conformité de la loi Duplomb à la Constitution. Une décision très attendue : une pétition appelant au retrait de ce texte a réuni 2,1 millions de signatures, devenant ainsi la deuxième la plus signée de l’histoire en France. En parallèle, les prises de parole d’associations, de scientifiques et de collectifs se multiplient pour exhorter le Conseil à censurer la loi. Leur appel sera-t-il entendu ?

Le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision sur la loi Duplomb jeudi. © C. Bonnet/Adobe stock

Qu’est-ce que le Conseil constitutionnel ?

Composé de neuf membres nommé·es pour neuf ans (trois sont nommé·es par la présidence de la République, trois par celle de l’Assemblée nationale et trois par celle du Sénat), le Conseil constitutionnel veille à la conformité des lois avec la Constitution. Il peut être saisi par des parlementaires ou, depuis 2010, par tout·e citoyen·ne via une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Dans le cas de la loi Duplomb, ce sont les groupes de gauche de l’Assemblée et du Sénat (socialistes, communistes et insoumis·es) qui ont déposé trois recours il y a plusieurs semaines.

Pourquoi la gauche estime-t-elle que la loi Duplomb est inconstitutionnelle ?

Dans leurs saisines, les parlementaires dénoncent une loi contraire à la Charte de l’environnement de 2005, texte à valeur constitutionnelle, qui affirme notamment que «chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé». La réintroduction via la loi Duplomb de l’acétamipride, un insecticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2018, irait, selon elles et eux, à l’encontre de ce principe fondamental.

Elle contreviendrait également au devoir de «non-régression du droit environnemental», ainsi qu’au «principe de précaution» énoncé par la même charte. Celui-ci stipule que «lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement», les autorités doivent prendre des mesures provisoires pour les éviter. «Cette atteinte est d’autant plus grave que les effets des néonicotinoïdes sont aujourd’hui bien établis scientifiquement, et largement reconnus par les autorités nationales ou européennes», plaident les parlementaires.

Y’a-t-il une chance pour que le Conseil constitutionnel censure la loi sur le fond ?

Les juristes interrogés par Vert sont partagés sur la question d’une éventuelle censure de la loi sur le fond. Selon Alexandre Viala, professeur de droit public à l’université de Montpellier, il y a peu de chance que ce soit le cas : «Le Conseil n’a jamais censuré de loi sur le fondement de cette charte», estime-t-il. «En règle générale, le Conseil constitutionnel tolère des atteintes à l’environnement lorsqu’elles sont justifiées par un certain intérêt public. Et là, la loi Duplomb vise à répondre aux manifestations des agriculteurs.» Selon Rémy Dufal en revanche – il est maître de conférences en droit public à l’Université Lyon 3 et spécialiste du droit de l’environnement –, les Sages auraient toutes les raisons de la censurer. «En 2020, le Conseil avait été très exigeant lorsqu’il avait autorisé l’assouplissement des règles concernant l’usage des produits phyto-pharmaceutiques. Il l’avait validé, mais uniquement parce que c’était très encadré. Or, dans la loi Duplomb, toutes les dispositions de protection ont sauté.» Le juriste annonce qu’il serait même «surpris», si la loi n’était pas jugée inconstitutionnelle sur le fond.

Le Conseil constitutionnel peut-il censurer le texte sur la forme ?

Il est possible, également, que le Conseil censure la loi sur la forme. Le 26 mai 2025, pour faire adopter la loi Duplomb, les député·es de droite de l’Assemblée nationale – Les Républicains et le socle présidentiel – ont voté une «motion de rejet préalable» au texte, alors même qu’elles et ils le soutenaient. L’objectif était de court-circuiter les débats, et notamment d’éviter de traiter les 3 500 amendements, dont les deux tiers avaient été déposés par les groupes écologistes et insoumis. Le texte a ainsi été directement envoyé à la commission mixte paritaire (composée de sept député⸱es et sept sénateur·ices chargé·es de trouver un compromis entre les deux chambres) plus à droite… et plus encline à le faire adopter.

Selon les juristes que Vert a interrogés, le Conseil pourrait juger qu’il s’agit d’une forme de détournement de la procédure. Il pourrait par ailleurs estimer que le «droit d’amendement» – celui qui garantit aux député·es et sénateur·ices le droit d’amender un texte – a, lui aussi, été bafoué. Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre de la justice et professeur de droit public à l’université de Bretagne, confie : «Si j’étais le Conseil constitutionnel, je censurerais la loi Duplomb, compte tenu de la manière acrobatique avec laquelle elle a été adoptée : sans aucun débat.»

Que se passera-t-il si le Conseil constitutionnel censure la loi ?

Si le Conseil constitutionnel censure la loi sur le fond, «celle-ci ne verra jamais le jour», nous explique Alexandre Viala. En revanche, si les Sages la censurent sur la forme, Emmanuel Macron pourra demander au Parlement une nouvelle délibération. En d’autres termes : les débats reprendront.

Et, à l’inverse, s’il ne la censure pas ?

Dans le cas où le Conseil constitutionnel ne censurerait pas la loi, la décision de la promulguer, ou non, reviendrait au président de la République.

Et, à l’avenir, lors de l’examen d’autres lois, les député·es de la majorité pourraient être tenté·es, à nouveau, d’éviter les débats en votant une simple motion de rejet. «On est en train de transformer la commission mixte paritaire en troisième chambre. Ce n’est pas du tout ce qui est prévu par la Constitution», regrette Jean-Jacques Urvoas. Il prévient : «Si le Conseil valide ce qui a été fait, ce sera une vraie régression sur l’élaboration de la loi.»

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