Analyse

La France annonce son retrait du Traité sur la Charte de l’Energie

Après les Pays-Bas, l'Espagne et la Pologne, Emmanuel Macron a annoncé vendredi après-midi le retrait du Traité sur la Charte de l'Energie. Une immense victoire pour ses détracteurs, qui espèrent désormais le retrait de l’ensemble de l’Union européenne.
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C’est quoi déjà, le TCE ?

Le Traité sur la Charte de l’Én­ergie est un texte signé en 1994 et entré en vigueur en 1998. Réu­nis­sant une cinquan­taine de pays dont l’Union européenne (UE), il a pour but de sécuris­er les appro­vi­sion­nements en pét­role et en gaz, et il est en train d’être révisé. Le TCE accorde une pro­tec­tion spé­ciale aux investis­seurs du secteur de l’énergie et per­met notam­ment aux com­pag­nies fos­siles d’attaquer en jus­tice des États dont les déci­sions nuiraient à leur rentabil­ité. Et ce, y com­pris s’il s’ag­it de mesures cli­ma­tiques.

Mais quel est le problème ?

Le souci, c’est que le texte a été rédigé alors que le cli­mat n’était pas une préoc­cu­pa­tion majeure pour les pays sig­nataires. Mais aujourd’hui, les États pour­raient rechign­er à porter des mesures ambitieuses sur la sor­tie des éner­gies fos­siles, red­outant d’être attaqués et de devoir pay­er des sommes colos­sales. En 2021, le séna­teur Fabi­en Gay (Par­ti com­mu­niste) rap­pelait que « la con­férence des Nations unies sur le com­merce et le développe­ment a recen­sé 135 cas de lit­iges per­mis par le TCE, pour des com­pen­sa­tions accordées par les États à hau­teur de 55 mil­liards d’eu­ros ».

Pour ne citer qu’un exem­ple, la même année, l’énergéticien alle­mand RWE a annon­cé pour­suiv­re l’É­tat néer­landais, car ce dernier avait adop­té une loi ban­nis­sant le char­bon d’i­ci à 2030. Le groupe lui réclame 1,4 mil­liard d’eu­ros de com­pen­sa­tion.

Le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (Giec) désigne le TCE comme un sym­bole de la « pro­tec­tion des investis­seurs, y com­pris con­tre les mesures cli­ma­tiques indis­pens­ables ». Or, les pays de l’UE, à tra­vers le « pacte vert », se sont fixé un objec­tif de neu­tral­ité car­bone pour 2050. Ils ne devront pas émet­tre plus de gaz à effet de serre qu’ils n’en absorbent. « Der­rière le TCE, se joue la con­fronta­tion entre le droit des investis­seurs et du com­merce, qui est un droit qui a une force exé­cu­toire impor­tante, et le droit envi­ron­nemen­tal qui se développe, mais reste bal­bu­tiant », résumait pour Vert Maxime Combes à la veille de l’an­nonce d’Em­manuel Macron. L’ écon­o­miste et mem­bre du col­lec­tif STOP CETA-Mer­co­sur, engagé de longue date con­tre le traité estime que « si on est sérieux dans la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, il faut que nos pou­voirs publics aient à leur dis­po­si­tion l’ensemble des out­ils de régu­la­tion pour assur­er la sécu­rité énergé­tique du pays. On n’est pas en train d’essayer d’exproprier les investis­seurs : s’ils ne sont pas con­tents, ils pour­ront se ren­dre devant les instances juridiques nationales. »

Qui fait pression ?

Depuis plusieurs mois, le sujet fait de plus en plus par­ler. En 2021, une péti­tion, « Exit-TCE-Main­tenant », réu­nis­sait plus d’un mil­lion de sou­tiens. En juin dernier, cinq jeunes européen·es ont porté plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) con­tre des États sig­nataires, dont la France. Des fig­ures médi­a­tiques, comme Gre­ta Thun­berg ou, Camille Eti­enne en France, relaient leur mes­sage. À la même péri­ode, 78 sci­en­tifiques et cli­ma­to­logues ont pub­lié une let­tre ouverte appelant les dirigeants à quit­ter le traité. Ce jeu­di enfin, une trentaine d’ONG et syn­di­cats, dont Attac, les Amis de la Terre et Green­peace, avaient inter­pel­lé à leur tour le gou­verne­ment français : « À l’heure où la cat­a­stro­phe cli­ma­tique s’ag­grave, les ten­sions géopoli­tiques s’ac­centuent et les prix de l’én­ergie s’en­v­o­lent, com­ment la France pour­rait-elle rester mem­bre d’un traité, le Traité sur la charte de l’én­ergie, qui retarde, renchérit ou bloque la tran­si­tion énergé­tique d’am­pleur dont le besoin et l’ur­gence se font sen­tir de toute part ? »

Qui veut en sortir ?

L’an­nonce du retrait de la France par Emmanuel Macron ven­dre­di dernier inter­vient dans un con­texte de remise en cause du Traité par plusieurs États européens. Mer­cre­di, les Pays-Bas ont annon­cé leur vel­léité de départ, et ce « de préférence avec l’ensem­ble de l’UE », selon le min­istre de l’En­vi­ron­nement et de l’Én­ergie Rob Jet­ten inter­rogé par l’AFP. Ce dernier, qui n’a pas avancé de date, estime en effet que même réfor­mé, le traité « ne peut pas être con­cil­ié avec l’ac­cord de Paris » sur le cli­mat. Le 12 octo­bre, Tere­sa Rib­era, la min­istre de la Tran­si­tion écologique espag­nole qui avait déjà souhaité une sor­tie coor­don­née du traité, a indiqué à Politi­co (en anglais) que l’Espagne avait entamé le proces­sus de retrait. Quant à la Pologne, son Par­lement a adop­té ce mois-ci une loi visant à en sor­tir, un texte qui doit encore être validé par le Sénat. D’autres nations sont déjà sor­ties du TCE : c’est le cas de la Russie en 2009 ou de l’I­tal­ie en 2016.

Prob­lème : dans tous les cas, une clause, dite « de survie » ou « de caducité », prévoit que les pays qui se retirent du traité peu­vent rester soumis à des lit­iges pen­dant vingt ans. Aus­si, le Haut con­seil pour le cli­mat a‑t-il con­sid­éré dans un avis ren­du le 19 octo­bre qu’« un retrait coor­don­né du TCE de la part de la France et de l’UE, cou­plé à une neu­tral­i­sa­tion de sa “clause de survie”, appa­raît comme étant l’option la moins risquée pour respecter les engage­ments nationaux, européens et inter­na­tionaux sur le cli­mat ». Les obser­va­teurs scru­tent désor­mais de près la réac­tion des autres États et notam­ment de l’Alle­magne. Dans une inter­view au Monde le 21 octo­bre, la secré­taire d’É­tat alle­mande, Jen­nifer Mor­gan, a affir­mé que Berlin était « très préoc­cupé » par le TCE et devrait pren­dre une déci­sion d’i­ci fin novem­bre.

Est-ce que le texte peut vraiment être réformé ?

Depuis 2018, en rai­son de l’accord de Paris de 2015 sur la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique, le texte est en train d’être réfor­mé. Après de longues négo­ci­a­tions, l’UE a obtenu en juin un accord de principe autour d’un com­pro­mis sur lequel les États-mem­bres doivent se posi­tion­ner avant la con­férence annuelle du traité qui aura lieu le 22 novem­bre. Le com­pro­mis, qui lim­ite les nou­veaux investisse­ments dans les éner­gies fos­siles, mais pro­longe les pro­tec­tions pour les investisse­ments passés, pro­tège de nou­veaux secteurs de l’én­ergie. Il n’est pas sat­is­faisant pour les ONG.

Si, d’ici là, l’UE ne s’est pas mise d’accord à la majorité qual­i­fiée (55% des Etats mem­bres représen­tant au moins 65% de la pop­u­la­tion de l’U­nion européenne) pour soutenir la nou­velle mou­ture, le texte rénové ne sera pas adop­té. « Comme on ne peut pas vivre avec le vieux TCE pour des raisons, y com­pris juridiques, nous pen­sons que c’est sans doute le meilleur moyen pour en sor­tir et désarmer le traité, a min­i­ma sur le ter­ri­toire européen. Dans l’idéal, il faudrait que les pays européens déci­dent de sor­tir con­join­te­ment de ce traité », com­men­tait encore Maxime Combes dans nos colonnes.