Demandée par le groupe écologiste du Sénat, la commission d’enquête sur «les obligations du groupe TotalEnergies» est finalement parvenue à se frayer une délicate voie de passage au sein de la chambre haute, où la majorité de droite a d’abord vu l’exercice d’un mauvais œil. Ce mercredi, lors de la présentation du rapport final, épais de 350 pages, le président de la commission d’enquête, Roger Karoutchi (LR), a reconnu que «les débuts ont été tendus». Il faut dire que «le sujet est incontestablement sensible», a euphémisé le rapporteur écologiste Yannick Jadot.
Pas de réquisitoire contre TotalEnergies
La ligne à ne pas dépasser pour Roger Karoutchi était «de ne pas faire de réquisitoire contre TotalEnergies, de ne pas en faire le seul coupable», a‑t-il insisté. Cela n’empêche pas le rapport de conclure sans équivoque que les activités et la stratégie de décarbonation du groupe ne sont pas compatibles avec les impératifs climatiques.
«Jusqu’ici, il n’y avait que les associations qui l’affirmaient. Cette fois, nous avons eu la confirmation d’experts comme Valérie Masson-Delmotte, François Gemenne ou Laurence Tubiana, mais aussi du ministère de la Transition écologique ou de l’Ademe», insiste Yannick Jadot.
L’État doit revenir au capital de TotalEnergies
Mais c’est avant tout l’État français qui en prend pour son grade pendant la majorité du rapport. «Une entreprise complètement privée ne peut probablement pas engager seule un changement de modèle qui fragilise sa profitabilité», insistent les auteurs du rapport, qui rappellent «le rôle de l’État dans ce domaine» et exigent «de sa part des actions déterminées».
La commission presse notamment l’État de revenir dans la gouvernance de TotalEnergies, dont il s’est désengagé au début du siècle. Elle préconise en particulier l’acquisition d’une «action spécifique» ou golden share — un outil créé à la suite des privatisations des années 1980 permettant notamment à l’État de conserver un droit de regard sur les évolutions stratégiques d’un groupe. Les sénateurs estiment crucial d’empêcher le déplacement du siège social de TotalEnergies aux États-Unis, envisagé par son PDG, Patrick Pouyanné.
Clarifier les relations ambigües entre l’État et des entreprises comme TotalEnergies
Les membres de la commission souhaitent également clarifier les relations ambiguës entre les hautes sphères de l’État et la direction du groupe. Ils appellent notamment à mieux réguler le phénomène des portes tournantes (revolving doors) selon lequel «des personnes haut placées dans l’administration rejoignent ensuite les directions privées ou vice-versa», a expliqué Yannick Jadot.
De l’aveu de TotalEnergies, environ 10% des cadres dirigeants du groupe ont d’abord occupé des fonctions dans le secteur public. Depuis 2020, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a eu à se prononcer sur neuf cas de mobilités, vers ou depuis le groupe TotalEnergies. Mais ses pouvoirs d’investigation sont trop limités, pointent les auteurs.
En finir avec la diplomatie «schizophrène»
Enfin, les sénateurs souhaitent s’attaquer à la «schizophrénie» de la diplomatie française qui consiste à «promouvoir d’un côté l’Accord de Paris [sur le climat, NDLR], de l’autre les intérêts des géants des hydrocarbures». Auditionné par la commission d’enquête, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, «a dit de façon franche qu’il avait pris à Glasgow [lors de la 26ème conférence mondiale (COP26) sur le climat, NDLR] l’engagement que la France ne soutiendrait plus les énergies fossiles, tout en mettant tout en œuvre pour que des firmes comme TotalEnergies gagnent le plus de marchés possibles à l’international», a raconté Yannick Jadot. Où se situera le rapport dans la pile de dossiers qui attend le prochain gouvernement ?
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