Décryptage

La commission d’enquête sur TotalEnergies presse l’État de reprendre les choses en main

Sénat plus possible ! Après cinq mois d’instruction sur la stratégie «expansionniste» de TotalEnergies dans les énergies fossiles, la commission d’enquête sénatoriale pointe finalement l’État du doigt : lui seul peut agir pour infléchir l’action du groupe pétrolier, selon elle.
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Demandée par le groupe écol­o­giste du Sénat, la com­mis­sion d’enquête sur «les oblig­a­tions du groupe Total­En­er­gies» est finale­ment par­v­enue à se fray­er une déli­cate voie de pas­sage au sein de la cham­bre haute, où la majorité de droite a d’abord vu l’exercice d’un mau­vais œil. Ce mer­cre­di, lors de la présen­ta­tion du rap­port final, épais de 350 pages, le prési­dent de la com­mis­sion d’enquête, Roger Karoutchi (LR), a recon­nu que «les débuts ont été ten­dus». Il faut dire que «le sujet est incon­testable­ment sen­si­ble», a euphémisé le rap­por­teur écol­o­giste Yan­nick Jadot.

Pas de réquisitoire contre TotalEnergies

La ligne à ne pas dépass­er pour Roger Karoutchi était «de ne pas faire de réquisi­toire con­tre Total­En­er­gies, de ne pas en faire le seul coupable», a‑t-il insisté. Cela n’empêche pas le rap­port de con­clure sans équiv­oque que les activ­ités et la stratégie de décar­bon­a­tion du groupe ne sont pas com­pat­i­bles avec les impérat­ifs cli­ma­tiques.

«Jusqu’ici, il n’y avait que les asso­ci­a­tions qui l’affirmaient. Cette fois, nous avons eu la con­fir­ma­tion d’experts comme Valérie Mas­son-Del­motte, François Gemenne ou Lau­rence Tubiana, mais aus­si du min­istère de la Tran­si­tion écologique ou de l’Ademe», insiste Yan­nick Jadot.

L’État doit revenir au capital de TotalEnergies

Mais c’est avant tout l’État français qui en prend pour son grade pen­dant la majorité du rap­port. «Une entre­prise com­plète­ment privée ne peut prob­a­ble­ment pas engager seule un change­ment de mod­èle qui frag­ilise sa prof­itabil­ité», insis­tent les auteurs du rap­port, qui rap­pel­lent «le rôle de l’État dans ce domaine» et exi­gent «de sa part des actions déter­minées».

La com­mis­sion presse notam­ment l’État de revenir dans la gou­ver­nance de Total­En­er­gies, dont il s’est désen­gagé au début du siè­cle. Elle pré­conise en par­ti­c­uli­er l’acquisition d’une «action spé­ci­fique» ou gold­en share — un out­il créé à la suite des pri­vati­sa­tions des années 1980 per­me­t­tant notam­ment à l’État de con­serv­er un droit de regard sur les évo­lu­tions stratégiques d’un groupe. Les séna­teurs esti­ment cru­cial d’empêcher le déplace­ment du siège social de Total­En­er­gies aux États-Unis, envis­agé par son PDG, Patrick Pouyan­né.

Clarifier les relations ambigües entre l’État et des entreprises comme TotalEnergies

Les mem­bres de la com­mis­sion souhait­ent égale­ment clar­i­fi­er les rela­tions ambiguës entre les hautes sphères de l’État et la direc­tion du groupe. Ils appel­lent notam­ment à mieux réguler le phénomène des portes tour­nantes (revolv­ing doors) selon lequel «des per­son­nes haut placées dans l’administration rejoignent ensuite les direc­tions privées ou vice-ver­sa», a expliqué Yan­nick Jadot.

De l’aveu de Total­En­er­gies, env­i­ron 10% des cadres dirigeants du groupe ont d’abord occupé des fonc­tions dans le secteur pub­lic. Depuis 2020, la Haute autorité pour la trans­parence de la vie publique (HATVP) a eu à se pronon­cer sur neuf cas de mobil­ités, vers ou depuis le groupe Total­En­er­gies. Mais ses pou­voirs d’investigation sont trop lim­ités, pointent les auteurs.

En finir avec la diplomatie «schizophrène»

Enfin, les séna­teurs souhait­ent s’attaquer à la «schiz­o­phrénie» de la diplo­matie française qui con­siste à «pro­mou­voir d’un côté l’Accord de Paris [sur le cli­mat, NDLR], de l’autre les intérêts des géants des hydro­car­bu­res». Audi­tion­né par la com­mis­sion d’enquête, l’ancien min­istre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Dri­an, «a dit de façon franche qu’il avait pris à Glas­gow [lors de la 26ème con­férence mon­di­ale (COP26) sur le cli­mat, NDLR] l’engagement que la France ne sou­tiendrait plus les éner­gies fos­siles, tout en met­tant tout en œuvre pour que des firmes comme Total­En­er­gies gag­nent le plus de marchés pos­si­bles à l’international», a racon­té Yan­nick Jadot. Où se situera le rap­port dans la pile de dossiers qui attend le prochain gou­verne­ment ?