Reportage

Des centaines de militants pour le climat mobilisés à Paris contre l’assemblée générale de TotalEnergies

Ce vendredi, des actions coup de poing ont eu lieu dans le quartier de la Défense, à Paris, à proximité de la tour TotalEnergies, ainsi que devant le siège d’Amundi qui compte parmi les actionnaires principaux de la compagnie. Le but : dénoncer la stratégie d’expansion du pétrolier qui fête ses cent ans. Vert y était.
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Il était 10h30 ce vendredi et la matinée était plutôt calme avant que les locaux du gestionnaire d’actifs Amundi, dans le 15ème arrondissement de Paris, ne soient soudainement pris d’assaut par plusieurs centaines de personnes. Fumigènes, peinture projetée sur les fenêtres, pochoirs apposés sur les murs et grande batucada entraînante : des activistes membres d’une soixantaine d’associations écologistes sont arrivé·es en fanfare pour dénoncer les financements de l’entreprise à TotalEnergies. À l’aide de marteaux, certain·es ont brisé des vitres de l’immeuble afin de pénétrer dans le hall du bâtiment. Elles et ils ont rapidement été repoussé·es par la sécurité, armée d’une lance à incendie.

Plusieurs dizaines de militant·es ont pénétré à l’intérieur du siège d’Amundi et ont tagué les murs du hall d’entrée © Alexandre Carré/Vert

Cette action coup de poing a été organisée à l’initiative d’Extinction rebellion et d’une soixantaine d’organisations, mobilisées à l’occasion de l’assemblée générale (AG) de TotalEnergies, qui fête ses 100 ans en 2024. Comme chaque année, l’AG de la major pétrolière est l’occasion pour l’ensemble du mouvement climat de dénoncer la stratégie «climaticide» de la compagnie, qui continue d’investir dans des projets d’énergies fossiles malgré les alertes des scientifiques et l’avis de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Plus tôt dans la matinée, cinq grimpeur·ses de Greenpeace ont déployé une vaste banderole depuis le toit du centre commercial CNIT à la Défense, à quelques mètres de la tour TotalEnergies où se tiendrait l’AG de l’entreprise quelques heures plus tard. «Wanted : la société civile recherche le dirigeant de l’entreprise française la plus polluante», pouvait-on lire sur la toile de 100 mètres carrés, où trônait d’une photo du PDG, Patrick Pouyanné.

«On dénonce la stratégie d’expansion de TotalEnergies portée par Patrick Pouyanné au détriment du climat et en dépit des alertes de la communauté scientifique, mais aussi la complaisance de l’État», résume à Vert Edina Ifticene, chargée de campagne pour Greenpeace. La bannière a tenu deux heures avant d’être délogée par la police.

La banderole déployée par Greenpeace sur la façade d’un centre commercial de La Défense, vendredi 24 mai au matin. © Justine Prados/Vert

Une mobilisation de dernière minute à Amundi

Initialement, la mobilisation devait se tenir à proximité du siège de TotalEnergies, mais les forces de l’ordre ont bouclé le quartier de la Défense. Les militant·es se sont rabattus sur le siège d’Amundi en milieu de matinée. Une cible qui ne relève pas du hasard puisque la société de gestion d’actifs est l’un des principaux actionnaires de la compagnie pétrolière.

Bouté·es hors du hall par la sécurité d’Amundi et nassé·es par la police dans un périmètre restreint, les militant·es se sont alors groupé·es sur le parvis du bâtiment pour former un sit-in géant, cette forme de manifestation non-violente qui consiste à bloquer un lieu en s’asseyant. Fanions tendus entre les arbres, ballons colorés sous le soleil : cette guinguette géante a aussi mis en scène des piles de cartons bringuebalants censés représenter «le système qui se casse la gueule».

Les participant·es à l’action ont passé toute la journée devant les locaux d’Amundi, bloqué·es par les forces de l’ordre. © Alexandre Carré/Vert

«Total pollue depuis 100 ans et le fait en toute connaissance de cause, ce n’est pas possible qu’on laisse faire», explique Finette, membre de la batucada, qui arbore des boucles d’oreille multicolores marquées du sceau d’Extinction rebellion. «Les entreprises pétrolières contribuent très largement au changement climatique et ne prennent pas du tout les mesures nécessaires pour faire face au problème», juge à son tour Stephen, un Américain retrait habitué des manifestations pour le climat.

De nombreux collectifs, dont Scientifiques en rébellion, se sont associés à l’événement. «L’anniversaire de TotalEnergies est le symbole parfait de cent ans d’exploitation des énergies fossiles. Nous devons mettre un maximum de pression sur les décideurs et les entreprises pour que les plus puissants soient les plus exemplaires et fassent les plus gros efforts», développe Andrée de Backer, chercheuse en science des matériaux et membre du mouvement.

La parole aux communautés touchées par TotalEnergies

La nasse de la police a duré de longues heures, rythmées par les slogans scandés par les infatigables participant·es : «On est là, on est là, même si Total ne veut pas, nous on est là», «Contre l’extinction, la rébellion !». Des chants entrecoupé·es d’interventions régulières des forces de l’ordre qui exfiltraient les personnes assises une par une.

Plusieurs représentantes de communautés impactées par les projets pétroliers de TotalEnergies ont pris la parole pour exprimer leur gratitude aux militant·es et leur détermination à agir contre la compagnie. «Ils veulent faire taire notre lutte historique pour défendre nos droits et nos peuples sur un territoire ancestral», fustige Marisol Garcia Apagueño, représentante du peuple Kichwa, issu du nord du Pérou. Dans le parc national de la Cordillère bleue, TotalEnergies a pour projet d’acheter des crédits de compensation carbone décriés par les communautés locales. La tête coiffée de plumes colorées et d’un bandeau «Resistencia indigena» («résistance autochtone» en espagnol), elle s’exprime sous les applaudissements de la foule.

Marisol Garcia Apagueño, représentante du peuple Kichwa qui est touché par des projets de TotalEnergies au Pérou. © Alexandre Carré/Vert

«Je crois que le pouvoir des gens est plus fort que les gens au pouvoir», martèle une représentante des populations impactées par le projet Eacop, un immense oléoduc chauffé censé acheminer du pétrole depuis l’Ouganda jusqu’à la Tanzanie.

De longues heures de sit-in

Des personnalités publiques se sont relayées sur place pour apporter leur soutien à l’action. «Vous êtes prêts à tenir un moment ?», lance l’eurodéputée Manon Aubry, mégaphone à la main, avant de venir s’asseoir parmi les activistes sous leur approbation enthousiaste. À plusieurs reprises, la tête de liste La France insoumise pour les élections européennes tente d’apaiser les interpellations musclées des forces de l’ordre.

«Je suis venu dénoncer une situation complètement absurde où Total continue à investir dans le fossile alors qu’on a besoin d’une bifurcation urgente de notre modèle énergétique et de notre modèle tout court», argue David Belliard, adjoint Les écologistes à la mairie de Paris en charge des mobilités. «Je suis très reconnaissante à tous ceux qui ont le courage de mener des actions comme celle-ci», juge de son côté Claire Nouvian, directrice de l’ONG de protection des océans Bloom.

Au-delà du périmètre installé par la police, des passant·es regardent la scène. Tandis que les participant·es se mettent à chanter «c’est pour lui qu’on fait ça !» en pointant du doigt un bambin installé sur les épaules de sa mère, celle-ci le fait tournoyer dans les airs pour donner de la force au mouvement.

Un soutien bienvenu puisqu’à 17h30, soit sept heures après le début de l’action, des militant·es étaient encore sur place, délogé·es et arrêté·es au compte-goutte par les forces de l’ordre. La nasse a finalement été levée vers 19h45, alors que 200 personnes avaient été arrêtées et quelque 150 placées en garde-à-vue. Au-delà des interpellations brutales menées par la police, Claire Nouvian a également dénoncé «l’humiliation» imposée aux manifestant·es à qui l’on interdisait l’accès à des toilettes pendant toute la journée, les forçant à se soulager dans la rue à la vue de tous·tes. À quelques kilomètres de là, à la Défense, Patrick Pouyanné a célébré l’AG de son entreprise en réitérant la «nécessaire» mise en production de nouveaux champs pétroliers pour faire face à la demande. Il a été très largement (à 75%) reconduit à la tête de TotalEnergies tandis que la stratégie climatique du groupe a été approuvée par près de 80% des actionnaires – c’est presque 10% de moins que l’année dernière.

Initialement publié vendredi 24 mai en fin d’après-midi, cet article a été mis à jour lundi 27 dans la matinée avec l’ajout du nombre de personnes interpellées et les conditions dans lesquelles elles ont été détenues au cours de la journée de mobilisation.

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