La chronique

Cédric Villani : «Le printemps, c’est le temps des contestations»

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Printemps de vivre. Dans cette chronique à la fois poétique et politique, le mathématicien Cédric Villani explore les multiples visages de cette saison en mutation, où les floraisons précoces témoignent du réchauffement climatique, où les cortèges fleurissent autant que les cerisiers, et où l’on rêve, malgré tout, d’un printemps sans fin.

Pour Vert, Cédric Villani chronique chaque mois un sujet d’actualité. © Yann Castanier/Montage Vert

Il est arrivé tôt, comme s’il se savait très attendu. Mais son avance ne devait rien à son souhait de nous plaire, il obéit à un maître plus implacable qui lui impose de se lever de plus en plus tôt — Je veux parler du printemps ! Pas le printemps du calendrier, d’une ponctualité d’horloge astronomique, sonnant invariablement entre le 19 et le 21 mars. Mais le printemps biologique, celui du réveil des hibernants, du débourrement, des feuilles verdissant et grandissant presque à vue d’œil.

Car tous nos indices convergent : que ce soient les méthodes de télédétection des couverts végétaux du chercheur britannique Jadu Dash et de ses collègues, ou les équations destinées à prévoir le débourrement des vignes, ou les archives japonaises consignant la date exacte de floraison des cerisiers depuis douze siècles, tout concorde à dire que le réchauffement climatique force le printemps à survenir de plus en plus tôt… cela fait quand même deux semaines en 30 ou 40 ans, et ce rythme est complètement inédit dans notre histoire. Effrayant sans doute, et pourtant beau de voir cette convergence des arts humains étudiant ce phénomène vital entre tous. Et nos horloges biologiques sont conditionnées pour se réjouir du printemps, alors bouder serait contre-nature !

Au printemps de quoi rêvais-tu ?

C’est le temps des petits et grands espoirs, et quel que soit l’âge, c’est le bon temps pour planter son potager. Avec espoir et humilité, car c’est aussi la délicate saison des gelées subites, des attentes déçues et des douches froides. En somme, la saison idéale pour se préoccuper de la vie et de la mort dans notre environnement ! Au hasard des informations, voici un site spécialisé qui nous annonce que la mortalité des abeilles sera trois fois plus importante ce printemps qu’au printemps dernier, et très classiquement incrimine alimentation et parasite, oubliant soigneusement de désigner l’ennemi public numéro 1 des insectes et du printemps, hier comme aujourd’hui, les pesticides !

Le printemps, c’est le temps des contestations — Choisis ta manifestation camarade, il y a l’embarras du choix, jusqu’à quatre manifestations nationales en ce premier weekend d’avril ! Pour ma part, j’ai tout naturellement marché contre les pesticides, m’insérant dans ce Printemps bruyant auquel ont répondu citoyens et collectifs à l’appel d’Extinction rebellion et de Scientifiques en rébellion. Un Printemps bruyant pour conjurer le spectre du Printemps silencieux, celui d’une pluie de pesticides éteignant toutes les petites flammes de la vie grouillante.

Et pour qui a les yeux rivés sur les remous internationaux, en Israël aussi en ce printemps on défilait contre le gouvernement, enfin, et au milieu du fracas des massacres refleurissait timidement dans les gorges des manifestants un chant qu’on croyait oublié, Shir la Shalom, le chant de la paix.

Au printemps de quoi doutais-tu ?

On parle toujours de printemps pour les embellies remuantes de la société, sans toujours réaliser ce que cela suppose d’éphémère – puisque, par définition, après un printemps viendra un hiver ! Printemps des peuples, Printemps arabe, Printemps de Pékin, on connaît la chanson, tous après l’embellie ont abouti à une régression qui souvent s’avéra pire encore que le mal initial.

Même le printemps d’amour de Mai-68 connut ses retours de bâton et ses dégrisements. Réconciliation de l’humain avec la nature ? Bah, les populations de vertébrés sauvages ont été divisées par quatre depuis lors. Réconciliation des humains entre eux, libération sexuelle ? Bah, sous nos cieux, on fait moins l’amour en 2025 qu’en 1970 ; en fait, on passe plus de temps à caresser la peau des écrans que celle des humains.

On en a des sujets de doute pour alourdir nos cerveaux en ce printemps !

Au printemps de quoi riais-tu ?

Et pourtant, c’était aussi un temps à se réjouir. La marche Printemps bruyant était vraiment réussie et riante. Elle n’a pas été couverte, ou si peu, par les médias nationaux qui n’avaient d’yeux que pour les manifestations plus politiques, pour ou contre les fachos, pour ou contre les décisions de justice. Elle n’a pas attiré les heures de commentaires cycliques dans les matinales. Mais elle était joyeuse, colorée, chantante, familiale. Les slogans cocasses accablaient les poisons d’avril et les semailles de béton qui ne donnent «que dalle». On s’allongeait à même l’asphalte pour faire les morts ou on se trémoussait sur des airs colorés. On était joyeux de marcher ensemble, fût-ce contre un ennemi puissant, heureux de se compter des milliers et d’opposer à l’immobilité lourde notre mouvement léger dans cet après-midi ensoleillé de printemps.

Au printemps de quoi rêves-tu ?

D’un printemps ininterrompu

🕷️ Cédric Villani est mathématicien, membre de l’Académie des sciences et ancien député (2017-2022) de l’Essonne. Le lauréat de la médaille Fields — l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques — en 2010 est désormais chroniqueur pour Vert. Chaque mois, il nous livre sa plume sur un sujet d’actualité en lien avec les enjeux écologiques.

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