Dans un entretien à Vert, Skender Sahiti Manzoni, de la Direction de l’engagement citoyen de la Banque postale, raconte les origines de ce positionnement ambitieux, les stratégies mises en œuvre pour limiter l’impact des activités bancaires et les obstacles rencontrés dans cette démarche.
Qu’est-ce que qui a poussé la Banque postale à se positionner aussi fortement sur le créneau de la décarbonation ?
Historiquement, on porte dans notre ADN les enjeux de citoyenneté. L’État a confié à la Poste, via la Banque postale, la responsabilité de la mission de service public d’accessibilité bancaire [qui permet à chacun·e d’avoir accès aux services bancaires, NDLR]. Par rapport à d’autres banques, cette obligation a sûrement eu pour conséquence de renforcer une appétence interne sur les thématiques ESG [les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance]. La Poste, c’est aussi une activité de transport et de logistique avec des impacts environnementaux évidents, ce qui a fait que l’on a été très volontariste sur ces questions-là dès le début.
Une partie de l’histoire autour de la décarbonation a commencé avec l’Accord de Paris en 2015, avec des premiers objectifs de réduction d’empreinte carbone. En 2017, la Banque postale s’est engagée à adopter une trajectoire de décarbonation validée par la science à travers la SBTi [«Science based targets initiative», un organisme indépendant piloté par des organisations internationales, dont le Pacte mondial des Nations unies, NDLR]. En avril 2021, la Banque postale a rejoint la «Net zero banking alliance» sous l’égide des Nations unies. Avec quatre autres banques, elle représente les banques européennes au sein du comité opérationnel afin de définir des trajectoires compatibles avec le scénario net zero [soit la neutralité carbone, c’est-à-dire la réduction des gaz à effet de serre et la compensation des émissions résiduelles, NDLR].
En octobre 2021, la Banque postale est devenue la première banque européenne et l’une des premières au monde à avoir une trajectoire de décarbonation validée d’un point de vue scientifique par la SBTi. Ce jalon-là est assez important. Au-delà de la sortie du pétrole, du charbon et du gaz dès 2030, le groupe s’est engagé à atteindre «zéro émission nette» dès 2040. Sous réserve, évidemment, que les États et entreprises prennent des mesures dans ce sens, car les banques ne sont que le reflet de l’économie.
Qu’est-ce qui a concrètement changé dans les pratiques de la Banque postale ?
On ne s’autorise plus à financer des acteurs s’ils ne sont pas engagés dans la transition avec un plan de décarbonation construit de manière crédible et scientifique. Aujourd’hui, dans les majors pétrogazières, il n’y a pas d’entreprise avec un plan qui nous paraît crédible. Notre positionnement sur le sujet est très clair : pas de plan de transition, égal pas de financement et pas d’investissement. Historiquement, la Banque postale a privilégié le financement du développement des énergies renouvelables à celui des fossiles. Cela nous a privés d’opportunités, c’est une évidence, mais on est dans une logique qui vise à renforcer la résilience de notre bilan et accélérer la transformation de l’économie.
À quels obstacles avez-vous été confrontés ?
On manque de méthodologie pour certaines catégories d’actifs : on ne sait pas toujours mesurer leur empreinte carbone et leur attribuer une trajectoire de décarbonation. Il y a aussi une question d’accès aux données qui est assez primordiale. Il est très facile d’obtenir les données des grandes entreprises, qui les publient depuis plusieurs années, mais on va parfois manquer d’informations pour les petites entreprises ou le secteur public.
Par exemple, la Banque postale peut être amenée à financer le boulanger du coin, mais il n’est pas sûr qu’il mesure ses émissions de CO2 ou qu’il ait établi une stratégie de réduction de ses émissions. C’est un peu caricatural, mais cet exemple souligne le fait que l’on n’ait pas encore de données et que l’on ne puisse pas toujours tirer de trajectoire précise pour tout un pan de l’économie. Si l’on prend l’exemple du financement d’un hôpital, qui est une structure publique, on n’aura pas forcément les données sur les émissions liées au fonctionnement de l’hôpital par la suite. Ces informations sont pourtant cruciales.
Ce qu’il faut garder en tête, c’est que les engagements de décarbonation pris à horizon 2040 ou 2050 sont assez largement aspirationnels. Car nous avons un cap, mais on ne sait pas exactement comment y arriver à cause de ces données manquantes et de l’absence de méthodologie. Aujourd’hui, ces difficultés sont les mêmes pour tous les acteurs financiers. C’est pour ça qu’il est essentiel de faire preuve de transparence et de s’appuyer sur des scénarios scientifiques.
Quels sont les points sur lesquels la Banque postale doit encore évoluer dans les années qui viennent ?
Nous allons mettre encore plus l’accent sur les acteurs vertueux. On va développer des politiques pour réorienter nos flux d’investissement vers des acteurs qu’on jugera en transition. Au niveau de la banque, on développe aussi un outil interne appelé l’«indice d’impact global», qui va mesurer les impacts générés par les financements et investissements de la banque. On cherche à le décliner sur l’ensemble de nos activités avec des paramètres adaptés à ces dernières, car les impacts des crédits immobiliers pour des particuliers ne sont pas les mêmes que des crédits accordés à des entreprises, par exemple. C’est encore au stade de la R&D [recherche et développement], mais on espère pouvoir le déployer progressivement à partir de 2023.
Nos engagements sont très ambitieux pour une institution financière, mais il faut distinguer ce qui dépend de nous de ce qui ne dépend pas de nous. On peut avoir des politiques et engagements très forts, mais si la société dans son ensemble ne se transforme pas, les banques seules ne pourront pas le faire. Elles ont un rôle essentiel à jouer, mais elles ne sont pas suffisantes pour transformer toutes la société vers un monde bas-carbone.
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