Entretien

La Banque postale : «On ne finance plus les acteurs qui ne sont pas engagés dans la transition»

Sortir du pétrole, du gaz et du charbon en 2030, atteindre la neutralité carbone en 2040 : la Banque postale s’illustre depuis plusieurs années par une politique volontariste de décarbonation qui la différencie de la plupart des grandes banques.
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Dans un entre­tien à Vert, Skender Sahi­ti Man­zoni, de la Direc­tion de l’engagement citoyen de la Banque postale, racon­te les orig­ines de ce posi­tion­nement ambitieux, les straté­gies mis­es en œuvre pour lim­iter l’impact des activ­ités ban­caires et les obsta­cles ren­con­trés dans cette démarche.

Qu’est-ce que qui a poussé la Banque postale à se positionner aussi fortement sur le créneau de la décarbonation ?

His­torique­ment, on porte dans notre ADN les enjeux de citoyen­neté. L’État a con­fié à la Poste, via la Banque postale, la respon­s­abil­ité de la mis­sion de ser­vice pub­lic d’accessibilité ban­caire [qui per­met à chacun·e d’avoir accès aux ser­vices ban­caires, NDLR]. Par rap­port à d’autres ban­ques, cette oblig­a­tion a sûre­ment eu pour con­séquence de ren­forcer une appé­tence interne sur les thé­ma­tiques ESG [les enjeux envi­ron­nemen­taux, soci­aux et de gou­ver­nance]. La Poste, c’est aus­si une activ­ité de trans­port et de logis­tique avec des impacts envi­ron­nemen­taux évi­dents, ce qui a fait que l’on a été très volon­tariste sur ces ques­tions-là dès le début.

Une par­tie de l’histoire autour de la décar­bon­a­tion a com­mencé avec l’Accord de Paris en 2015, avec des pre­miers objec­tifs de réduc­tion d’empreinte car­bone. En 2017, la Banque postale s’est engagée à adopter une tra­jec­toire de décar­bon­a­tion validée par la sci­ence à tra­vers la SBTi [«Sci­ence based tar­gets ini­tia­tive», un organ­isme indépen­dant piloté par des organ­i­sa­tions inter­na­tionales, dont le Pacte mon­di­al des Nations unies, NDLR]. En avril 2021, la Banque postale a rejoint la «Net zero bank­ing alliance» sous l’égide des Nations unies. Avec qua­tre autres ban­ques, elle représente les ban­ques européennes au sein du comité opéra­tionnel afin de définir des tra­jec­toires com­pat­i­bles avec le scé­nario net zero [soit la neu­tral­ité car­bone, c’est-à-dire la réduc­tion des gaz à effet de serre et la com­pen­sa­tion des émis­sions résidu­elles, NDLR].

En octo­bre 2021, la Banque postale est dev­enue la pre­mière banque européenne et l’une des pre­mières au monde à avoir une tra­jec­toire de décar­bon­a­tion validée d’un point de vue sci­en­tifique par la SBTi. Ce jalon-là est assez impor­tant. Au-delà de la sor­tie du pét­role, du char­bon et du gaz dès 2030, le groupe s’est engagé à attein­dre «zéro émis­sion nette» dès 2040. Sous réserve, évidem­ment, que les États et entre­pris­es pren­nent des mesures dans ce sens, car les ban­ques ne sont que le reflet de l’économie.

Qu’est-ce qui a concrètement changé dans les pratiques de la Banque postale ?

On ne s’autorise plus à financer des acteurs s’ils ne sont pas engagés dans la tran­si­tion avec un plan de décar­bon­a­tion con­stru­it de manière crédi­ble et sci­en­tifique. Aujourd’hui, dans les majors pétrogaz­ières, il n’y a pas d’entreprise avec un plan qui nous paraît crédi­ble. Notre posi­tion­nement sur le sujet est très clair : pas de plan de tran­si­tion, égal pas de finance­ment et pas d’investissement. His­torique­ment, la Banque postale a priv­ilégié le finance­ment du développe­ment des éner­gies renou­ve­lables à celui des fos­siles. Cela nous a privés d’opportunités, c’est une évi­dence, mais on est dans une logique qui vise à ren­forcer la résilience de notre bilan et accélér­er la trans­for­ma­tion de l’économie.

À quels obstacles avez-vous été confrontés ?

On manque de méthodolo­gie pour cer­taines caté­gories d’actifs : on ne sait pas tou­jours mesur­er leur empreinte car­bone et leur attribuer une tra­jec­toire de décar­bon­a­tion. Il y a aus­si une ques­tion d’accès aux don­nées qui est assez pri­mor­diale. Il est très facile d’obtenir les don­nées des grandes entre­pris­es, qui les pub­lient depuis plusieurs années, mais on va par­fois man­quer d’informations pour les petites entre­pris­es ou le secteur pub­lic.

Par exem­ple, la Banque postale peut être amenée à financer le boulanger du coin, mais il n’est pas sûr qu’il mesure ses émis­sions de CO2 ou qu’il ait établi une stratégie de réduc­tion de ses émis­sions. C’est un peu car­i­cat­ur­al, mais cet exem­ple souligne le fait que l’on n’ait pas encore de don­nées et que l’on ne puisse pas tou­jours tir­er de tra­jec­toire pré­cise pour tout un pan de l’économie. Si l’on prend l’exemple du finance­ment d’un hôpi­tal, qui est une struc­ture publique, on n’aura pas for­cé­ment les don­nées sur les émis­sions liées au fonc­tion­nement de l’hôpital par la suite. Ces infor­ma­tions sont pour­tant cru­ciales.

Ce qu’il faut garder en tête, c’est que les engage­ments de décar­bon­a­tion pris à hori­zon 2040 ou 2050 sont assez large­ment aspi­ra­tionnels. Car nous avons un cap, mais on ne sait pas exacte­ment com­ment y arriv­er à cause de ces don­nées man­quantes et de l’absence de méthodolo­gie. Aujourd’hui, ces dif­fi­cultés sont les mêmes pour tous les acteurs financiers. C’est pour ça qu’il est essen­tiel de faire preuve de trans­parence et de s’appuyer sur des scé­nar­ios sci­en­tifiques.

Quels sont les points sur lesquels la Banque postale doit encore évoluer dans les années qui viennent ?

Nous allons met­tre encore plus l’accent sur les acteurs vertueux. On va dévelop­per des poli­tiques pour réori­en­ter nos flux d’investissement vers des acteurs qu’on jugera en tran­si­tion. Au niveau de la banque, on développe aus­si un out­il interne appelé l’«indice d’impact glob­al», qui va mesur­er les impacts générés par les finance­ments et investisse­ments de la banque. On cherche à le déclin­er sur l’ensemble de nos activ­ités avec des paramètres adap­tés à ces dernières, car les impacts des crédits immo­biliers pour des par­ti­c­uliers ne sont pas les mêmes que des crédits accordés à des entre­pris­es, par exem­ple. C’est encore au stade de la R&D [recherche et développe­ment], mais on espère pou­voir le déploy­er pro­gres­sive­ment à par­tir de 2023.

Nos engage­ments sont très ambitieux pour une insti­tu­tion finan­cière, mais il faut dis­tinguer ce qui dépend de nous de ce qui ne dépend pas de nous. On peut avoir des poli­tiques et engage­ments très forts, mais si la société dans son ensem­ble ne se trans­forme pas, les ban­ques seules ne pour­ront pas le faire. Elles ont un rôle essen­tiel à jouer, mais elles ne sont pas suff­isantes pour trans­former toutes la société vers un monde bas-car­bone.