Décryptage

Islam, judaïsme, christianisme, bouddhisme… que disent les religions sur l’écologie ?

Il était une foi. Les religions entretiennent toutes un rapport spirituel au vivant : de l’idée de Création, jusqu’à celle des non-humains. Vert s’est penché sur six traditions religieuses, sur leurs textes sacrés, et sur les liens qu’elles tissent avec la nature et l’environnement, à l’aune des bouleversements écologiques.
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🔥 A l’occasion des dix ans de l’encyclique du pape François Laudato Si’ sur l’écologie, Vert s’associe au journal La Croix pour un partenariat inédit qui a débuté mercredi dernier avec une grande soirée commune à l’académie du Climat, à Paris, autour de cette question : «Les spiritualités, un nouvel élan pour l’écologie ?»

Pendant un mois, Vert publiera, chaque semaine, un reportage ou une enquête autour des spiritualités et de l’écologie. Voici le premier article de cette série, intitulé «Les religions face à la crise écologique».

Les religions ont toutes en commun de penser le rapport entre humains et nature. Bien qu’elles soient parfois utilisées comme un porte-étendard pour semer la destruction, elles prônent chacune à leur manière une forme de respect du vivant.

Ce samedi, les catholiques célèbrent les dix ans de Laudato si’ («Loué sois-tu»), l’encyclique du pape François sous-titrée «sur la sauvegarde de la maison commune». Et, pour l’occasion, Vert s’est intéressé à la place de l’écologie dans plusieurs traditions spirituelles. Tour d’horizon.

Le christianisme : de la domination à la sauvegarde de la «maison commune»

Dans la Genèse, premier livre de la Bible, Dieu bénit l’être humain et lui dit de dominer la Terre. En 1967, l’historien Lynn T. White publie dans la revue américaine Science Les racines historiques de notre crise écologique, un article au retentissement planétaire. Il y décrit le christianisme comme «la religion la plus anthropocentrique que le monde ait connue». Cet article «va déclencher une grande remise en question dans le christianisme et ouvrir un champ de recherche : la théologie écologique», expose Martin Kopp, théologien protestant à l’université de Strasbourg (Bas-Rhin).

Dans les institutions, l’Église orthodoxe montre la voie avec Bartholomée Ier, surnommé «le patriarche vert». À sa tête depuis 1991, il n’a cessé de prendre des positions très fortes sur l’environnement. Ce sont notamment ses écrits qui ont inspiré le pape François pour délivrer son encyclique Laudato si’, en 2015, dans laquelle il déploie la notion d’«écologie intégrale». Fabien Revol, éco-théologien à l’Institut catholique de Lyon (Rhône) définit cette dernière comme «un véritable cadre pour penser l’action écologique et la vie chrétienne dans son ensemble». À l’occasion de la mort de François, Vert vous avait raconté l’impact de son pontificat sur le monde catholique et son rapport à l’environnement. Léon XIV, élu le 9 mai, s’inscrira-t-il dans sa continuité ? «Frère Léon était un confident de Saint François d’Assise, j’aime y voir un clin d’œil», souligne Fabien Revol, faisant référence à ce «patron céleste des écologistes», des pauvres et des animaux.

Récemment, des organisations chrétiennes en faveur de l’écologie ont vu le jour, comme Lutte et contemplation ou le label Église verte. Et des institutions comme les Scouts de France font bouger les lignes, comme nous vous le racontions début avril. Les croyant·es parlent de «conversion écologique intérieure», explique Caroline Ingrand-Hoffet, qui a gagné son surnom de «pasteure des zadistes» en s’engageant en 2018 contre le chantier du GCO, un projet d’autoroute en Alsace.

Le judaïsme : préserver la terre comme un devoir sacré

La Torah a en commun avec la Bible le même récit de la Création. Dieu fit le monde en six jours et l’Homme en dernier pour qu’il puisse «le travailler et le conserver». «Deux notions qui semblent a priori antinomiques», note Liliane Vana, docteure en sciences des religions et en talmudisme. Mais «c’est justement dans cette tension que s’inscrivent de nombreux mitsvot [les commandements de la loi juive, NDLR]». Aussi bien dans les rituels que dans la culture juive, le rapport à la création est défini dans une éthique de la limite et du soin.

Dans la halakhlah, la loi juive, il est notamment interdit de «faire souffrir inutilement l’animal dont on a la charge», et sa consommation est encadrée par la kashrout, un ensemble des prescriptions alimentaires. Pareillement, l’impératif bal tash’hit («ne détruit pas»), interdit de détruire toute chose dont on pourrait tirer profit. «Dans la mystique juive, Dieu est présent partout. Chaque être vivant a une étincelle divine qu’il faut respecter, jusqu’au monde minéral», précise Gabriel Hagaï, rabbin orthodoxe séfarade. Selon lui, une parabole issue de la tradition hassidique [courant mystique du judaïsme, NDLR] illustre cette idée : «Un jour, un rabbin marchait avec son disciple, lequel a arraché une feuille sans faire attention. Le rabbin lui a alors dit : “J’ai mal à ma feuille”.»

Dans le judaïsme, le temps est «sacralisé». À l’image de Dieu qui créa l’univers en six jours et se reposa le septième, le judaïsme prévoit un jour de repos dans la semaine, le shabbat. De même, une année sabbatique est prévue tous les six ans pour les terres agricoles : la shmita. Aujourd’hui, des courants juifs issus de plusieurs traditions développent une pensée environnementale, avec des mouvements comme éco-kashrut, créé aux États-Unis dans les années 1970 pour aligner pratiques traditionnelles et écologiques.

L’islam : le monde comme dépôt sacré confié à l’humain

Dans l’islam et son livre sacré le Coran, «le monde créé par Dieu est comme un livre ouvert où [l’Homme] peut lire les signes du Créateur», explique Marc Abd ar-Rashîd Bossa, de l’Institut des hautes études islamiques. La création est confiée à l’humain en tant que califat, ou vicaire sur Terre. Ce rôle de gardien d’un «dépôt sacré» implique une responsabilité éthique.

Dans la philosophie arabo-musulmane et la falsafa – tradition médiévale –, plusieurs textes peuvent être lus comme écologistes avant l’heure. Éric Marion, professeur agrégé de philosophie, les a exhumés dans Écologie et pensée arabe (Mimésis, 2023). Il y analyse Le philosophe autodidacte, roman du philosophe Ibn Tufayl rédigé au 12ème siècle : «Un enfant qui grandit seul sur une île en ne connaissant rien de la tradition coranique va devenir un humain parfait du point de vue du cœur. Il va se demander comment survivre en élaborant une éthique de la sobriété. Car quand il abime la nature, il s’abime aussi.»

Dès le siècle dernier, des penseur·ses ont vu dans l’islam des clés pour répondre à la crise écologique, c’est le cas de l’intellectuel iranien Seyyed Hossein Nasr dans L’Homme face à la nature. La crise spirituelle de l’homme moderne, publié en 1978.

Si l’écologie a pu être vue comme un «angle mort» de l’islam, ces dernières années plusieurs initiatives ont vu le jour. En février 2024, un regroupement de théologiens a publié Al-Mizan, un appel pour une écologie islamique qui se veut «à l’image de l’encyclique Laudato si’, un appel mondial à répondre aux cris des peuples et de la Terre». On peut aussi citer la très active Fondation méditerranéenne du développement durable Djanatu Al-Arif, en Algérie. Ainsi que le cas de l’Indonésie, pays où les Musulman·es représentent 87% des croyant·es, et qui voit se développer un très fort mouvement d’«islam vert».

Le bouddhisme : une écologie de l’interdépendance

Contrairement aux trois religions monothéistes, «le bouddhisme ne possède pas d’idée de création», expose Kankyo Tannier, nonne bouddhiste de tradition zen – une branche japonaise qui met l’accent sur la méditation. Au cœur de cette religion, on trouve l’idée d’interdépendance (pratityasamutpada), aussi appelée «coproduction conditionnelle» : aucun être, aucune chose n’existe isolément. Ce principe fonde une vision écologique globale, où tout impact sur le monde affecte l’ensemble du vivant. Loin de considérer la nature comme une ressource, le bouddhisme invite à s’y relier dans une posture d’écoute et de respect. «La pratique de la méditation, au cœur du zen, aide à ressentir cette notion d’interdépendance», appuie Kankyo Tannier. Dès les années 1980, la chercheuse et militante américaine Joanna Macy s’était inspirée des théories bouddhistes pour développer un autre rapport à la terre.

La statue du Bouddha de Tian Tan, à Hong-Kong. © Béria Lima de Rodríguez/Wikimedia

Siddhartha Gautama, qui n’est autre que le Bouddha «historique» et fondateur du bouddhisme au Ve siècle avant notre ère, médita pour connaître l’origine de la souffrance sur Terre. Au terme de sa méditation, il désigna «la soif, c’est-à-dire l’avidité, car il y a en nous des manques et des insatisfactions». C’est ainsi que, dans le bouddhisme, les changements de la société viennent dans un premier temps de changements individuels, «car cette soif des individus est trop dommageable pour la Terre». Le végétarisme, la simplicité volontaire de l’existence et le non-attachement, principe qui reconnaît la valeur éphémère du matériel, sont valorisés.

Pourtant, ce travail sur soi peut s’accompagner d’un engagement dans le monde. Il s’agit «de montrer l’exemple», selon Kankyo Tannier, qui a fondé un éco-lieu et refuge animalier à côté de son monastère en Alsace, et qui s’est engagée au sein de l’association interreligieuse GreenFaith. Le Dalaï-Lama, ou le moine bouddhiste et essayiste français Matthieu Ricard, ont aussi fait de l’écologie un axe fort de leur enseignement.

L’hindouisme et l’équilibre cosmique du monde

L’histoire de l’hindouisme est liée à celle de l’Inde : cette religion rassemble 94% des croyant·es du pays. Par ailleurs, elle est l’une des plus anciennes encore actives au monde. Dans son ouvrage Trois mille ans d’écologie indienne (Seuil, 2024), la professeure émérite à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) Annie Montaut estime que «la pensée cosmique de l’Inde ancienne [est] au fondement de toute “écologie”». Le concept clef est celui de la Dharma, une loi qui régit l’équilibre de l’univers propre à chaque être : homme, cheval, pierre.

Dans l’hindouisme, aucune distinction n’existe entre nature et culture, «l’idée de l’humain est nouée à celle de l’ordre cosmique, et aux éléments fondamentaux qui le constituent – terre, feu, eau, air, ciel». L’hindouisme contemporain conserve le caractère sacré des éléments, incarné dans des divinités comme le fleuve Gange, les montagnes Nanda Devi et Annapurna, et les bois sacrés, aux nombres de 100 000 à 150 000 en Inde.

L’humain étant doué de conscience, il est en capacité de modifier le monde. Sa boussole morale, selon l’hindouisme, est le principe d’ahimsa, non-violence envers toute forme de vie. Le karma renforce cette responsabilité : chaque acte marque notre âme, atman, pour toutes les vies qu’il lui reste à vivre – puisque l’hindouisme suppose l’idée de réincarnation.

«Cette pensée de l’interconnexion entre les éléments est toujours vivante dans l’esprit qui anime les pratiques et les luttes écologiques de l’Inde contemporaine», note Annie Montaut, et s’incarne par exemple dans des projets d’agroécologie basés sur une gestion ancienne de l’eau et des forêts.

L’animisme : cohabiter avec un monde habité

L’animisme, qui n’est pas une religion à proprement parler, vient du latin animus, qui signifie «esprit» ou «âme». Le terme est utilisé la première fois par l’anthropologue britannique Edward Tylor dans Primitive Culture (1871), pour définir la spiritualité de cultures dites «primitives», laquelle prête une âme aux éléments du vivant. Dans Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005), l’anthropologue Philippe Descola fait de l’animisme une «ontologie», c’est-à-dire une manière d’être au monde, par opposition au naturalisme, à l’analogisme, où il existe un nombre infini de singularités, et au totémisme, où intériorité et physicalité se confondent.

Le naturalisme est celui de nos cultures occidentales modernes, qui envisagent la «nature» séparée de la culture. Descola définit l’animisme, qu’il a observé chez certains peuples d’Amazonie, son terrain d’étude, comme «l’imputation par les humains à des non-humains d’une intériorité identique à la leur», malgré leur «physicalité» différente. Les non-humains incluent animaux, végétaux, objets et éléments. Plusieurs penseurs et courants de l’écologie ces dernières années ont désigné l’animisme comme une manière de «réparer» notre rapport au monde. Des luttes écologistes menées par des peuples autochtones, en Équateur ou au Canada, sont montrées comme des exemples.

Mais, cette notion a fait l’objet de critiques pour ses biais occidentaux. «En valorisant l’animisme, la pensée contemporaine semble rejouer un fantasme du lointain», expose par exemple le philosophe Mohamed Amer Meziane, dans Au bord des mondes (Vues de l’esprit, 2023). Pour éviter ce travers, l’anthropologue Nastassja Martin, spécialiste des sociétés du Grand Nord, développe dans À l’est des rêves. Réponses even aux crises systémiques (La Découverte, 2022), une approche «historique» et «politique» qui n’envisage pas la spiritualité et le rapport à la nature en dehors de contextes situés.

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