Le 13 mars 2013, dans la chapelle Sixtine à Rome, le cardinal argentin et archevêque de Buenos Aires Jorge Mario Bergoglio, élu pape quelques minutes plus tôt, doit choisir son nom. Ce sera François – Francesco – en hommage à Saint-François d’Assise, «patron céleste des écologistes», des animaux et des pauvres. Le ton est donné. En douze années de pontificat, François aura placé, comme jamais auparavant, l’écologie au cœur de l’Église.
L’encyclique Laudato Si’, un puissant texte de rupture
«Une surprise au-delà de mes espérances, une immense consolation de me sentir confirmée dans mon engagement écologique au sein d’une Église très majoritairement indifférente.» C’est ainsi que Laura Morosini, ancienne porte-parole des Amis de la Terre France, décrit son ressenti à la découverte l’encyclique du pape François Laudato Si’ («Loué sois-tu»), prononcée en 2015.
Sous-titré, «sur la sauvegarde de la maison commune», ce texte qui mêle théologie, analyse sociale, et données scientifiques, marque une rupture théologique. Pour la première fois, un chef religieux de cette envergure désigne sans détours la responsabilité humaine dans la destruction du vivant avec une perspective politique. «C’est sans doute l’encyclique la plus lue de l’Histoire du christianisme», estime celle qui est depuis devenue directrice Europe du mouvement Laudato Si’, créé pour accompagner la transition écologique des institutions catholiques à travers le monde.
Depuis, le texte a été salué par de nombreuses ONG, repris par des responsables politiques et des philosophes, étudié dans des universités séculières. Pour l’Église, il est devenu une feuille de route. Des diocèses s’en sont emparés, des formations ont été mises en place. Le Vatican a entamé sa propre mutation : passage aux énergies renouvelables, objectif de neutralité carbone, réhabilitation des bâtiments.
La force de Laudato Si’ tient dans sa proposition centrale : l’écologie intégrale. «Pour lui, l’écologie n’est pas qu’environnementale, elle est aussi sociale, économique, spirituelle et politique», explique à Vert Cécile Renouard, philosophie, religieuse de l’Assomption et fondatrice des Campus de la Transition, organisme de formation voué à la transition écologique. Ce qui était en jeu avec le pape François, «c’est la qualité des relations à soi, aux autres, aux vivants, à la création et à plus grand que soi, que ce soit le Dieu chrétien ou toute autre forme de transcendance.»
Une écologie politique et sociale
Loin d’être un texte contemplatif, Laudato Si’ est profondément ancré dans les réalités matérielles et systémiques de la crise environnementale. Le pape François y a dénoncé par exemple «le paradigme technocratique» et le «consumérisme compulsif», évoqué une «dette écologique» des pays riches envers les pays les moins développés. Il s’agissait pour lui d’écouter «le cri de la terre et le cri des pauvres». Une référence au courant de la «théologie de la libération» favorable à une justice sociale radicale, porté par des voix comme Leonardo Boff, théologien brésilien et source d’inspiration pour le Laudato Si’.
Comme Vert vous l’avait raconté, l’idée «d’écologie intégrale» a été dévoyée depuis par une partie de l’extrême droite pour servir ses idées. Pourtant, le pape François n’a cessé de lier questions environnementales et sociales, à l’image de son engagement envers les personnes exilées.
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Le 2 février 2020, dans le texte Querida Amazonia («Chère Amazonie») publié au terme d’un synode, réunion d’évêques, autour de l’Amazonie, il dénonce une nouvelle forme de «colonisation» vis-à-vis de l’écosystème amazonien et des peuples qui y vivent, et les entreprises qui sèment «injustice et crime».

En 2023, huit ans après le Laudato Si’, François prolonge sa réflexion avec un nouveau texte dédié à l’écologie : Laudate Deum («Louez Dieu»). Avec un ton plus alarmant, il insiste sur l’importance d’agir. «Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même, et rien ne garantit qu’elle en fera bon usage». Il adresse ce texte en particulier aux participants de la 28ème conférence mondiale (COP28) sur le climat qui se tient cette année-là à Dubaï (Emirats arabes unis), espérant un sursaut.
L’avènement d’une «génération François»
Pour les fidèles, «il y a eu un avant et un après François, un avant et un après Laudato Si’», témoigne Adrien Louandre, chargé de mission «fresque écologie et pauvreté» au Secours Catholique et membre du collectif chrétien et écolo Lutte et contemplation. Converti au catholicisme il y a dix ans, l’année de publication de l’encyclique, il situe ce texte comme un tournant aussi collectif que personnel : «il a donné pleinement une autre dimension à l’écologie. J’ai enfin pu être fier de qui j’étais.»
Des jeunes catholiques comme Adrien Louandre se revendiquent volontiers d’une «génération Laudato Si’» ou d’une «génération François». Du nom du défunt souverain pontife, mais aussi de la figure de Saint-François d’Assise. «L’engagement écologiste du pape a permis à toute une génération de se lever, en ressuscitant des intuitions fortes parmi les catholiques qui semblaient en voie de disparition», considère-t-il. Converti au catholicisme en 2020, il évoque plusieurs organisations et lieux militants, écologistes et chrétiens «qui n’auraient sans doute pas vu le jour sans le pape François», comme le café associatif parisien le Dorothy, Lutte et contemplation ou encore le festival des poussières du collectif Anastasis.
«Créer des ponts»
Ce rayonnement dépasse les seuls cercles catholiques. «Le défi écologique investi par François a été particulièrement propice au dialogue et à la collaboration entre chrétiens et croyants d’autres religions – en témoignent par exemple, en France, le label œcuménique Église verte [pour les communautés chrétiennes souhaitant s’engager dans l’écologie, NDLR] ou les actions interreligieuses de Stop EACOP [mouvement d’opposition à ce projet d’oléoduc mené par TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie, NDLR]», estime Martin Kopp, théologien écologique protestant, chercheur associé à l’Université de Strasbourg et engagé au sein de l’ONG interreligieuse Greenfaith.
Au-delà même de la chrétienté et du dialogue interreligieux, que le pape François appelait de ses vœux, ses prises de positions écologiques ont permis de «créer des ponts avec les sphères politiques et militantes écologistes, estime Timothée de Rauglaudre, journaliste indépendant et écrivain spécialiste des questions religieuses. Il a légitimé le militantisme écolo et la désobéissance civile». On pense par exemple à sa rencontre en 2019 avec la militante Greta Thunberg.
Son successeur, appelé à être élu par un nouveau conclave, est-il voué à poursuivre cet engagement ? «Dans la tradition, il doit y avoir une continuité entre papes. Ce n’est pas possible de défaire l’œuvre d’un prédécesseur, explique Adrien Louandre. Mais ce qui est probable, c’est que le suivant soit plus rassembleur, moins radical.»
Le «pape vert» en six dates :
17 décembre 1936. Naissance de Jorge Mario Bergoglio à Buenos Aires, Argentine
13 décembre 2013. Élection par le conclave, Jorge Mario Bergoglio devient le pape François
18 juin 2015. Publication de l’encyclique Laudato Si’, texte fondateur de l’écologie catholique
2 février 2020. Publication de Querida Amazonia («Chère Amazonie»)
4 octobre 2023. Publication du Laudate Deum, appel à l’action face à la «crise climatique» «adressée à toutes les personnes de bonne volonté»
21 avril 2025. Mort de Jorge Mario Bergoglio à l’âge de 88 ans, au Vatican