La conversation

Impact environnemental du numérique : l’inquiétant boom à venir

À cran géant. De nouveaux chiffres de l’Ademe mettent en lumière l’impact environnemental croissant du secteur numérique, en constante progression. Le poids des équipements, toujours majoritaires dans l'empreinte carbone du secteur, est peu à peu concurrencé par celui des usages, qui connaissent un essor grandissant. La vague de l’intelligence artificielle générative devrait contribuer à les faire encore grimper.
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Le secteur du numérique représenterait 4,4% de l’empreinte carbone de la France : c’est le chiffre que révèle le dernier avis de l’Agence de la transition écologique (Ademe), publié le 9 janvier dernier. Il revoit ainsi à la hausse l’estimation de 2,5% de 2018, qui ne tenait pas compte des data centers (ou centres de données) implantés en dehors du pays et qui nourrissent les usages numériques des Français·es.

Cet article est republié à partir de The Conversation, sous licence Creative Commons. Il a été rédigé par Mathieu Wellhoff, chef du service sobriété numérique à l’Agence de la transition écologique (Ademe). Vous pouvez lire l’article original ici.

Ces nouvelles estimations évaluent que le secteur – data centers, réseaux et terminaux – pèse pour 11% de la consommation électrique nationale. Elles s’appuient toutefois sur des chiffres de 2022, avant l’avènement grand public de l’intelligence artificielle (IA) générative (des outils capables de générer textes et images sur une simple requête) dont on sait, sans en avoir encore de chiffres précis, combien elle est gourmande en énergie. Or toutes les prospectives le montrent : là où tous les autres secteurs mènent des politiques de réduction, le numérique s’apprête à poursuivre une croissance exponentielle.

Retour sur les grandes conclusions de l’étude, qui décortique l’empreinte carbone du numérique : le poids des équipements, toujours majoritaire, est peu à peu concurrencé par celui des usages, qui connaissent avec l’appui des data centers une progression peu susceptible de se tarir.

Ruthedium et antimoine

Selon l’avis de l’Ademe, les équipements liés au numérique (télévisions, ordinateurs et smartphones principalement) représentent la moitié de l’empreinte carbone du secteur. Un impact surtout lié à leur fabrication et à l’extraction des métaux associées : une analyse prospective de l’Ademe en a identifié une cinquantaine dans les 20 équipements numériques les plus fréquents, parmi lesquels elle a mené une analyse prospective sur 25 principaux.

La montée en puissance des data centers constitue un gros pan de l’empreinte carbone du numérique. © Rawpixel

Cinq d’entre eux ont été désignés comme critiques (l’étain, l’argent, le ruthedium, le nickel et l’antimoine) au regard des risques d’approvisionnement qui pèsent sur eux d’un point de vue géopolitique, environnemental et social.

Si les équipements continuent d’augmenter en volume, leur part dans cette empreinte a largement baissé par rapport aux estimations de 2018, qui l’évaluaient à 85%. Une évolution liée au changement méthodologique opéré dans la nouvelle étude, mais sans doute aussi à la mobilisation de certains leviers : l’écoconception des produits, l’allongement de leur durée de vie par des pratiques telles que la réparation (et la mise en place d’indices de réparabilité ou de durabilité prévus par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire de 2021), le reconditionnement ou encore un meilleur entretien des objets.

Une économie de la fonctionnalité, certes balbutiante, commence à émerger, moins centrée sur la possession que sur l’usage et la mutualisation des équipements.

La vidéo : un tiers des impacts environnementaux

En revanche, les travaux de l’Ademe révèlent une autre tendance : la montée en puissance des data centers, qui constituent le deuxième gros pan de l’empreinte carbone du numérique.

Alors qu’ils n’en représentaient que 15% dans la précédente étude, ils pèsent dans cette nouvelle estimation pour 46%, les 4% restants étant liés aux réseaux. D’une part car les centres de données étrangers utilisés pour les usages français ont cette fois-ci été pris en compte, d’autre part parce que ces infrastructures se sont multipliées en France au cours des dernières années. Leur consommation énergétique colossale inquiète autant que leur gourmandise en eau et le rôle qu’ils peuvent jouer en matière d’artificialisation des sols et de tension foncière.

Or, avec les data centers, c’est notre usage du numérique qui est directement en cause : plus nous consommons de numérique, plus nous avons besoin de ces centres de données. Avec les données dont elle disposait, jusqu’en 2022 donc, l’Ademe a déjà tenté de décortiquer nos usages du numérique les plus gourmands. Un travail complexe à mener, où subsistent des zones d’ombre, mais qui met en évidence plusieurs éléments. Par exemple, alors que la vidéo représente environ les deux tiers des flux de données, elle est responsable d’un tiers des impacts environnementaux du numérique. D’où viennent les autres ? Pour le savoir, il reste encore à analyser en détail les différents services numériques (jeux vidéo, usages professionnels…).

Les géants de la tech rompent leurs engagements

Néanmoins, cet équilibre est appelé à évoluer : le déploiement tous azimuts de l’IA générative à des fins diverses devrait faire exploser la consommation énergétique des data centers, sans que l’on puisse évaluer encore de combien. Alors que l’impact de l’IA était jusqu’ici surtout lié à son entraînement et à son réentraînement, son usage – avec des requêtes beaucoup plus énergivores qu’une requête classique – joue aujourd’hui un rôle croissant.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit ainsi entre 2022 et 2026 un doublement de la consommation électrique mondiale liée aux data centers, notamment dédié à l’IA. Les géants de la tech ont en effet annoncé vouloir doubler le nombre et la puissance de calcul des centres de données dans le monde d’ici à 2026. Autrement dit, réitérer en deux ans seulement la croissance des 20 dernières années… et sortir par la même occasion de leurs engagements climatiques.

Or, si la création de data centers est rapide, il faut derrière que la puissance énergétique suive. De grosses incertitudes pèsent sur la disponibilité, à si court terme, d’une énergie suffisante pour répondre à cette demande sans relancer les besoins en énergies fossiles. Miser sur le développement du nucléaire ou des renouvelables pour compenser cette hausse semble un pari très audacieux. D’autant plus que d’autres secteurs ont besoin, eux aussi, dans le cadre de la transition énergétique, d’un accès croissant aux énergies «propres».

Indispensable sobriété

Dans ce contexte, réduire l’impact environnemental du numérique doit passer par de mesures telles que l’allongement de la durée de vie des équipements, l’écoconception des services numériques (plateformes de streaming, jeux vidéo, applications mobiles…) et l’amélioration de la performance énergétique des data centers. Elles auront des effets sur l’impact environnemental du numérique.

Mais elles ne suffiront pas, à elles seules, à compenser les perspectives de croissance inquiétantes du secteur – même en matière d’équipements, dont le renouvellement risque d’être accéléré par les fonctionnalités liées à l’IA et la multiplication des objets connectés – qui exigent aussi de mobiliser le levier de la sobriété. Dès à présent, une réflexion sur nos usages du numérique est indispensable pour discerner ceux qu’il faut diminuer et ceux qu’il s’agit de freiner en amont de leur développement, lorsqu’ils ne sont pas pertinents ou du moins pas prioritaires au regard d’autres enjeux.

À l’échelle de la France, cela passe aussi par une réflexion et une régulation de l’implantation croissante de centres de données, pour tenir compte de leurs impacts locaux (énergétiques, et en ce qui concerne l’eau et l’artificialisation des sols).

Alors que beaucoup d’inconnues demeurent face à l’explosion de l’IA et que, en parallèle, beaucoup d’acteurs brandissent cette révolution comme un outil au service de l’environnement, la prudence est de mise. La France est déjà leader en matière de politiques publiques sur l’impact environnemental du numérique, elle doit poursuivre dans cette logique d’anticipation de l’innovation, mesurer ses effets pour mieux les comprendre et soutenir des solutions plus sobres et plus souveraines, telles que les low tech (des technologies qui répondent à des principes de simplicité, de robustesse et de résilience) et le numérique ouvert.

The Conversation

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