Reportage

«Il m’a confondu avec un sanglier» : dans la Drôme, un joggeur grièvement blessé par un tir de chasseur

Le 23 novembre dernier, alors qu’il courait entre deux villages de la Drôme, Simon Eichenberger, 25 ans, a été blessé par un tir de chevrotine. Immobilisé plusieurs mois et marqué à vie, le jeune homme espère aujourd’hui provoquer une prise de conscience sur la sécurité à la chasse. Il témoigne auprès de Vert.
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«Cette blessure va m’accompagner toute ma vie.» Le 23 novembre, Simon Eichenberger était de passage pour un week-end chez sa famille à Mirabel-aux-Baronnies, un petit village de la campagne drômoise. L’ingénieur du son de 25 ans ne s’attendait pas à prolonger son séjour pour plusieurs mois ; encore moins à le passer dans un fauteuil roulant. Simon Eichenberger a été touché par un tir de chasseur et il est grièvement blessé au genou gauche.

Simon Eichenberger est immobilisé dans son fauteuil pendant au moins un mois. © Moncef Arbadji/Vert

Entre la maison de sa mère et celle de son père, à Vaison-la-Romaine (Vaucluse), il n’y a que dix kilomètres. Comme il fait beau en ce jour de la fin novembre, Simon Eichenberger décide de s’y rendre en courant. Il traverse le village, emprunte des routes goudronnées et des sentiers proches des habitations. Il lui reste moins de dix minutes avant d’arriver quand une explosion retentit. «Je n’avais jamais entendu ce son, c’est comme un choc qui résonne dans tout le corps. Encore aujourd’hui, il me reste dans la tête», décrit-il.

Son regard se tourne alors vers son genou gauche, ou plutôt vers «le trou de la taille d’un bol» qui s’y trouve. Paniqué, il ne fait pas immédiatement le lien entre le bruit et son état. Il s’écroule sur le sol et crie à l’aide. Un homme de 85 ans surgit et se précipite pour appeler les secours. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que Simon Eichenberger réalise que ce chasseur venu l’aider est en réalité l’auteur du tir. «Quand je lui ai posé la question, il a tout de suite avoué. Il m’a dit qu’il m’avait confondu avec un sanglier», relate-t-il, stoïque. Pourtant, le jeune homme est persuadé de n’avoir vu aucune signalétique qui mentionnait la présence de chasseurs sur le chemin.

«Mes jambes sont synonymes de liberté»

Petit à petit, la douleur s’installe. Une douleur «tellement forte que tu ne penses même pas à pleurer», se remémore-t-il. Les secours et ses proches finissent par arriver au bout d’une demi-heure et il est emmené à l’hôpital d’Avignon (Vaucluse). Après plusieurs radios et scanners, il subit une première opération pour nettoyer sa plaie et lui poser des fixateurs qui immobilisent sa jambe. Puis, c’est le flou.

Pendant plusieurs jours, les médecins se demandent s’ils vont devoir l’amputer. «À ce moment-là, je m’effondre encore plus. Je suis quelqu’un qui ne tient pas en place. Mes jambes sont synonymes de liberté», confie-t-il.

Simon Eichenberger nous a accordé un entretien vidéo. © Vert

Ce n’est que cinq jours plus tard qu’on lui annonce la bonne nouvelle : il pourra remarcher. Simon Eichenberger respire enfin. «Je m’en fous si je boite, je m’en fous si je ne peux pas plier la jambe totalement, je vais pouvoir me déplacer avec mes deux jambes», exulte le jeune homme. De retour au bloc opératoire, on lui fait une greffe osseuse et on lui pose trois plaques métalliques ainsi que des vis. Après 23 jours d’hospitalisation, le jeune ingénieur du son rentre chez lui.

Un traumatisme familial

Désormais en convalescence au domicile de sa mère, Simon Eichenberger compte les heures, l’impression de perdre son temps, bloqué sur son fauteuil. «Chaque tâche à effectuer est beaucoup plus longue et fastidieuse qu’à la normale», se désole-t-il. Surtout, il culpabilise de ne pas être le seul à vivre avec le traumatisme. L’image cauchemardesque de sa blessure est gravée dans la tête de toute sa famille. «Certes, je suis le seul physiquement touché, mais on ne pense pas assez aux répercussions sur nos proches qui doivent en plus s’occuper de nos soins», souligne-t-il.

Dans au moins un mois, il pourra commencer la rééducation avec un kinésithérapeute. Même s’il sait qu’il va falloir «redoubler de patience» pour retrouver l’usage de sa jambe, il garde l’espoir de pouvoir un jour courir à nouveau. Mais il sait que rien ne sera jamais plus comme avant.

Simon Eichenberger a porté plainte contre X pour «mise en danger d’autrui», «atteinte volontaire à l’intégrité de la personne» et «violence volontaire ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente». © Moncef Arbadji/Vert

Sans cartilage au genou, ses os risquent de s’user prématurément. Les médecins ont évoqué la pose d’une prothèse à l’avenir, une intervention généralement pratiquée autour de 50 ans puisque la durée de vie de l’implant est limitée. «Si on commence à me mettre une prothèse à 25 ans, je vais devoir la changer à 40 ans, puis à 55 ans et même encore après», souffle-t-il en touchant sa jambe.

Une enquête en cours

Depuis, une enquête préliminaire a été ouverte par la procureure de Carpentras (Vaucluse). Simon Eichenberger a porté plainte contre X pour «mise en danger d’autrui», «atteinte volontaire à l’intégrité de la personne» et «violence volontaire ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente». Cette dernière qualification, de l’ordre de l’infraction criminelle, «est rare pour des incidents de chasse, mais à partir du moment où l’accusé a tiré volontairement, même s’il pensait tirer dans un sanglier, on est sur une violence volontaire», explique à Vert son avocat, Arié Alimi. Le chasseur risque jusqu’à 15 ans de prison.

«On n’est pas dans un pays en guerre, on ne devrait pas risquer de se prendre une balle en sortant de chez soi», alerte le jeune homme. Avec son témoignage, il espère encourager une réflexion sur une pratique de la chasse plus prudente. «Les habitudes évoluent, les gens se baladent plus en forêt et les maisons gagnent du terrain sur la nature. Les règles doivent s’adapter», estime-t-il. À ce jour, pour la saison de chasse 2025-2026, l’Office français de la biodiversité (OFB) a enregistré 54 accidents de chasse, dont 3 mortels.

Pour le moment, Simon Eichenberger ne s’imagine pas se retrouver seul dans la nature. Il sait qu’il va devoir entamer un travail pour limiter les séquelles et pouvoir «retourner sereinement sur des sentiers». Contactée, l’association de chasse Saint-Hubert des Voconces, dont fait partie l’homme mis en cause, n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. De son côté, le président de la fédération de chasse du département a évoqué auprès d’Ici Vaucluse «un accident regrettable».

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