Grand entretien

Guillaume Meurice : «En France, si tu es un bisounours, tu es fiché S»

Guillaume de parole. Comment va Guillaume Meurice ? Y a-t-il des blagues qu’il s’interdit de faire ? L’humoriste, viré de France inter après l’affaire du «Prépucegate», raconte à Vert sa nouvelle vie sur Radio Nova, à la tête de l’émission «La Dernière».
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L’humoriste Guillaume Meurice, chef de bande l’émission «La Dernière» sur Radio Nova, était l’invité du Club de Vert – celles et ceux qui nous soutiennent avec un don mensuel – le 24 juin dernier à Plantation, à Paris (18ème). En public, il a discuté avec Loup Espargilière, rédacteur en chef de Vert. Radio publique versus radio privée, climatosceptiques et extrême droite… il n’a éludé aucune question.

Guillaume Meurice, à Paris, le 24 juin 2025. © Vert

Guillaume Meurice est aussi revenu sur son éviction de France inter – il a depuis saisi les prud’hommes pour licenciement abusif – après avoir répété sa blague sur le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qu’il avait qualifié de «sorte de nazi, mais sans prépuce». Cette phrase lui a valu des accusations d’antisémitisme et une plainte, classée sans suite. Où en est-il aujourd’hui ? Il a répondu.

Loup Espargilière : Guillaume, comment s’est passée cette première saison sur Radio Nova ?

C’était fou ! On a fait beaucoup d’audiences, on ne s’attendait pas à ce que les gens nous suivent. Ça fait toujours plaisir de monter un nouveau concept avec des copains et copines, et de voir qu’on ne fait pas ça tout seul dans son coin. Et puis, je suis le patron : je peux virer des gens, je peux exercer une pression sur eux… je suis un patron toxique ! C’est hyper bien. Je comprends mieux les gens du CAC 40 maintenant.

Quel est le truc le plus tordu que tu aies fait à tes salariés ?

Leur laisser la liberté d’expression totale. Ça les a mis en PLS… On se demandait quand est-ce qu’on allait se prendre des réflexions sur ce que nous faisions – comme ça a pu être le cas auparavant [sur France inter, NDLR]. Et, en fait, non.

«Il n’y a pas de média neutre, économiquement ou politiquement.»

L’accord que nous avons passé avec le propriétaire de la station, Mathieu Pigasse, est : «On vient, mais on veut la garantie d’avoir une liberté d’expression totale.» Il a dit oui. Après, c’est comme pour l’amour : il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ; il n’y a pas de liberté, il n’y a que des preuves de liberté. Force est de constater que, dix mois après nos débuts, on a eu zéro emmerde, zéro coup de pression. Inch’Allah, ça va continuer.

Et ça fait quoi d’être un patron au service d’un riche homme d’affaires ? Est-ce que ça t’a fait cogiter ?

Oui, évidemment. D’ailleurs, on fait nous-mêmes des blagues là-dessus. C’est assez particulier parce que Mathieu Pigasse est un banquier d’affaires… de gauche. Il a appelé à voter Nouveau Front populaire aux élections législatives.

C’est un mec atypique dans le monde des affaires. Donc je ne vois pas tant d’incohérence que ça. Ça nous a permis d’avoir un espace de liberté d’expression. De toute façon, il n’y a pas de média neutre, économiquement ou politiquement.

Loup Espargilière, rédacteur en chef de Vert, a posé quelques questions à Guillaume Meurice, le 24 juin dernier, à l’occasion de «l’apéro du Club». © Vert

L’alternative que nous avions était de faire une émission sur Twitch : Twitch, c’est Amazon. Diffuser sur YouTube : c’est Google. Pour avoir un espace de liberté, et pour pouvoir parler à des gens depuis une tribune, il faut faire des compromis. Pour l’instant, c’est un bon compromis.

Il y a un an, il y a eu l’affaire du «Prépucegate», cette blague que tu as dites et répétée sur le prépuce de Benyamin Netanyahou – et qui t’a valu un passage au tribunal des prud’hommes vendredi 20 juin. Tu peux nous raconter ?

J’ai attaqué France inter aux prud’hommes pour licenciement abusif, entre autres. Je ne vais pas vous résumer tout l’aspect juridique, parce que c’est un peu fastidieux. Mais mon avocat a envoyé 48 pages qui disent ce que l’on reproche à Radio France. Et Radio France avait jusqu’à la veille de l’audience pour répondre. C’est une connerie juridique puisque, du coup, ils ont répondu la veille, et on n’a pas eu le temps de se préparer. On a été obligés de demander le report de l’audience. Ce sont des petites astuces d’avocats… un peu mesquines.

«Je ne peux pas aller chercher des gens par le col de la veste et leur dire d’arrêter de regarder Pascal Praud.»

Ça m’a surpris. Je me disais qu’on allait pouvoir combattre à la loyale, et parler vraiment de droit et du fond de l’affaire. Ils ont préféré repousser la chose.

Mais ce n’est pas grave, je suis assez patient. Ce sera finalement jugé en décembre. Maintenant, nous avons le temps de répondre à leurs conclusions, à eux. Et ainsi de suite, jusqu’à l’audience.

Quel regard portes-tu sur l’évolution de France inter depuis que tu as été évincé ?

Je n’écoute jamais. Pour être honnête, je n’écoutais déjà pas quand j’y étais… Ce n’est pas de la langue de bois, je ne connais pas assez pour avoir un regard précis sur ce qui s’est passé cette année.

J’ai quelques copains qui sont restés à France inter, qui font toujours des chroniques. Chacun essaie de faire ce qu’il peut. Je ne suis pas là pour juger les gens qui sont restés, même si ça me paraît assez compliqué de tenir cette position. Chacun fait ses choix, chacun sa route, chacun son chemin.

Dans tes émissions, la gauche est un petit peu… surreprésentée parmi les invités. On dirait un plateau de Pascal Praud, mais à l’envers…

La droite est toujours surreprésentée, tout le temps, dans tous les autres médias. Donc dès que tu invites quelqu’un qui dit que le réchauffement climatique est un problème ; qui demande si on peut arrêter de tuer les Arabes par paquets de mille ; si on peut arrêter d’avoir une police raciste : tu passes pour un énorme gauchiste. Moi, je me considère comme un bisounours. Dire des trucs comme ça, ce sont des trucs de bisounours. Aujourd’hui, en France, si tu es un bisounours, tu es fiché S. C’est un problème de société, pas un problème lié à la façon dont j’organise les plateaux ou aux invités que je reçois.

Tu n’as pas l’impression de t’adresser uniquement à des personnes qui sont déjà 100% d’accord avec toi ?

Je m’en fous, dans le sens où les gens sont libres de regarder ou pas. Je ne peux pas aller chercher des gens par le col de la veste et leur dire d’arrêter de regarder Pascal Praud pour écouter mes émissions. Peut-être que celles de Pascal Praud sont meilleures que les miennes, ce n’est pas à moi d’en juger.

Je veux créer un espace où cette parole-là est possible et audible. Ce que je fais avec Radio Nova, c’est ça. Évidemment, on ne cautionne pas ce qui se passe dans la quasi-intégralité des médias français. Mais je ne vais pas râler tout seul dans mon coin sur mon canapé. Du coup, je crée un espace où autre chose est possible. Je pense que c’est pour ça que ça marche. Ça n’est pas tant par la qualité de ce que l’on fait, plutôt par l’existence même de ce que l’on fait.

© Vert

Moi, je regarde Pascal Praud : je fais des chroniques sur lui. Ça me rend heureux de regarder Pascal Praud.

Dans le podcast du Monde «Chaleur humaine», tu as expliqué que tu croises parfois des gens de droite ou d’extrême droite qui t’écoutent. C’est vrai ?

Oui, c’est vrai ! Je ne pense pas que ce soit la majorité du genre, comme dirait l’autre. Mais il y a des gens qui me croisent dans la rue et qui prennent un malin plaisir à venir me dire : «Je ne suis pas du tout d’accord avec toi, mais j’écoute toutes tes chroniques !»

Ça m’intéresse de discuter avec ces gens-là, de savoir pourquoi, finalement, ils sont si tolérants. Ils se considèrent comme des intolérants, mais ils écoutent ce que l’on dit. Je pense que les gens de droite ne sont pas autant de droite qu’ils le croient.

«Avant, quand les gens s’offusquaient pour une blague, il fallait qu’ils envoient une lettre.»

À Marseille, j’ai croisé une meuf qui m’a dit : «Je suis l’opposé de toi.» J’ai supposé qu’elle était de droite, et elle m’a répondu : «Pire que ça.» Je lui ai demandé pourquoi elle m’écoutait : «Parce que ça m’énerve. Tu me fais rigoler, je ne suis pas d’accord avec toi, donc ça m’énerve. Et donc j’écoute.» Bizarre ! Donc je pense qu’elle n’est pas du tout une facho. Il aurait fallu qu’on en discute, mais je n’avais pas le temps.

Notre société se polarise, les gens évoluent de plus en plus dans des bulles, des mondes séparés les uns des autres…

Non ! Avant, il y avait les communistes, les gaullistes… Il y a toujours eu des gens qui lisaient Le Figaro, et d’autres L’Humanité. Ça a toujours été polarisé. Une société, c’est une somme de rapports de force. Il y a toujours eu des gens du centre, des gens indécis, des gens qui s’en foutent, des gens très militants : d’un bord comme de l’autre.

Tu n’as pas l’impression qu’il y a des niches sur les réseaux sociaux ? Qu’il y a des algorithmes qui nous mettent dans une case d’où l’on ne peut voir que certains contenus ?

Cite-moi une époque où il n’y a pas eu ça ? Ça a toujours été comme ça.

Avant, tout le monde regardait les mêmes chaînes télé et écoutait les mêmes radios…

Donc, il faudrait regretter ça ? Regretter l’ORTF, le temps où il n’y avait qu’une seule chaîne ? Ça n’a pas de sens. On avait la même «réalité» sous les yeux, mais une «réalité» qui nous était imposée. Je suis très méfiant vis-à-vis des phrases comme : «On vit à une époque où…» Nous vivons à une époque qui ressemble à beaucoup d’autres époques. Ce qui a changé, c’est la technologie : les réseaux sociaux, la vitesse de communication, de diffusion d’une information. Et ça n’est pas neutre.

«Ma limite, c’est : “Est-ce que ça me fait rire ?»

Si je prends les réseaux sociaux comme exemple : le fait qu’on se fasse autant insulter, qu’il y ait autant de pression sur les gens qui prennent la parole, ce n’est pas anodin non plus. Mais c’est systémique, c’est structurel. Avant, quand les gens s’offusquaient pour une blague, il fallait qu’ils envoient une lettre. Ça leur laissait le temps de se désoffusquer.

Aujourd’hui, il suffit de faire un tweet… Alors oui, ça a changé, mais ça n’a pas changé la nature des humains. Ça a changé la structure des sociétés dans lesquelles ils vivent.

Et tu n’as pas l’impression qu’on assiste à une offensive contre la science, en ce moment ?

Le problème, c’est que la science vient contredire [certains mythes]. Dans une société, il y a des dominants et des dominés – et les dominants sont très peu nombreux. Du coup, pour asseoir leur position, ils sont obligés d’inventer des mythes. L’un d’eux, c’est le pouvoir. Pour qu’un mec soit respecté, il faut lui mettre une couronne et il lui faut 18 gardes du corps avec des lances et des épées. Sans ce décorum, c’est juste un gugusse. Et, la science, elle contredit les mythes, elle dit le réel. Le réel, c’est que c’est juste un gugusse.

Le pouvoir a toujours détesté le réel. S’il s’attachait au réel, il ne s’appellerait plus «pouvoir». Sans les autres, «le pouvoir» ne peut rien faire. Il faut que l’on y consente pour qu’il puisse exister.

Quand on faisait des chroniques à la radio devant [l’actuel ministre de la justice] Gérald Darmanin, on le tutoyait. On refusait de jouer le jeu de la déférence. Il n’est ministre que si on l’appelle «Monsieur le Ministre». Sinon, c’est un humain contre un humain.

J’adore le réel, je suis passionné du réel, parce qu’il éclate toute cette mythologie.

Est-ce que tu te dis parfois que tes blagues vont trop loin ?

Mon cadre, c’est la loi française. Ma limite, c’est : «Est-ce que ça me fait rire ?». Ce qui est marrant avec ma blague sur Netanyahou, ce n’est pas tellement la blague, c’est le fait que ce soit une blague validée par la justice française : il y a un procureur qui s’est penché sur la question !

J’ai été auditionné par la BRDP – la Brigade de répression de la délinquance des personnes – à la police judiciaire ; il y a eu une enquête ; et la justice a dit : «Cette blague est validée, vous avez le droit de la faire.»

C’est la seule blague que je suis certain d’avoir le droit de faire en France.

Quelles seront tes prochaines parutions littéraires ? Tu m’avais dit préparer un livre de coloriage… mais il n’est pas sorti, si ?

Si, il est sorti. C’est un pote qui m’a dit : «Je sors un livre de coloriage, est-ce que tu voudrais m’aider ?». Le sujet, c’est le fait que les enfants n’ont pas d’avenir à cause du changement climatique, un truc comme ça. Mais on s’est retrouvés avec un bad buzz sur les réseaux sociaux. Des illustrateurs et illustratrices nous sont tombés dessus parce que notre illustrateur à nous – notre graphiste – a utilisé l’intelligence artificielle (IA).

Ça a ouvert un débat. Moi je n’y connais rien, mais j’ai bien vu qu’il y avait des gens de mon entourage – notamment des dessinateurs et dessinatrices de BD – que ça énervait beaucoup. Des gens que j’estime, dont je pense qu’ils ont de bons arguments, et qui connaissent le sujet. Je les ai appelés pour savoir quel était le problème. Parce que, notre graphiste, je l’avais vraiment vu dessiner ! Il n’a pas juste tapé un prompt [une requête textuelle sur un outil d’IA, NDLR] dans ChatGPT pour fabriquer un dessin. Je l’ai vu faire des croquis, corriger des trucs… En fait, si j’ai bien compris, il a utilisé un outil d’IA qui est intégré dans un logiciel qui s’appelle Adobe Illustrator. Il l’a utilisé pour finaliser ses croquis, lisser les traits, etc. Ça pose plein de questions : à quel moment c’est de l’IA ? À quel moment ça n’en est pas ?

Ensuite, j’ai vu un documentaire sur France 2 qui montrait que c’est un désastre écolo. Pour le coup, l’IA, c’est vraiment de la merde. Donc ça me paraissait compliqué d’assumer un livre qui parlait de crise écologique… en utilisant cette technologie. Et j’ai pris la décision de ne pas faire de publicité pour ce livre. Je considère que c’est une erreur collective, j’aurais dû être plus attentif.

En ce moment, tu fais bad buzz sur bad buzz, Guillaume…

[Rires] J’adore les polémiques, ça ne me dérange pas. Plus sérieusement, ça m’intéresse de comprendre pourquoi les gens sont énervés. Parfois, il suffit de les appeler pour savoir.

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