Entretien

Rejoindre l’Inde sans avion ? Johan Reboul, alias Le jeune engagé, raconte un voyage initiatique dans le film «Shimla»

Voyage de raison. Parcourir plusieurs milliers de kilomètres sans prendre l’avion, voilà le défi que se sont lancés Johan Reboul et Victoria Guillomon, en 2023. De cette épopée jusqu’en Inde est né un film, «Shimla, une fugue des temps modernes», sorti le 26 mai dernier. Entretien avec l’un des deux aventuriers.
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En septembre 2023, Johan Reboul (Le jeune engagé, sur Instagram) et Victoria Guillomon (Nouvel Oeil, sur le même réseau social) se lancent un défi fou, alors même qu’ils ne se sont jamais rencontrés : rallier Shimla – au nord de l’Inde –, sans avion et avec une caméra embarquée.

Cette histoire, c’est celle du film Shimla, une fugue des temps modernes, sorti le 26 mai dernier et programmé dans plusieurs cinémas de France ces prochaines semaines (voir le programme des projections). De la traversée du désert saoudien à celle de villages isolés en Inde, en passant par les rives du Nil et les mangroves du Bengale, Johan et Victoria nous entrainent à la rencontre de celles et ceux qui luttent pour préserver leurs terres face au réchauffement climatique.

Ce récit vise à «repenser notre lien au vivant et à imaginer un futur désirable, avec optimisme et poésie», expliquent les deux réalisateurs, qui seront ce mardi soir sur la scène du cinéma le Grand Rex, dans le 2ème arrondissement de Paris, à l’occasion d’un ciné-débat. Pour en savoir plus sur l’origine de cette aventure, Vert a rencontré Johan Reboul. Avec ses 151 000 abonné·es sur Instagram, le créateur de contenus sensibilise depuis plusieurs années sur les enjeux liés à l’écologie.

Votre film raconte une traversée de l’Europe et de l’Asie jusqu’en Inde, sans avion. Comment est née cette aventure ?

Tout est parti de Victoria. À 18 ans, elle était déjà partie en Inde et avait été profondément marquée par ce pays. Avec le temps, une idée a germé : y retourner, mais cette fois sans avion, pour rester en accord avec ses convictions écologiques. Elle cherchait quelqu’un pour vivre cette aventure à deux. On se suivait sur les réseaux, elle avait vu un mini-documentaire que j’avais réalisé au Liban. Un jour, elle m’a écrit un long message pour me proposer ce projet fou. Et j’ai dit oui. C’est de là qu’est né le film.

Johan Reboul, alias Le jeune engagé sur Instagram. © Johan Reboul

Quel était le but initial de ce voyage ?

À la base, on voulait documenter les enjeux liés à l’eau dans chacun des 19 pays traversés. On pensait que ce fil rouge nous permettrait d’aborder les problématiques environnementales à travers une thématique universelle. L’eau, c’est la vie – mais elle est inégalement répartie, mal gérée, souvent source d’injustices.

Pourquoi avoir choisi Shimla comme destination finale ?

Un contact de Victoria lui avait raconté qu’à Shimla, il ne neigeait plus. Ce point de chute symbolisait la transformation climatique très concrète, visible. Mais, au fil du voyage, notre regard a évolué. Nous nous sommes demandés : pourquoi aller si loin alors que les Pyrénées, à côté de chez nous, font face aux mêmes défis ? Le film a glissé d’un sujet environnemental pur à quelque chose de plus intime, plus humain.

Le film brasse plus large que la seule question de l’eau. Pourquoi ?

En chemin, on a compris que ce voyage était autant une quête intérieure qu’un documentaire. Cela fait dix ans que je m’engage sur les réseaux sociaux autour des questions écologiques. Pourtant, je me sentais impuissant. En rencontrant celles et ceux qui vivent les conséquences du changement climatique au quotidien, j’ai retrouvé du sens à mon combat. Lire des rapports, c’est une chose. Voir des visages, entendre des histoires, c’en est une autre.

Parmi ces rencontres, certaines vous ont-elles particulièrement marquées ?

Oui, notamment Anita, une femme que nous avons rencontrée dans les Sundarbans, au nord-est de l’Inde. Cette région, située sous le niveau de la mer, est extrêmement vulnérable à la montée des eaux. Les habitants y mènent une lutte d’une grande intelligence : ils ne combattent pas la nature, ils s’adaptent. Ils plantent de la mangrove, qui agit comme un rempart naturel contre les inondations. Cette idée de faire avec la nature, et non contre elle, est une leçon que j’ai retenue. De manière générale, on a croisé des personnes d’une résilience incroyable : malgré les difficultés, beaucoup restaient positives.

Johan Reboul et Victoria Guillomon à Shimla, en Inde, lors de leur voyage en 2023. © Johan Reboul

Et la question de l’eau, dans tout ça ?

Elle est restée centrale. Mais on a découvert à quel point elle est liée aux inégalités sociales. En Inde, par exemple, certaines castes vivent sans accès à l’eau courante, tandis que d’autres en disposent en abondance. Et cette pénurie touche surtout les femmes, qui portent la charge des tâches ménagères. Moins il y a d’eau, plus leur quotidien devient difficile.

Mais le climat nous a aussi réservé des surprises : nous avons reçu les plus grosses averses dans des endroits désertiques, et une tempête de neige à Shimla, alors qu’on allait y filmer l’absence de neige ! C’était une façon, quelque part, de nous rappeler que le climat est devenu imprévisible. Et que notre film ne pouvait pas être un documentaire classique.

Vous vouliez éviter l’avion. Y êtes-vous parvenus ?

Pas complètement. L’objectif initial était de rejoindre l’Inde sans avion, mais la réalité nous a vite rattrapés. Certains pays étaient fermés, d’autres compliqués à traverser. On a essayé de rejoindre l’Égypte en bateau depuis la Turquie : impossible. Puis, entre Oman et l’Inde, on n’a pas pu monter sur un cargo à cause des restrictions liées au trafic humain. Nous avons dû prendre un avion…

À un moment, nous nous sommes demandés si ça valait encore la peine de faire un film. Et c’est notre marraine, Flore Vasseur, qui nous a reboostés. Elle nous a dit : «On voit tout le temps des aventuriers qui réussissent tout. Mais échouer fait aussi partie du chemin.» On a compris que ce n’était pas parce qu’on n’avait pas tout réussi qu’on avait échoué.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ? Les plus beaux moments ? Les plus durs ?

Ce sont surtout les rencontres. Un couple d’Allemands qui nous a fait traverser tout le désert d’Arabie saoudite, des inconnus croisés dans un café. Une femme qui nous a invités chez elle à dîner… Ce sont ces moments de générosité qui ont donné toute sa profondeur au film.

Mais il y a aussi eu des phases difficiles : ne pas savoir où dormir, quel transport prendre, être bloqués à une frontière… On a connu des coups de blues. Et, à chaque fois, une rencontre, une main tendue, nous rappelait pourquoi on faisait tout ça.

Le film aborde aussi une dimension plus intérieure, plus spirituelle. C’était voulu ?

Pas au départ. Mais sur la route, on a commencé à se poser des questions sur notre écologie intérieure. Être engagé, c’est bien. Mais si on s’épuise à vouloir sauver le monde sans prendre soin de soi, ça ne tient pas. J’étais sceptique au début. Et puis Victoria m’a aidé à comprendre que si on veut changer le monde, il faut d’abord être aligné avec soi-même.

Le burn-out militant, c’est réel. On parle trop peu de nos émotions, de notre fatigue. Ce film parle aussi de ça. Il invite à se demander : sommes-nous heureux ? Est-ce que notre vie a du sens ?

Quelle est la portée de ce film ?

Je ne veux pas donner de leçon. Je veux créer de nouveaux imaginaires et provoquer des émotions. Le film n’est pas là pour asséner des vérités, mais pour susciter des discussions. Il est politique, oui, mais pas de manière frontale : par les valeurs humaines qu’il transmet. Si les spectateurs sortent de la salle en se sentant touchés, émerveillés, alors on aura réussi.