Décryptage

Gérald Darmanin veut les interdire : bilan d’une décennie de ZAD en France

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Après les affron­te­ments liés aux mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le min­istre de l’Intérieur a promis d’interdire les zones à défendre (ZAD). Ces dernières années, celles-ci ont apporté de nom­breuses vic­toires aux militant·es écol­o­gistes con­tre des pro­jets jugés néfastes pour l’environnement.

Héri­tière de la lutte du Larzac — mou­ve­ment de désobéis­sance civile non-vio­lente con­tre l’ex­ten­sion d’un camp mil­i­taire dans les années 1970, la zone à défendre (ZAD) est dev­enue une référence dans le milieu mil­i­tant de l’écologie. «Si la cel­lule anti-ZAD de Dar­manin arrive main­tenant, c’est la démon­stra­tion que cela représente une men­ace» pour les pou­voirs publics, estime Syl­vaine Bulle, soci­o­logue spé­cial­iste des mou­ve­ments d’émancipation. «Il y a un imag­i­naire très présent, mais en réal­ité très peu passent à cette forme de mobil­i­sa­tion», nuance Vic­tor Vauquois, co-fon­da­teur de l’as­so­ci­a­tion Ter­res de luttes. L’occupation des lieux en vue d’éviter leur destruc­tion, en dévelop­pant au pas­sage des alter­na­tives de vie, a plusieurs fois per­mis de faire bas­culer des pro­jets d’amé­nage­ment. Pas­sage en revues des cinq luttes locales les plus emblé­ma­tiques de ces dernières années.

L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : «la mère des ZAD»

Dev­enue une référence, l’opposition à la con­struc­tion d’un nou­v­el aéro­port près de Nantes a uni, dès 2014, des activistes d’horizons divers dans une occu­pa­tion inédite. Pour pro­téger le milieu naturel du bocage, des cen­taines de per­son­nes se sont relayées pen­dant qua­tre ans afin d’y empêch­er les travaux et dévelop­per des alter­na­tives. L’abandon du pro­jet par le Pre­mier min­istre Édouard Philippe en 2018 en a fait un exem­ple pour les militant·es. «Jusque-là, le réper­toire des luttes écologiques se restreignait au sab­o­tage et petites occu­pa­tions. À par­tir du moment où on prend acte de cette réus­site, les occu­pa­tions plus pérennes avec des activ­ités alter­na­tives et décrois­santes se mul­ti­plient», explique Syl­vaine Bulle, autrice d’Irré­ductibles. Enquête sur des milieux de vie, de Bure à Notre-Dame-des-Lan­des (2020).

Projet EuropaCity à Gonesse : la ZAD comme dernier recours

En Île-de-France, c’est le pro­jet d’un immense cen­tre com­mer­cial sur des ter­res agri­coles à Gonesse (Val d’Oise) qui agrège les con­tes­ta­tions. «C’est une lutte qui dure depuis longtemps, ils ont ten­té toute forme d’opposition et ont fini par recourir à la ZAD», racon­te Vic­tor Vauquois. Après l’occupation des lieux par des militant·es à par­tir de 2018, le pro­jet est finale­ment aban­don­né en novem­bre 2019.

Center Parc dans la forêt de Roybon : «l’inquiétude des grands groupes»

Depuis 2007, le groupe Pierre et vacances souhaitait bâtir un vil­lage de sa chaîne Cen­ter parcs dans la forêt de Cham­baran (Isère) comp­tant mille cot­tages, des com­merces, des restau­rants, et un vaste espace aqua­tique. De con­tes­ta­tions en recours, l’occupation des lieux par des militant·es écol­o­gistes a for­cé le pro­mo­teur du pro­jet à se retir­er en 2020. «Cela démon­tre la force et la men­ace que représente la ZAD pour les grandes entre­pris­es», analyse Syl­vaine Bulle. Elle ajoute : «la duplic­ité d’un mou­ve­ment à la fois hor­i­zon­tal et qui agrège les luttes inquiète beau­coup».

© Alban Leduc/Vert

Aménagement du port au Carnet : la répression comme projecteur

En Loire-Atlan­tique, un pro­jet de «parc éco-indus­triel dédié aux éner­gies renou­ve­lables» porté par le Grand port de Saint-Nazaire menaçait la zone naturelle du Car­net. Celui-ci avait béné­fi­cié d’une procé­dure d’autorisation envi­ron­nemen­tale accélérée à par­tir de 2018. Une ZAD y est instal­lée en 2020. Héli­cop­tère, blind­és, bull­doz­ers et zodi­acs sont mobil­isés pour ten­ter d’évacuer la dizaine d’occupant·es en 2021. Dans la foulée, l’aménageur remet les comp­teurs à zéro en assur­ant n’avoir «aucun pro­jet de con­struc­tion et d’aménagement». Le pro­jet est finale­ment aban­don­né.

Retenue collinaire à La Clusaz : retarder les travaux en attendant le droit

En octo­bre dernier, la dernière ZAD en date a per­mis la mise en pause de la con­struc­tion d’une retenue col­li­naire (un réser­voir arti­fi­ciel d’eau) cen­sée fournir les canons à neige et garan­tir de l’eau potable à la sta­tion de La Clusaz (Haute-Savoie). Celle-ci devait être creusée dans le bois de la Colom­bière, à prox­im­ité d’une zone classée Natu­ra 2000 qui abrite une cinquan­taine d’espèces pro­tégées dont le tétras lyre ou l’aigle roy­al. «La ZAD a per­mis de retarder le début des travaux, […] en atten­dant la déci­sion de jus­tice», racon­te Vic­tor Vauquois. Le tri­bunal admin­is­tratif ordonne la sus­pen­sion du pro­jet en octo­bre 2022 (Vert). «Le recours au droit fait par­tie de l’auto-défense, les occu­pants de Zad ne cessent de recourir au droit pour se défendre», pré­cise Sylvie Bulle. Le min­istère de la Tran­si­tion écologique con­teste désor­mais la déci­sion en cas­sa­tion.