Décryptage

Fête de la musique : faut-il faire écouter du gros son à ses plantes pour qu’elles poussent plus vite ?

Fleur des chants. En ce week-end de fête de la musique, les humains ne seront peut-être pas les seuls à s’ambiancer sur des rythmes endiablés. Depuis une dizaine d’années, la science s’intéresse aux effets des sons sur les végétaux : les vibrations de l’air pourraient les aider à grandir. On vous explique (avec une vidéo de Ta mère nature, en fin d'article).
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Pour aider les plantes, vaut-il mieux leur faire écouter de la musique classique indienne ou un bon vieux morceau de rock ? La question a de quoi surprendre, mais c’est celle que s’est posée la musicienne américaine Dorothy Retallack lors d’une expérience menée sur des fleurs au début des années 1970.

«Il y a des études sur les effets de la musique sur les plantes depuis l’invention du tourne-disque, rembobine pour Vert Adelin Barbacci, biomécanicien au laboratoire des interactions plantes-microbes-environnement de Toulouse. Mais ce sont souvent des pseudo-théories qui se sont développées en marge de la science, avec un côté new age.»

À la frontière entre science et croyance, ces expériences ont été portées par des passionné⸱es de botanique, des agronomes, des artistes… En 1976, le compositeur canadien Mort Garson a même sorti Mother Earth’s Plantasia, un album de musique électronique «pour les plantes… et les gens qui les aiment».

Une nouvelle discipline scientifique

Tout cela est très amusant, mais qu’en dit la science, la vraie, celle qui se base sur des méthodes rigoureuses et publie dans des revues à comité de relecture ? Si les biologistes se sont longtemps désintéressé⸱es du sujet, tout a changé en 2014, selon Adelin Barbacci : «Deux chercheurs américains, Heidi Appel et Rex Cocroft, ont montré que lorsque l’on reproduit des bruits de mastication d’une chenille, la plante étudiée [l’arabette des dames, une “mauvaise herbe” très étudiée dans les laboratoires, NDLR] se mettait à produire des composés chimiques de défense.»

L’étude fait l’effet d’une petite bombe et une nouvelle discipline voit le jour : la bioacoustique végétale. Dans leur laboratoire toulousain, Adelin Barbacci et ses collègues confirment que certaines ondes sonores ont un effet sur les plantes : en les exposant trois heures d’affilée pendant plusieurs jours à un son aigu, ils ont calculé un gain de réponse immunitaire d’environ 25%.

Mieux encore : d’autres expériences se penchent sur l’effet de certains sons sur la croissance ou la production de graines. En 2019, dans une publication de la revue d’écologie du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), un groupe de chercheur⸱ses israélien⸱nes a prouvé que le bourdonnement des abeilles amenait certaines fleurs à produire rapidement un nectar plus sucré, renforçant leurs chances d’être pollinisées.

Une pianiste joue devant des végétaux à Paris. Problème : «On ne sait pas où se situent les oreilles des plantes». © Joe deSousa/Wikimedia Commons

À l’inverse, dans certaines situations, les plantes produisent elles-mêmes des sons. C’est le cas des pieds de tomates ou de tabac, qui connaissent un phénomène dit «de cavitation» lorsqu’ils manquent d’eau : «La sève est mise sous tension et génère des bulles. Celles-ci grandissent rapidement et créent des à-coups de pression qui sortent de la plante, générant des bruits dans les ultrasons», détaille Philippe Marmottant, physicien à l’université Grenoble-Alpes. Ce dernier précise que ce «cri» est un phénomène mécanique et qu’il n’a rien de volontaire.

Grand mystère et petits poils

Pour bien comprendre ces petits miracles, il faut se souvenir que les sons sont avant tout des vibrations de l’air. Ces dernières pourraient donc avoir un effet sur certaines parties des plantes, engendrant une modification de l’expression de leurs gènes (sortes de bibliothèques qui guident le fonctionnement des organismes), avec des réactions sur la croissance, les défenses immunitaires…

«Pour aller au bout de l’explication, il faudrait trouver quels sont les capteurs et prouver que cela engendre une communication significative qui a un rôle dans la vie de la plante», nuance Paul Avelin, directeur du Centre de recherche et d’innovation en audiologie humaine. «Il nous manque une pièce du puzzle, reconnaît Adelin Barbacci. On ne sait pas encore comment les effets de l’onde sonore sont perçus par la plante.»

«Pour prendre une image, on ne sait pas où se situent les oreilles des plantes», complète Philippe Marmottant. Les scientifiques ont pourtant quelques pistes, à commencer par les trichomes. Ces petits poils situés à la surface des plantes pourraient agir comme des récepteurs des ondes sonores. Leur mouvement pourrait déformer les cellules végétales, qui contiennent le matériel génétique.

Beaucoup de plantes disposent de trichomes : ces petits poils pourraient être une clé de compréhension de la perception du son par les végétaux. © Jean-Baptiste Delcroix/Flickr

Autre piste : les canaux ioniques, des sortes de petites portes dans la membrane qui entoure les cellules. Les variations de pression dans les tissus végétaux causées par les vibrations de l’air pourraient les ouvrir, laissant entrer de nouveaux éléments dans les cellules qui conduisent à des réactions biochimiques. Dans les deux cas, ces hypothèses restent à démontrer, nuancent les chercheurs que Vert a interrogés.

C’est le son qui influence les plantes, pas la musique

Malgré le mystère qui entoure les phénomènes microscopiques à l’œuvre dans les cellules végétales, il est clair que certains sons à fréquence stable ont un effet sur les plantes. Mais rien n’a été prouvé concernant la musique, qui est une succession complexe de sons à différentes fréquences plus ou moins aiguës ou graves : «Ce qui compte ce sont les vibrations de l’air, il semble peu important qu’il y ait des variations de notes», explique Adelin Barbacci.

«La musique peut être utile dans le sens où elle fait varier les fréquences, et donc passe par certaines fréquences qui sont plus efficaces que d’autres sur les plantes», précise Philippe Marmottant. Jazz, électro, rap… impossible donc de savoir si certains types de musique plaisent particulièrement aux plantes !

Certains ont pourtant essayer de faire de la musique une solution pour l’agriculture, à l’image du très médiatique Joël Sternheimer, décédé en 2023. Musicien, chercheur indépendant, ce dernier défendait que certaines mélodies pouvaient guider la production des protéines des plantes, et donc favoriser leur croissance ou leurs défenses immunitaires : «Cette correspondance n’a jamais été démontrée scientifiquement, on se rapproche plutôt de l’ésotérisme, avertissent Philippe Marmottant et Adelin Barbacci. C’est une belle histoire, mais qui est sans doute fausse.»

Plus largement, l’effet aujourd’hui démontré de certains sons (et non de musiques) sur les végétaux peut laisser imaginer des pistes pour améliorer les rendements agricoles. «C’est sûr que c’est moins dangereux de diffuser un son que de mettre du glyphosate ou des néonicotinoïdes», sourit Paul Avelin. Toutefois, rappelle Adelin Barbacci, de telles technologies seraient assurément gourmandes en électricité… et sources de pollution sonore.

Faut-il mettre son pot de basilic devant les baffles ? La chronique de Ta mère nature

© Vert