Rassurer les assureurs. C’est peut-être là le véritable projet gouvernemental derrière la « réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture ». Le projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée le 12 janvier met fin au « régime des calamités agricoles ». Depuis 1964, ce dispositif d’aides publiques constituait le principal filet de sécurité des paysans en cas de catastrophe météorologique.
Droits réduits pour les non-assurés
Dans le nouveau système qui doit entrer en vigueur en 2023, la très grande majorité des indemnisations pour aléas climatiques se feront par le biais des assurances privées. L’État n’interviendra plus que dans le cas des « aléas exceptionnels ». Du moment qu’ils prouvent en avoir été victimes, les agriculteurs – assurés ou non – pourront recevoir une compensation financière pour leurs pertes. Seulement, si la réforme aboutit, les droits des non-assurés seront deux fois moindres que ceux des assurés.
En conditionnant le montant de l’aide publique à la souscription d’un contrat d’assurance privée, le gouvernement achève un processus engagé en 2005, lorsque les premières assurances « multirisque climatique » (MRC) sont venues concurrencer le régime des calamités agricoles. Depuis 2010, les « calamités » ne concernaient plus que les cultures pour lesquelles il n’existe pas d’offre assurantielle, comme le maraîchage diversifié.
Pour inciter les agriculteurs à basculer vers le privé, l’État avait alors mis en place une « aide à l’assurance multirisque », soit une subvention qui prend en charge jusqu’à 65 % de la prime (ou cotisation) due à l’assureur. Mais, malgré ces efforts, l’assurance n’a jamais séduit les foules. En 2020, selon l’étude d’impact réalisée en amont du projet de loi, seules 18 % des surfaces agricoles totales étaient couvertes par un contrat d’assurance, laissant vulnérables des pans entiers de l’agriculture.
Hausse des sinistres
Pour Frédéric Descrozaille, député (LREM) et rapporteur du projet de loi, l’enjeu de la réforme n’est rien de moins que de « rendre possible l’adaptation de notre agriculture, dans les années à venir, à un impact du réchauffement climatique qui en changera le visage », indique-t-il à Vert.
Sur ce point, difficile de le contredire. Ces dernières années, les calamités agricoles n’ont cessé d’augmenter, comme l’a rappelé l’épisode de gel de l’hiver dernier. Selon la FNSEA – le syndicat majoritaire, 20 à 30 % de la production fruitière a été perdue, de même qu’un quart de la production viticole. Publié en octobre, un rapport de l’Institut Montaigne révélait que « les pertes de récoltes liées aux sécheresses auraient été multipliées par trois entre 1961 et 2018 en Union européenne ».
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Face à la multiplication des catastrophes, l’ancien régime était décrié par l’ensemble de la profession pour sa lenteur ou encore pour sa faible indemnisation (jusqu’à 35 % des pertes seulement). Mais le choix de généraliser le recours à l’assurance subventionnée est loin de faire l’unanimité. Si la FNSEA s’est dite « en accord avec la réforme », 14 syndicats et organisations – dont Greenpeace et la Confédération paysanne – ont dénoncé un projet de loi « injuste et excluant » dans une tribune parue le 11 janvier.
Responsabilité individuelle
« Avec cette réforme, on considère que les aléas climatiques sont des sinistres individuels. On renvoie la responsabilité sur les paysans comme s’ils étaient en mesure de décider des tarifs d’assurance. Or, on sait que ces tarifs sont trop chers pour une grande partie des exploitants », détaille Denis Perreau, secrétaire national de la Confédération paysanne.
En novembre dernier, les deux principaux assureurs, Groupama et Pacifica (filiale du Crédit Agricole) ont d’ailleurs annoncé une hausse de 10 à 25 % de leurs tarifs en 2022 en prévision de la hausse des sinistres. Les aléas climatiques ont été si intenses ces dernières années qu’ils n’ont pas été rentables pour les assureurs.
En outre, la réforme « exclut aussi des productions essentielles, comme le maraîchage diversifié ou l’apiculture, qui ne sont pas assurables alors qu’elles sont en première ligne face au changement climatique », dénoncent les signataires de la tribune, parmi lesquels l’Union nationale de l’apiculture française et le Syndicat national d’apiculture. Contacté par Vert, le cabinet de Julien Denormandie assure que la loi « intègre bien toutes les filières agricoles », y compris celles pour lesquelles il n’existe pas d’offre assurantielle, sans donner plus de précisions. Sans doute faut-il comprendre que les apiculteurs et les maraîchers auront droit aux aides de l’État, mais seulement au titre d’exploitant non-assuré. Soit une prise en charge deux fois moins importante que ce que toucherait un assuré.
L’Etat se désengage, tout en payant plus cher
« Cette loi, c’est de l’habillage. On nous vend un système de couverture universelle alors que la logique derrière, c’est surtout d’encourager une agriculture rentable, celle des grands céréaliers capables de couvrir des cotisations d’assurance au détriment d’une agriculture de proximité », tance André Chassaigne auprès de Vert. Député (PCF), il fut l’auteur en 2020 d’une proposition de loi en faveur d’un régime public d’assurance et de gestion des risques climatiques (et sanitaires), restée lettre morte.
Là où Dennis Perreau déplore une réforme « actant une fois de plus le désengagement de l’État des questions agricoles », le député de l’opposition croit percevoir un effet autrement plus « pervers ». « On observe un glissement d’une gestion publique vers une gestion privée tout en maintenant le financement public », alerte-t-il. La contribution de l’État au nouveau régime de gestion des risques sera de 600 millions d’euros par an, soit deux fois plus que dans l’ancien système. Or, une bonne partie de ces fonds proviennent de la PAC et financent les aides à l’assurance multirisques. Ils ont donc été prélevés sur l’ensemble des agriculteurs, assurés ou non.
Si l’orientation en faveur du secteur privé est limpide, de nombreuses inconnues techniques subsistent sur la forme finale que prendra le futur système « d’assurance récolte » au 1er janvier 2023. Les franchises et la quantité de dégâts à partir desquelles les aides se déclencheront seront fixées ultérieurement par des décrets. Le texte doit aussi passer les fourches caudines du Sénat, qui le soumettra au vote le 8 février.