Reportage

Emmanuel Macron en Guyane : des annonces décevantes sur l’orpaillage et la pêche illégale

Or sujet. En visite en Guyane, le président de la République a affirmé vouloir lutter contre l’orpaillage clandestin et la pêche illégale, mais les stratégies annoncées sont loin de convaincre. Reportage de notre correspondant.
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En 2023, la pré­fec­ture de Guyane recen­sait encore 400 sites exploités par env­i­ron 7 500 garimpeiros — des chercheurs d’or clan­des­tins — qui en extrayaient 7,5 tonnes par an, con­tre une tonne pour le secteur légal. L’orpaillage clan­des­tin, avec ses lourds impacts envi­ron­nemen­taux et san­i­taires liés à la pol­lu­tion des cours d’eau, est encore très loin d’être éradiqué.

À peine a‑t-il foulé le sol guyanais, à l’aube du lun­di 25 mars, qu’Emmanuel Macron l’a promis : son deux­ième voy­age prési­den­tiel en Guyane doit per­me­t­tre de don­ner «un nou­v­el élan» à la lutte con­tre l’orpaillage illé­gal. Avec le développe­ment de la fil­ière pêche, la sou­veraineté ali­men­taire ou encore de l’industrie spa­tiale, il s’agit d’un des rares thèmes abor­dés en pro­fondeur pen­dant ce voy­age éclair de 36 heures.

Lun­di, en escale à Camopi, ville frontal­ière avec le Brésil du sud-est de la Guyane, le prési­dent a détail­lé Harpie 3 : sa nou­velle stratégie pour lut­ter con­tre ce fléau, qui doit se con­cré­tis­er «dans les trois mois». Il a notam­ment annon­cé un ren­force­ment de la coopéra­tion avec le Brésil, qui a déjà per­mis de réduire le nom­bre de sites illé­gaux sur la com­mune de Camopi. Le thème revien­dra dans les prochains jours, puisque Emmanuel Macron se rend ensuite au Brésil jusqu’au 28 mars, où il doit ren­con­tr­er son homo­logue, le prési­dent Lula.

Emmanuel Macron, en vis­ite à Camopi, le 25 mars 2024. © Ludovic Marin/AFP

Après Harpie 1 en 2008, puis Harpie 2 en 2017, le nou­veau plan Harpie prévoit d’installer des orpailleurs légaux sur les sites exploités clan­des­tine­ment en dehors du Parc ama­zonien de Guyane, afin «d’occuper» le ter­rain. Une annonce peu sur­prenante, qui répond à une demande pres­sante et répétée du secteur minier local.

Un bilan «plus que mitigé»

D’un point de vue économique, cette stratégie per­me­t­tra d’éviter que les ressources aurifères — le pil­lage est estimé à 450 mil­lions d’euros chaque année — ne s’envolent illé­gale­ment vers la Chine ou le Brésil. Elle est pour­tant dis­cutable sur le plan envi­ron­nemen­tal et stratégique.

On le sait d’autant mieux qu’elle a déjà été expéri­men­tée de 2013 à 2015 avec des miniers instal­lés sur une dizaine de sites anci­en­nement orpail­lés. Pub­lié en 2021, le rap­port de la com­mis­sion d’en­quête sur la lutte con­tre l’or­pail­lage illé­gal dres­sait un bilan «plus que mit­igé», notam­ment en rai­son du main­tien des clan­des­tins à prox­im­ité des sites. L’installation de miniers légaux, exposés aux vols et aux agres­sions, néces­sit­erait donc tou­jours le main­tien des forces armées pour les pro­téger.

Les asso­ci­a­tions écol­o­gistes voient car­ré­ment rouge. Certes, les miniers sont légale­ment con­traints de tra­vailler en cir­cuit fer­mé, de ne pas utilis­er de pro­duits tox­iques ou encore de re-végé­talis­er 40% de la sur­face détru­ite à l’issue de l’exploitation. Autant de con­traintes qu’ignorent les orpailleurs illé­gaux, qui utilisent tou­jours du mer­cure (pour sépar­er l’or du min­erai), pra­tique inter­dite depuis 2006 en France.

Pour autant, toutes les entre­pris­es légales ne jouent pas le jeu. En 2018, l’Office nation­al des forêts (ONF) – qui n’a pas de don­nées plus récentes — esti­mait qu’un opéra­teur sur deux ne tenait pas ses oblig­a­tions de revégé­tal­i­sa­tion.

Surtout, l’installation de miniers légaux ne règle pas le prob­lème de la déforesta­tion. «Plus de 32 000 hectares de forêts ont ain­si été sac­ri­fiés, depuis 20 ans, à un rythme d’environ 1 000 hectares par an depuis 2012 — dont plus de la moitié dû directe­ment à la fil­ière légale», rap­pelle par exem­ple l’association Guyane nature envi­ron­nement. C’est juste­ment la mise à nu des sols qui, en favorisant leur éro­sion à chaque grosse pluie, entraine le mer­cure et autres métaux lourds tox­iques présents naturelle­ment dans les sols jusque dans les cours d’eau.

Garde la pêche

À l’occasion d’une vis­ite du marché aux pois­sons de Cayenne, Emmanuel Macron s’est aus­si penché sur le drame de la pêche clan­des­tine. Entre l’annonce d’aides pour renou­vel­er une par­tie de la flotte de pêche vieil­lis­sante ou la lev­ée d’une taxe douanière européenne sur le vivaneau, pois­son phare de la Guyane, le prési­dent a annon­cé la créa­tion d’une infra­struc­ture per­me­t­tant de détru­ire les navires sai­sis au large et con­fir­mé l’arrivée immi­nente d’un nou­veau bateau pour ren­forcer les moyens de con­trôle.

En plus de met­tre à mal le secteur guyanais et d’accroître la pres­sion sur les pop­u­la­tions de pois­sons, la pêche clan­des­tine est large­ment respon­s­able de la qua­si-extinc­tion des tortues luths. Les longues plages sableuses de l’ouest guyanais étaient autre­fois le pre­mier site de ponte mon­di­al de l’animal, inscrit sur la liste rouge des espèces men­acées de l’UICN. En 2023, on ne recen­sait plus que 106 pontes, con­tre 5 000 par an dans les années 2000, soit un déclin de 97%, selon les don­nées du WWF Guyane. Seule­ment, face à cet effon­drement, les annonces pèchent, là aus­si, par leur insuff­i­sance.

Pas de coopération transfrontalière

«Les moyens ne sont pas à la hau­teur de l’ampleur du prob­lème. Dans notre dernier sur­vol, le 23 mars, nous avons vu 39 tapouilles [embar­ca­tions de pêche de la région NDLR], rien que dans l’ouest de la Guyane», tance Lau­rent Kelle, prési­dent de l’antenne locale du WWF. Comme dans le cas de l’orpaillage illé­gal, la coopéra­tion trans­frontal­ière avec le Suri­name voisin brille par son absence et explique large­ment la facil­ité avec laque­lle les clan­des­tins con­tin­u­ent à piller les ressources naturelles guyanais­es.

«On attendait beau­coup d’annonces sur cet aspect-là, mais le prési­dent a les yeux tournés vers le Brésil. C’est bien, mais ce n’est pas là que se con­cen­trent les prob­lèmes», note Lau­rent Kelle qui souhait­erait, par exem­ple, que les aides européennes et français­es au développe­ment dont béné­fi­cie le Suri­name soient con­di­tion­nées à des mesures con­crètes sur les ques­tions d’orpaillage et de pêche illicites.

Par­mi les autres points aveu­gles de sa vis­ite, le prési­dent n’a pas prévu d’intervenir sur la ques­tion énergé­tique, mal­gré plusieurs pro­jets polémiques sur le ter­ri­toire, dont la Cen­trale élec­trique de l’ouest guyanais (CEOG), soutenue par les élus locaux, mais dénon­cée par les pop­u­la­tions amérin­di­ennes du vil­lage de Prospérité. Pas de mot non plus sur la crise de l’eau qui sévit depuis la fin 2023, dans le Haut-Maroni, dont cer­tains vil­lages sont dépen­dants des livraisons de bouteilles en plas­tique depuis le lit­toral.