Qu’est-ce qui a transformé X en un réseau social toxique pour la démocratie ?
Elon Musk en a l’entière responsabilité. Il a racheté Twitter pour des raisons idéologiques. Il le dit lui-même, son objectif est de «détruire le virus woke» — et par «woke», il entend toutes les luttes antiracistes, pro-LGBT, anti-islamophobes, etc. Depuis le rachat, il a insufflé cette idéologie à travers Twitter. Il a modifié l’algorithme pour que des contenus toxiques, en accord avec ses valeurs, soient davantage mis en avant. Ça va jusqu’à la diffusion de fausses informations. Pour cause, il a supprimé toute modération sur Twitter, «au nom de la liberté d’expression», même si c’est souvent au nom de la liberté de harceler. Il s’est aussi mis au centre du jeu : il a trafiqué l’algorithme pour qu’on recommande tout le temps son profil et qu’il soit incontournable. Concrètement, il a racheté les données de 500 millions de citoyens et l’une de leurs fenêtres sur le monde.
Pourquoi quitter X de manière coordonnée ce 20 janvier ?
Aujourd’hui, on est chez X parce que tout le monde est chez X. On ne peut pas partir d’un réseau social tout seul, car la fonction du réseau est de mettre des gens en relation. Il faut déplacer ces relations ailleurs et, si possible, au même moment. Le but est d’avoir une masse critique qui crée l’aspiration et entraîne tout le monde. Nous avons voulu trouver une date mondiale : le 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump, qui a été élu en partie grâce à la propagande diffusée par Elon Musk sur X pendant la campagne.
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Par ailleurs, Musk va entrer d’une manière ou d’une autre dans l’administration Trump et n’aura plus de compte à rendre la justice. Et même si l’Europe continue à réguler les plateformes numériques, les moyens de pression sont énormes pour l’en empêcher. Il n’y a qu’à voir : J.D. Vance [le nouveau vice-président américain, NDLR] a déjà menacé de retirer le soutien des États-Unis à l’OTAN [l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, l’alliance sécuritaire entre l’Europe et l’Amérique du Nord, NDLR] si l’Europe s’attaque trop à Twitter.
Notre collectif dénonce l’instrumentalisation d’un réseau social de cette ampleur à des fins politiques. En tant que citoyens, il est de notre devoir de choisir des plateformes compatibles avec la démocratie, et donc de sortir de X.
Qu’avez-vous mis en place pour faciliter la fuite collective de X ?
Même si les utilisateurs ont conscience du problème avec Twitter depuis longtemps, ils se disent que c’est là où est leur communauté. L’enjeu, c’est que les gens puissent quitter X sans perdre le capital social créé sur le réseau. Pour réussir à quitter un environnement captif, il faut une porte de sortie, et nous sommes venus construire une passerelle pour basculer d’un réseau social à un autre sans perdre ses relations. Concrètement, HelloQuitteX a créé une plateforme de portabilité des connexions entre X et d’autres plateformes – Bluesky ou Mastodon – avec l’aide du Centre national pour la recherche scientifique (CNRS).
X a pour obligation légale de vous donner accès aux données qu’ils possèdent sur vous, et notamment la liste de vos abonnés et abonnements. À partir de ces archives, notre plateforme est capable de vous reconnaître en faisant le lien entre votre compte X et vos nouveaux profils sur Bluesky et Mastodon, et d’ensuite recréer vos connexions. La seule limite, c’est qu’on ne peut pas se reconnecter avec des gens qui ne sont pas sur les nouveaux réseaux, c’est pour ça que le déménagement coordonné est essentiel.
Il y a déjà eu une flopée de départs assez importante au moment de l’élection de Donald Trump, mais cette deuxième vague s’annonce encore plus massive. L’envie de quitter X est présente dans tous les pays. La seule chose qui manquait jusqu’à présent, c’était la portabilité des contacts. Maintenant qu’elle est en ligne, plus rien ne retient les gens sur Twitter.
Quelles sont les alternatives crédibles à X ?
Bluesky et Mastodon sont les seuls qui respectent les droits fondamentaux des utilisateurs. Nos critères sont les suivants : les réseaux sociaux doivent faciliter la portabilité de l’audience et des données – c’est-à-dire permettre aux utilisateurs de basculer sur une autre plateforme –, et rendre possible le pluralisme de l’algorithme, pour que celui-ci n’impose pas qu’une seule vision du monde. Enfin, ils ne doivent pas pouvoir être rachetés par un seul et unique acteur.
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À l’heure actuelle, Bluesky et Mastodon sont les seules plateformes qui vérifient ces trois critères. Les deux sont assez différentes : Bluesky est une entreprise américaine plus avancée sur la question du pluralisme de l’algorithme, tandis que Mastodon est un logiciel complètement décentralisé, et donc plus indépendant sur la question du rachat par un seul acteur. Chez HelloQuitteX, on ne souhaite pas recommander un réseau plutôt qu’un autre. La meilleure solution serait de créer un compte de chaque côté.
On entend parfois dire qu’il faut rester sur X pour porter la contradiction et ne pas l’abandonner aux mains de quelques-uns. Qu’en pensez-vous ?
Cette question est un piège. Il n’y a aucune raison de rester sur un réseau qui ne respecte aucune valeur fondamentale de la liberté d’expression ou du débat public, et où tout est manipulé du sol au plafond. S’il y a le feu dans une pièce, vous n’y restez pas par solidarité : vous aidez les gens à en sortir. Avec HelloQuitteX, on a construit une issue de secours et on appelle les gens à nous suivre.
Au vu des récentes annonces de Mark Zuckerberg concernant Meta, faut-il d’ores et déjà se préparer à quitter Facebook ?
La réponse est oui. Les régimes politiques de demain sont décidés par les choix des réseaux sociaux d’aujourd’hui. Si les utilisateurs ne prennent pas conscience que les réseaux qu’ils utilisent depuis longtemps ont changé de nature, ils font le choix du trumpisme et de l’autoritarisme. Passer à un autre réseau se fait en cinq minutes top chrono – deux pour créer un compte et trois pour transvaser ses contacts avec HelloQuitteX. Cinq minutes dont a besoin la démocratie pour continuer à vivre, je pense que ça vaut le coup.
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