En 2020, un nouveau type de partenariat s’est noué entre Imagine 2050, une société de conseil et de production audiovisuelle à impact et la série Plus belle la vie, qui va bientôt s’achever après 18 saisons sur France 3. Yasmina Auburtin a collaboré pendant plus d’un an avec des auteur·rices de la série pour concevoir des arches narratives autour de l’écologie et de la justice sociale. Elle raconte à Vert les dessous de cette opération inédite et l’importance d’insuffler de nouveaux récits dans les programmes populaires pour sensibiliser le grand public.
D’où est venue l’idée de votre collaboration avec Plus belle la vie ?
Le point de départ, c’est Serge Ladron de Guevara, producteur exécutif pour Telfrance, la société de production de Plus belle la vie. Il est dans une démarche écologique depuis longtemps : à l’époque, il avait déjà fait passer toute la production en éco-production, c’est-à-dire qu’il avait repensé la logistique de la série par le prisme de la transition – au niveau de la gestion des transports, des déchets, de l’approvisionnement de la cantine. Il lui restait à mettre le pied dans la porte du récit pour poursuivre cette démarche. Et là, le destin s’en est mêlé puisqu’il s’est retrouvé assis à côté de Magali Payen, productrice et présidente de Imagine 2050, lors d’un événement à l’Institut des futurs souhaitables. Elle a beaucoup d’expérience dans le cinéma et l’audiovisuel de manière générale et travaille sur les récits à impact. Ça a tout de suite fait sens : Serge s’est dit qu’il avait enfin affaire à des gens qui parlaient le même langage que ses auteur·rices.
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Avez-vous eu des difficultés à mettre en place cette collaboration ?
Lorsqu’on a commencé à organiser des réunions avec les scénaristes, ça ne s’est pas forcément bien passé. Le premier auteur ne comprenait pas ce qu’on pouvait lui apporter et la manière dont on pouvait intégrer l’écologie à son travail, qui est de construire des histoires. Je lui ai demandé : concrètement, de quoi as-tu besoin ? Et il m’a parlé de ce personnage, Lola, une jeune adolescente qui essayait de sensibiliser ses camarades à l’écologie, qui était végane, n’avait plus de téléphone portable et ne se lavait plus. Voilà d’où on partait, il faut imaginer la représentation qu’on avait des écolos dans la série ! La problématique était donc de réfléchir à ce qu’elle pouvait faire de plus.
« Pour beaucoup, l’écologie reste un truc de militant·es énervé·es, les gens ont besoin de sentir qu’il y a au contraire pleins de manières différentes d’en parler. »
Alors, nous nous sommes inspiré·es du combat d’une jeune militante américaine, Julia Hill, qui a vécu pendant deux ans dans un arbre pour éviter qu’il ne soit abattu. Le scénariste est tombé amoureux de cette histoire et on s’est dit : Lola ira se percher sur un arbre. On avait réussi à lui donner de l’inspiration et à combler cette carence d’imagination. Car le problème avec les sujets liés à l’écologie, c’est qu’ils sont souvent complexes et flippants.

Pour beaucoup, l’écologie reste un truc de militant·es énervé·es, les gens ont besoin de sentir qu’il y a, au contraire, pleins de manières différentes d’en parler. C’est notre travail de leur souffler de nouvelles grilles de lecture pour mieux représenter ces sujets-là et raconter des histoires digestes. Il faut trouver de belles histoires, des anecdotes, des enjeux réels et des situations qui peuvent émouvoir et dont on peut « sortir par le haut » plutôt que simplement angoisser les gens.
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Ce travail est déjà fait sur de nombreux sujets sociétaux, comme Octobre rose ou le Sidaction, que des séries quotidiennes comme Plus belle la vie ont bien réussi à intégrer dans leurs narrations. Mais il reste un angle mort sur le volet écolo, que ce soit au niveau des imaginaires qui entourent ces sujets, de la connaissance des thématiques, des acteurs, des enjeux. C’est là qu’on intervient.
Comment avez-vous travaillé avec Plus belle la vie au fil des mois ?
C’est simple : dans les séries criminelles ou hospitalières, il y a des consultants avocats ou médecins, qui sont là pour aider le récit à coller le plus possible à la réalité. Nous, on a été les consultants de l’écologie et de la justice sociale pour Plus belle la vie finalement. Je pense que c’est un rôle assez inédit dans l’histoire des séries françaises.
Concrètement, on intervient à plusieurs moments-clés. Lors des pitchs [lorsque les scénaristes évoquent l’idée de parler d’un sujet en particulier, NDLR] ou des synopsis [les premières ébauches des histoires], on fournit une grosse documentation de base pour cadrer la thématique à l’aide de synthèses du sujet ou encore d’une large revue de presse avec des faits divers et des anecdotes qui peuvent inspirer les auteurs. Ensuite, lorsque l’on se concentre sur des arches narratives en particulier [des aventures qui concernent plusieurs personnages pendant plusieurs semaines, comme celle de Lola], on va travailler sur les dialogues pour s’assurer que ce qui est raconté est tangible et crédible, et correspond aux enjeux qui sont traités.

Enfin, on conseille aussi les auteurs sur les angles morts qui entourent le récit. C’est ce qu’on peut appeler la « pédagogie clandestine ». Il s’agit, par exemple, de s’assurer que les personnages vont d’un endroit à l’autre à vélo plutôt qu’en voiture si ça n’est pas nécessaire, les faire manger dans des restaurants végétariens, penser à la manière dont les logements sont aménagés. Finalement, c’est la toile de fond sur laquelle tu peux tisser un mode de vie, et c’est là où les messages sont les plus efficaces, car ils sont implicites et le public peut s’identifier aux comportements des personnages.
On travaille aussi sur ce qui va venir entourer le récit afin de le porter dans la réalité. Par exemple, on a monté l’opération « Viens on sème » avec des acteurs de la série et des téléspectateurs. On a organisé des événements dans quatre villes françaises pour aller semer des graines. On a finalement embarqué les acteurs en dehors du récit lui-même et on a construit un récit sur les réseaux sociaux, pour passer de l’imaginaire au réel.
Sur un tournage, vous avez convié de vrais activistes, comme Camille Étienne, Julien Vidal ou encore des militants locaux de Greenpeace. Pourquoi avoir fait ce choix ?
C’était un choix assez inédit, on a quand même réussi à mettre autour de la table des militants, des associations comme Agir pour l’environnement ou Greenpeace, avec des cadres de France 3. L’idée était de créer du liant et de toucher des publics beaucoup plus larges : les téléspectateurs de Plus belle la vie ne correspondent pas une cible particulièrement écolo et, à l’inverse, les activistes sont moins présents dans la « culture populaire ». Or, c’est précisément dans cette culture populaire qu’il se passe beaucoup de choses. Plus belle la vie, par exemple, est un feuilleton vu par près de trois millions de personnes : c’est une force de frappe considérable pour toucher l’opinion publique. On voulait organiser une rencontre entre deux mondes en faisant intervenir des militant·es qui portent de vrais combats, parfois autour de Marseille. L’intention était de montrer que les activistes ne sont pas des personnes hors-sols, ce qu’on leur reproche parfois. Ça donnait une dimension encore plus réaliste à la scène.
« C’est essentiel de mettre le pied dans la porte des programmes populaires, car ils parlent à des millions de gens. »
On a aussi eu envie de faire ça pour amplifier le récit sur les réseaux sociaux – de la part des activistes comme de la série -, car cela permettait d’avoir une stratégie d’impact encore plus forte avec, encore une fois, la possibilité de prolonger la narration en dehors de la série elle-même.
La proposition a été accueillie à bras ouverts par toutes les organisations participantes, tout le monde était à fond. Je dis dès le début qu’il faut qu’on banalise l’activisme, qu’on le rende désirable. C’est essentiel de mettre le pied dans la porte des programmes populaires, car ils parlent à des millions de gens.