Rien ne permet de savoir que cette vallée verte, composée de prairies, à quelques kilomètres de la baie de Somme, était autrefois un golf. Rien, sauf ces rectangles de terre au milieu des pelouses, où aucune plante ne pousse à l’exception des orties et des chardons. Inertes et constitués de sable, ces anciens greens, où étaient implantés les 18 trous, sont les derniers signes visibles de la pollution du sol, arrosé d’engrais et de pesticides pendant près de 30 ans.

C’est pourtant pour son intérêt écologique que Xavier Mennesson a décidé de racheter une partie de ce site – qui appartenait à sa famille, laquelle exploitait le golf – situé à Grand-Laviers, en 2023. Propriétaire du domaine du Val, un ensemble d’hébergements touristiques situé en bordure du vallon, il veut en faire un espace naturel protégé. Pour ce faire, au lancement du projet, il a misé à l’aveugle sur la biodiversité du lieu.
Malgré une gestion intensive, des espèces rares ont survécu
Et, après un an d’étude, le Conservatoire d’espaces naturels des Hauts-de-France a validé son intuition : la trentaine d’espèces remarquables présente en fait une zone à préserver. On y trouve pêle-mêle de petits passereaux en danger d’extinction dans la région, des libellules en passe d’être menacées, ou encore des criquets en cours de recolonisation du site. En tout, 201 espèces de plantes, 58 sortes d’oiseaux et presque autant d’espèces d’insectes ont été recensées sur le parcours de 25 kilomètres.

«Malgré les tontes intensives réalisées pendant des années, certaines plantes comme des orchidées protégées ont réussi à survivre, s’étonne David Adam, auteur de l’évaluation. Dans les Hauts-de-France, la terre est globalement très cultivée, chaque parcelle libre est donc intéressante.» Si d’autres golfs ont fait l’objet d’études écologiques dans la région, tous n’ont pas d’intérêt à être protégé.
Fini les tirs de balles, place aux moutons et aux haies
Malgré sa riche biodiversité, le vallon de la Somme aura quand même besoin de dizaines d’années pour gommer les impacts de l’activité sportive passée et dépolluer en partie les sols. «Mais il ne suffit pas de laisser faire», prévient Xavier Mennesson. Débroussaillage, réimplantation de moutons et de haies, le nouveau propriétaire a lancé une série de chantiers pour «renaturer» le lieu.
En suivant les recommandations scientifiques, il espère maintenir la diversité des habitats écologiques, rétablir la santé des prairies sèches et humides, puis permettre le retour d’une activité agricole. Des moutons devraient investir les lieux pour brouter les pousses d’arbustes et ainsi éviter que le site se referme sur lui-même – tout en protégeant les petites plantes, plus rares.

«C’est un projet qui me tient à cœur et donne du sens à mon métier», confie Xavier Mennesson, dont les parents occupaient une ferme sur le terrain pendant son enfance. Transformé en terrain de golf entre 1989 et 2019, le lieu tend désormais à revenir à son statut initial.
Pour financer cette transformation, le chef d’entreprise peut compter sur les revenus générés par sa résidence de tourisme, composée de 30 maisons sur pilotis, construite en 2005 pour favoriser un tourisme qu’il veut «écoresponsable». La nouvelle réserve naturelle s’intégrera alors à l’offre proposée par le site. «Aucun client supplémentaire ne viendra spécifiquement pour ça, mais ça rajoute un service», reconnaît Xavier Mennesson.
Profiter du tourisme, sans en faire un «parc d’attraction»
Pour lier tourisme et protection de l’environnement, un parcours de 3,2 kilomètres, balisé sur l’ancien terrain de jeu, est proposé à chaque visiteur. «Jamais je n’aurais imaginé qu’il y avait un golf ici auparavant, s’étonne le responsable d’un groupe de retraité·es en visite. On a l’image de ce sport réservé aux plus riches, c’est bien que l’on puisse maintenant y avoir accès.» Malgré les panneaux et la brochure, les visiteur·ses peinent encore à respecter toutes les règles de préservation de l’environnement. Certain·es cueillent des fleurs le long du parcours, tandis que d’autres l’utilisent pour faire leur footing. «Il faut rappeler que ce n’est pas un parc d’attraction», soupire le gestionnaire.
Face aux frais importants de gardiennage, il se dit dans l’incapacité d’ouvrir le lieu au grand public – contrairement aux réserves naturelles publiques. Le domaine imagine néanmoins permettre la visite pour des évènements autour de la nature et construire un parcours en bois traversant l’aire protégée à destination des scolaires. Pour financer ces opérations, Xavier Mennesson frappe à toutes les portes. Après avoir obtenu l’appui de la Fondation du patrimoine, il imagine solliciter des subventions et d’autres acteurs privés.
Pour mobiliser le grand public et espérer obtenir jusqu’à 10 000 euros, il lance même une campagne de financement participatif. Avec une ambition : montrer que des espaces naturels protégés peuvent aussi être créés par des acteurs privés.
De l’Australie au Canada, des golfs du monde entier reviennent à la nature
Des États-Unis à l’Écosse, de l’Australie au Canada, les «renaturations» de golfs sont en plein essor à travers le monde.
Pour cause, ce sont de vastes espaces très peu artificialisés qui peuvent facilement changer d’usage. Généralement situés à proximité de sites naturels – comme des cours d’eau –, et aménagés en grandes voies dégagées, les golfs cochent toutes les cases pour devenir de parfaits corridors écologiques.
Et ils sont de plus en plus prisés par les naturalistes. Si la Fédération française de golf indique travailler depuis 2007 avec le Muséum national d’histoire naturelle pour améliorer la biodiversité de certains sites volontaires, d’autres acteurs de la balle vont encore plus loin.
Au Royaume-Uni, des collectivités locales convertissent des terrains de golf municipaux, financièrement non viables, en espaces naturels. En Californie, la renaturation du parcours de golf de San Geronimo, qui détournait l’eau de la rivière pour l’arrosage, a permis le retour d’environ 900 espèces de poissons et d’animaux sauvages. Aux Pays-Bas, sur l’ancien golf d’Amsterdam, des plantes indigènes et des zones humides ont été restaurées, attirant diverses espèces d’oiseaux et améliorant la qualité de l’eau.
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