À première vue, Bréhand, 1 700 habitant·es, est un village comme un autre. Une église de granit domine le bourg, autour duquel s’articulent quelques commerces, une mairie faisant aussi office d’agence postale, une salle des fêtes et deux écoles – l’une publique, l’autre catholique. Autour, des champs s’étendent à perte de vue.

Pourtant, la commune fait parler d’elle. En moins de 24 heures, le 9 octobre dernier, 113 000 euros ont été investis par ses habitant·es dans le cadre d’une campagne de financement participatif pour l’installation d’un parc éolien. Composé de trois éoliennes, il vise à produire 32 gigawatt-heure (GWh) par an, soit 16% de la consommation électrique résidentielle de l’agglomération Lamballe Terre et Mer (69 000 habitant·es), selon les estimations de WPD, entreprise porteuse du projet.
Pour Enerfip, société d’investissements citoyens dans les énergies renouvelables et plateforme d’hébergement de ce financement participatif, c’est une «campagne qui a très bien fonctionné». Elle avait fixé «le seuil de réussite» du projet à 100 000 euros.

À la fin de la phase exclusivement réservée aux habitant·es de Bréhand, du 8 au 29 octobre, Enerfip a enregistré 176 000 euros et 23 investisseur·ses. Ouverte aux résident·es de l’agglomération de Lamballe Terre et Mer du 29 octobre au 12 novembre, la campagne a engrangé 18 040 euros et 9 investisseur·ses supplémentaires. Ce mercredi, et jusqu’au 25 novembre, elle s’ouvre à l’ensemble des citoyen·nes de la région Bretagne. L’objectif visé : 400 000 euros d’investissements sur les 25 millions nécessaires à la construction du parc éolien, dont les travaux débuteront en 2026.
Avantages financiers
Si la campagne de financement participatif a rencontré un tel succès auprès des Bréhandais·es, c’est surtout grâce aux avantages financiers qu’elle offre. Enerfip repose sur un système d’obligations simples : les investisseur·ses prêtent de l’argent à l’entreprise en échange d’intérêts et du remboursement intégral du capital à l’échéance. Pour le parc éolien en question, un·e investisseur·se peut placer entre 10 et 15 000 euros et sera remboursé·e après trois ans, avec un taux d’intérêt fixe de 7%.
Denis Carfantan est l’un des investisseurs du coin. «Je ne m’attendais pas à ce qu’autant d’argent soit récolté uniquement sur la commune», confie-t-il. Retraité depuis plusieurs années, il a suivi de près le projet de parc éolien. Il a été contacté dès qu’il a été rendu public, en 2015. La raison ? La proximité de son habitation avec les terrains pressentis pour accueillir les trois éoliennes de 180 mètres de haut chacune. Très investi dans la vie de la commune, cet ex-conseiller municipal a ensuite rejoint le comité de pilotage du parc éolien.
«Ce qui fait réagir les gens, c’est le portefeuille»
Composé d’élu·es, de conseiller·es techniques et d’habitant·es, ce groupe de travail est l’un des principaux outils utilisés pour faire accepter le projet aux Bréhandais·es. Comme le rapporte WPD : «Ces réunions ont servi à discuter de l’orientation du projet et à définir les mesures environnementales et d’aménagement mises en place afin qu’elles répondent aux attentes locales.»
«Le financement participatif est l’un des leviers de l’acceptabilité par la population locale. Souvent, ce qui fait réagir les gens, c’est le portefeuille», observe Mathieu Carbonel, d’Enerfip. Bien qu’il n’existe pas de données précises quant au nombre de projets liés aux énergies renouvelables concernés par des campagnes de financement participatif, la multiplication des plateformes dédiées et leurs statistiques propres témoignent d’une réelle tendance. En France, ce marché est occupé par Enerfip, mais aussi Lendopolis, Lendosphère, Enercoop ou Lumo. Dans certains cas, la modalité du financement participatif est d’ailleurs un prérequis exigé par la Commission de régulation de l’énergie. Sa mission est d’assurer le bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz en France depuis 2000.

«Je ne suis pas du genre à investir», avance Denis Carfantan. Les raisons qui l’ont conduit à participer à la campagne de financement sont multiples. Pionnier des énergies renouvelables dans la commune, il a installé dès les années 2000 plusieurs panneaux photovoltaïques, ainsi qu’une éolienne de 600 watts – encouragé par le crédit d’impôt en faveur de la transition énergétique. Il recourt également à la géothermie depuis plusieurs années. Cet habitant voit en son investissement dans le parc éolien une façon concrète de participer à la vitalité de la commune.
Des retombées pour les territoires
Selon les estimations de WPD, les retombées financières du parc éolien pourraient atteindre 30 000 euros par an pour la seule commune de Bréhand, et 140 000 euros pour l’ensemble des collectivités concernées (commune, agglomération, département). Ces bénéfices pourraient ainsi permettre à la municipalité d’investir dans de nouvelles infrastructures publiques. Un autre projet d’énergie renouvelable – un champ de panneaux photovoltaïques – est d’ailleurs actuellement à l’étude.
Comme le rapporte Mathieu Carbonel, chef de projet chez Enerfip, la contribution moyenne observée pour le parc bréhandais est d’environ 2 000 euros par investisseur·se. Concrètement, dans ce cas précis, un investissement de 2 000 euros rapportera environ 2 420 euros au bout de trois ans, selon les prévisions du porteur du projet. Mathieu Carbonel tient tout de même à préciser que, comme pour tout investissement financier, il existe un risque. En l’occurrence, le projet de parc éolien de Bréhand a été considéré comme «peu risqué» par Enerfip. Il est donc destiné à des «éco-épargnants débutants».
«Plus intéressant que le Livret A»
S’il ne souhaite pas révéler le montant exact qu’il a placé, Denis Carfantan admet se situer un peu au-dessus de cet investissement moyen. «C’est après mon inscription que j’ai appris que les intérêts étaient imposables. Au lieu des 7%, on est plutôt à 4,9%. Mais c’est quand même plus intéressant que le Livret A , actuellement fixé à 1,7%, analyse-t-il.
Après une réunion publique organisée le 7 octobre dernier par WPD et Enerfip, plusieurs Bréhandais·es se sont aussi posé·es la question d’investir, sans forcément sauter le pas. Françoise Robin, retraitée installée depuis près de 20 ans sur la commune, explique ses réticences : «Si je voulais investir, j’installerais plutôt des panneaux photovoltaïques chez moi.» Pour autant, cette habitante d’un hameau situé non loin de la future installation se dit favorable au projet : «Personne ne veut des éoliennes chez soi, mais on consomme tous du courant. Il faut bien produire de l’électricité !»
Des investissements risqués ?
De son côté, un père de famille qui a souhaité rester anonyme reconnaît que son épouse s’est intéressée au financement participatif, avant de se rétracter, jugeant finalement peu attractive l’offre de placement. Denis Defin est quant à lui témoin de premier plan de ce projet éolien. Agriculteur biologique, l’un des terrains agricoles qu’il loue comme pâture a été retenu pour accueillir l’une des éoliennes. L’exploitant explique qu’il perdra ainsi 4 000 mètres carrés de terrain mais affirme qu’il recevra une indemnisation en contrepartie. Avec des enfants en études supérieures, Denis Defin préfère favoriser la sécurité : «Mon épouse et moi ne sommes pas encore décidés, même si on penchait plutôt pour le non. Si on investit, ce sera plutôt de l’ordre du symbolique.»
Ghislain Dubois, cofondateur du think thank Énergies renouvelables pour tous, docteur en économie et lui-même investisseur chez Enerfip, relativise le poids de l’investissement participatif : «C’est une très bonne manière de créer du lien entre les projets et les citoyens. Néanmoins, la transition énergétique ne se fera pas seulement avec de petits parcs solaires ou éoliens. On a besoin de grands investissements, publics et privés.»
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