Chronique

«Dames de fraise, doigts de fée» : la face cachée des fraises andalouses racontée en bande dessinée

Fraise déchante. Derrière les fraises andalouses que l’on retrouve chaque printemps sur les étals européens se cache une réalité invisible : celle de milliers de Marocaines contraintes à de violentes conditions de travail. Inspirée d’une enquête de la chercheuse Chadia Arab, la bande dessinée «Dames de fraise, doigts de fée» d’Annelise Verdier raconte, à travers le destin de Farida, le prix humain de ces fruits.
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Chaque printemps, des milliers de Marocaines prennent le large pour rejoindre l’Andalousie. On leur promet un travail saisonnier, un salaire qui permettra de subvenir aux besoins de leurs familles restées au pays, et même l’espoir d’un avenir meilleur. Mais derrière l’image éclatante des barquettes de fraises bien rangées dans les rayons européens se cache une réalité bien plus sombre : exploitation, isolement, violence et précarité.

© Alifbata

L’ouvrage Dames de fraises, doigts de fées : les invisibles de la migration saisonnière marocaine en Espagne (2023, éditions En toutes lettres), issu d’une longue enquête de terrain menée par Chadia Arab, géographe et chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a mis en lumière cette réalité. Aujourd’hui, l’autrice et illustratrice Annelise Verdier transpose cette matière scientifique en un nouveau récit graphique, sensible et percutant : Dames de fraises, doigts de fées, sorti au mois d’août aux éditions Alifbata. Il suit le quotidien de Farida et de ses compagnes d’infortune.

Le départ vers l’Espagne : promesses et sacrifices

Contrainte de travailler à cause de la maladie de son mari, Farida décide de partir pour l’Espagne, où on lui promet un bon salaire qui lui permettra de faire vivre ses deux enfants. Elle emprunte de l’argent à sa sœur pour payer son passeport et embarque à bord d’un ferry.

Comme toutes ses collègues, Farida est mère. Cette condition est exigée par les employeurs, les enfants restés au Maroc garantissant leur retour à la fin de la saison. Mais, dès leur arrivée, les désillusions s’accumulent. Les femmes logent dans des dortoirs exigus, n’ont accès qu’à quelques douches collectives (dont l’eau vire parfois au marron) et sont régulièrement privées d’eau potable. Leur seul jour de congé hebdomadaire est consacré à de longs trajets en stop pour acheter de quoi se nourrir et envoyer un peu d’argent à leurs proches.

La chaleur étouffante des serres, l’exposition quotidienne aux pesticides, l’absence de matériel de protection – souvent trop cher pour leurs faibles salaires – usent les corps. La violence est partout : psychologique, sociale, mais aussi sexuelle. Les témoignages recueillis par Chadia Arab, et repris par Annelise Verdier dans sa BD, évoquent des agressions fréquentes et une impunité quasi totale.

La bande dessinée touche par l’émotion et l’incarnation

Dès le premier jour, Nadia, l’amie de Farida, est expulsée car jugée «pas assez rentable». Ce renvoi brutal illustre l’arbitraire des employeurs et la peur constante des ouvrières de perdre leur emploi. Pourtant, malgré l’oppression, un espace de sororité subsiste. Farida et les autres femmes tissent des liens de confiance, s’épaulent et s’encouragent pour tenir face à l’isolement et à la dureté du travail.

Avec Dames de fraise, doigts de fée, le médium graphique devient outil de sensibilisation. Là où l’essai scientifique expose faits et données, la bande dessinée touche par l’émotion et l’incarnation. Elle rappelle que derrière un fruit consommé massivement en Europe se cache une chaîne de production mondialisée où la main-d’œuvre la plus fragile – en l’occurrence des femmes pauvres, souvent analphabètes, venues du Maroc – est exploitée sans vergogne.

En retraçant l’itinéraire de Farida, Annelise Verdier donne une voix et un visage à ces travailleuses saisonnières invisibilisées. Son récit rappelle que consommer n’est jamais un geste neutre.

«Dames de fraises, doigts de fée», d’Annelise Verdier, Éditions Alifbata, août 2025, 128 pages, 21 euros.

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