Le vert du faux

Comment la COP28 sur le climat est-elle arrivée aux mains d’un pétrolier ?

C’est un Sultan ? La 28ème Conférence des Nations unies (COP28) sur le climat s’ouvre le 30 novembre à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Le pays hôte peut surprendre ; le chef d’orchestre des négociations encore plus puisque le président de la COP, Sultan Al Jaber, est aussi patron de la compagnie pétrolière nationale. Décryptage.
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Qui n’a pas cru au Gorafi en décou­vrant que les Émi­rats arabes unis allaient accueil­lir la COP28 sur le cli­mat et, pire encore, qu’ils avaient choisi pour prési­dent le PDG de l’Abu Dhabi nation­al oil com­pa­ny, com­pag­nie pétrolière nationale ? Aus­si loufo­ques qu’ils puis­sent sem­bler, ces choix ont pour­tant peu à voir avec le hasard.

Comment les pays hôtes sont-ils choisis ?

L’organisation des COP est un proces­sus bien huilé. La prési­dence est tour­nante selon un ordre défi­ni entre les cinq groupes régionaux déter­minés par les Nations Unies : Afrique, Asie-Paci­fique, Amérique latine et Caraïbes, Europe cen­trale et ori­en­tale, et enfin, l’Europe occi­den­tale. Après la COP26 au Roy­aume-Uni en 2021, puis la suiv­ante en Égypte en 2022, la règle voulait que la COP28 ait lieu en Asie. À l’intérieur de ces groupes, les pays s’organisent pour faire émerg­er une can­di­da­ture pour accueil­lir la COP, qui doit ensuite être validée par la Con­ven­tion-cadre des Nations unies sur les change­ments cli­ma­tiques (CNUCC — le texte adop­té en 1992 qui prévoit l’organisation annuelle des COP).

La Corée du Sud s’était ini­tiale­ment pro­posée pour présider l’événement cette année, avant de se désis­ter en 2021 au prof­it des Émi­rats arabes unis. Ce pays étant l’un des plus gros pro­duc­teurs de pét­role à l’échelle mon­di­ale, ce choix peut sur­pren­dre. Les Émi­rats arabes unis tirent plus de la moitié de leurs revenus nationaux du pét­role et du gaz, d’après le think tank Car­bon track­er. De quoi génér­er des inquié­tudes légitimes quant au posi­tion­nement du pays hôte sur la ques­tion, alors que l’enjeu de la sor­tie des éner­gies fos­siles sera au cœur des négo­ci­a­tions cette année — les États ont déjà échoué à s’accorder sur leur sor­tie à la COP27 l’année dernière.

L’organisation des COP requiert une logis­tique énorme, que tous les pays ne peu­vent pas se per­me­t­tre. Les moyens financiers des Émi­rats, ain­si que les infra­struc­tures exis­tantes (notam­ment depuis l’Exposition uni­verselle de Dubaï en 2021–2022) ont fait de leur can­di­da­ture un choix logique.

«Les Émi­rats arabes unis sont une plaque tour­nante mon­di­ale pour la logis­tique, le trans­port et les tech­nolo­gies vertes, et sont le moteur de la crois­sance pour les affaires, le com­merce et le tourisme. Le pays est par­ti­c­ulière­ment bien placé pour con­stru­ire des ponts et favoris­er le con­sen­sus afin d’ac­célér­er les pro­grès en matière de cli­mat», vante le site offi­ciel de la COP28.

«La can­di­da­ture des Émi­rats arabes unis avait un côté ras­sur­ant, car ils se sont annon­cés très en avance, et ont mon­tré une cer­taine volon­té à faire de cette COP un suc­cès diplo­ma­tique», pointe Lola Valle­jo, direc­trice du pro­gramme cli­mat à l’Institut du développe­ment durable et des rela­tions inter­na­tionales (Iddri). Une fois ce choix validé, les Émi­rats ont libre­ment choisi le prési­dent de la COP28.

Un patron pétrolier à la présidence de la COP

Début 2023, la nom­i­na­tion de Sul­tan Al Jaber a fait jas­er — Vert avait alors brossé son por­trait. Min­istre émi­rati de l’industrie, il est surtout le PDG de la com­pag­nie pétrolière nationale, l’Abu Dhabi nation­al oil com­pa­ny (ADNOC). Aux Émi­rats arabes unis, il est aus­si con­nu pour son rôle de «Mon­sieur cli­mat», pour avoir présidé la délé­ga­tion nationale à la COP27 et par­ticipé aux précé­dentes négo­ci­a­tions. Une posi­tion qu’il doit égale­ment à ses investisse­ments de longue date dans les renou­ve­lables en tant que fon­da­teur de Mas­dar, une com­pag­nie étroite­ment liée à l’ADNOC et à l’État émi­rati spé­cial­isée dans le développe­ment des éner­gies vertes.

Passé le choc ini­tial, Sul­tan Al Jaber appa­raît finale­ment comme le choix évi­dent des Émi­rats sur la ques­tion. Si sa nom­i­na­tion inquiète — à juste titre — en rai­son d’indéniables con­flits d’intérêts, les Émi­rats arabes unis savent aus­si qu’ils ont intérêt à faire de cette COP un suc­cès diplo­ma­tique pour con­serv­er leur crédi­bil­ité inter­na­tionale.

«Au-delà de la con­tro­verse, la désig­na­tion de Sul­tan Al Jaber peut être con­sid­érée comme un témoignage du fait que la COP est une pri­or­ité de haut niveau pour les Émi­rats arabes unis», décrypte Lola Valle­jo dans un récent bil­let de blog. «Je préfère qu’on donne la respon­s­abil­ité à la per­son­ne la plus senior sur le sujet au sein du gou­verne­ment, plutôt que d’avoir un pan­tin qui n’a pas de pou­voir de déci­sion», juge-t-elle auprès de Vert.

«Ça démon­tre aus­si que les gou­verne­ments ont un rôle impor­tant dans la tran­si­tion énergé­tique, et qu’ils dis­posent de nom­breux leviers pour l’activer», abonde l’experte des négo­ci­a­tions cli­mat. De là à cern­er si les Émi­rats sauront faire de cette COP un événe­ment à la hau­teur des enjeux, il y a un pas que l’on se gardera bien de franchir pour le moment.

Cet arti­cle est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, ques­tions d’actualité, ordres de grandeur, véri­fi­ca­tion de chiffres : chaque jeu­di, nous répon­drons à une ques­tion choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez vot­er pour la ques­tion de la semaine ou sug­gér­er vos pro­pres idées, vous pou­vez vous abon­ner à la newslet­ter juste ici.

Image d’il­lus­tra­tion : Sul­tan Al Jaber à la pré COP28, le 31 octo­bre dernier. © COP28 / Flickr