Qui n’a pas cru au Gorafi en découvrant que les Émirats arabes unis allaient accueillir la COP28 sur le climat et, pire encore, qu’ils avaient choisi pour président le PDG de l’Abu Dhabi national oil company, compagnie pétrolière nationale ? Aussi loufoques qu’ils puissent sembler, ces choix ont pourtant peu à voir avec le hasard.
Comment les pays hôtes sont-ils choisis ?
L’organisation des COP est un processus bien huilé. La présidence est tournante selon un ordre défini entre les cinq groupes régionaux déterminés par les Nations Unies : Afrique, Asie-Pacifique, Amérique latine et Caraïbes, Europe centrale et orientale, et enfin, l’Europe occidentale. Après la COP26 au Royaume-Uni en 2021, puis la suivante en Égypte en 2022, la règle voulait que la COP28 ait lieu en Asie. À l’intérieur de ces groupes, les pays s’organisent pour faire émerger une candidature pour accueillir la COP, qui doit ensuite être validée par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CNUCC – le texte adopté en 1992 qui prévoit l’organisation annuelle des COP).
La Corée du Sud s’était initialement proposée pour présider l’événement cette année, avant de se désister en 2021 au profit des Émirats arabes unis. Ce pays étant l’un des plus gros producteurs de pétrole à l’échelle mondiale, ce choix peut surprendre. Les Émirats arabes unis tirent plus de la moitié de leurs revenus nationaux du pétrole et du gaz, d’après le think tank Carbon tracker. De quoi générer des inquiétudes légitimes quant au positionnement du pays hôte sur la question, alors que l’enjeu de la sortie des énergies fossiles sera au cœur des négociations cette année – les États ont déjà échoué à s’accorder sur leur sortie à la COP27 l’année dernière.
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L’organisation des COP requiert une logistique énorme, que tous les pays ne peuvent pas se permettre. Les moyens financiers des Émirats, ainsi que les infrastructures existantes (notamment depuis l’Exposition universelle de Dubaï en 2021-2022) ont fait de leur candidature un choix logique.
«Les Émirats arabes unis sont une plaque tournante mondiale pour la logistique, le transport et les technologies vertes, et sont le moteur de la croissance pour les affaires, le commerce et le tourisme. Le pays est particulièrement bien placé pour construire des ponts et favoriser le consensus afin d’accélérer les progrès en matière de climat», vante le site officiel de la COP28.
«La candidature des Émirats arabes unis avait un côté rassurant, car ils se sont annoncés très en avance, et ont montré une certaine volonté à faire de cette COP un succès diplomatique», pointe Lola Vallejo, directrice du programme climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Une fois ce choix validé, les Émirats ont librement choisi le président de la COP28.
Un patron pétrolier à la présidence de la COP
Début 2023, la nomination de Sultan Al Jaber a fait jaser – Vert avait alors brossé son portrait. Ministre émirati de l’industrie, il est surtout le PDG de la compagnie pétrolière nationale, l’Abu Dhabi national oil company (ADNOC). Aux Émirats arabes unis, il est aussi connu pour son rôle de «Monsieur climat», pour avoir présidé la délégation nationale à la COP27 et participé aux précédentes négociations. Une position qu’il doit également à ses investissements de longue date dans les renouvelables en tant que fondateur de Masdar, une compagnie étroitement liée à l’ADNOC et à l’État émirati spécialisée dans le développement des énergies vertes.
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Passé le choc initial, Sultan Al Jaber apparaît finalement comme le choix évident des Émirats sur la question. Si sa nomination inquiète – à juste titre – en raison d’indéniables conflits d’intérêts, les Émirats arabes unis savent aussi qu’ils ont intérêt à faire de cette COP un succès diplomatique pour conserver leur crédibilité internationale.
«Au-delà de la controverse, la désignation de Sultan Al Jaber peut être considérée comme un témoignage du fait que la COP est une priorité de haut niveau pour les Émirats arabes unis», décrypte Lola Vallejo dans un récent billet de blog. «Je préfère qu’on donne la responsabilité à la personne la plus senior sur le sujet au sein du gouvernement, plutôt que d’avoir un pantin qui n’a pas de pouvoir de décision», juge-t-elle auprès de Vert.
«Ça démontre aussi que les gouvernements ont un rôle important dans la transition énergétique, et qu’ils disposent de nombreux leviers pour l’activer», abonde l’experte des négociations climat. De là à cerner si les Émirats sauront faire de cette COP un événement à la hauteur des enjeux, il y a un pas que l’on se gardera bien de franchir pour le moment.
Cet article est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque jeudi, nous répondrons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.
Image d’illustration : Sultan Al Jaber à la pré COP28, le 31 octobre dernier. © COP28 / Flickr