Le vert du faux

Comment concilier logement et sobriété ?

Alors que le logement conditionne une part importante de notre empreinte carbone, certaines pistes sont à explorer pour tenter de concilier confort et sobriété.
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À toit de jouer. À lui seul, le loge­ment représente 1,9 tonne de CO2 par per­son­ne et par an, d’après le cab­i­net de con­seil Car­bone 4. À titre de com­para­i­son, c’est l’objectif que nous devri­ons vis­er en 2050 pour main­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique sous les +1,5°C à la fin du siè­cle, et ain­si respecter l’Accord de Paris sur le cli­mat. C’est donc un poids con­sid­érable sur lequel il fau­dra agir pour pou­voir adopter des modes de vie plus souten­ables sur le plan énergé­tique ou fonci­er.

L’habitat individuel, un modèle à revoir

En 2022, l’habitat indi­vidu­el représen­tait 55% des loge­ments en France — pareil qu’en 1982. S’il est le plus répan­du, le mod­èle est a pri­ori égale­ment le plus néfaste pour la planète (notre arti­cle). Toutes choses égales par ailleurs, la mai­son indi­vidu­elle est plus éner­gi­vore qu’un habi­tat col­lec­tif puisqu’elle entraîne des déperdi­tions de chaleur par rap­port à des loge­ments col­lés qui se chauf­fent les uns les autres. L’habitat indi­vidu­el génère une forte arti­fi­cial­i­sa­tion des sols, c’est-à-dire une con­ver­sion de l’usage de ter­res naturelles pour les exploiter pour des activ­ités humaines. Enfin, le loge­ment indi­vidu­el s’accompagne générale­ment d’un mode de vie plus dépen­dant de la voiture — davan­tage que dans les zones d’habitat plus dense où les mobil­ités décar­bonées sont mieux dévelop­pées.

«Le mod­èle à l’ancienne du pavil­lon avec jardin dont on peut faire le tour n’est plus souten­able et nous mène à une impasse», a même recon­nu Emmanuelle War­gon, alors min­istre du loge­ment, lors de la con­clu­sion d’une con­cer­ta­tion citoyenne sur «Habiter la France de demain» en 2021. Pour­tant, l’idéal de la mai­son indi­vidu­elle est encore partagé par près de huit Français·es sur dix (79%). Cette pro­por­tion ne varie depuis plusieurs décen­nies, d’après un sondage réal­isé par l’institut Kan­tar pour La Fab­rique de la cité, un think tank spé­cial­isé dans la prospec­tive urbaine, financé par Vin­ci.

Des pistes pour un habitat plus sobre

La réno­va­tion énergé­tique est un mail­lon indis­pens­able de la sobriété de nos loge­ments : elle vise à lim­iter les déperdi­tions d’énergie et les émis­sions de gaz à effet de serre, soulageant ain­si la planète et le porte-mon­naie (notre mode d’emploi). Réduire la taille des jardins indi­vidu­els pour­rait aus­si favoris­er la sobriété fon­cière. C’est d’ailleurs le sens de la démarche Bim­by («Build in my back­yard») qui, comme son nom l’indique, con­siste à con­stru­ire un nou­veau loge­ment dans le jardin d’une mai­son exis­tante, pour éviter l’artificialisation de nou­velles par­celles. Plusieurs expéri­men­ta­tions auraient été restées «avec un relatif suc­cès» dans le Périg­ord, les Vos­ges ou la Nièvre, d’après le think tank.

Plus glob­ale­ment, il est pos­si­ble de repenser les formes d’habitats pour con­cili­er les désirs des citoyen·es avec les exi­gences de sobriété. «De nom­breuses ini­tia­tives archi­tec­turales sont envis­age­ables pour dépass­er l’opposition entre loge­ment indi­vidu­el et col­lec­tif. On peut par­ler d’habitat indi­vidu­el groupé, de copro­priété hor­i­zon­tale, ou d’autres choses», détaille Vin­cent Le Rouz­ic, doc­teur en urban­isme et en économie et directeur des études de la Fab­rique de la cité. «Il faut réus­sir à génér­er un sen­ti­ment d’appropriation indi­vidu­elle d’un espace tout en étant inséré dans un type d’habitat col­lec­tif avec une cer­taine den­sité.»

L’étude de la Fab­rique de la cité met au jour dif­férents leviers qui aideraient à ren­dre accept­a­bles des formes de loge­ment plus col­lec­tives et plus sobres : des habi­tats conçus pour ne pas être gêné·es par le voisi­nage, notam­ment à tra­vers une bonne iso­la­tion phonique (pour 32% des répondant·es), l’accès à un espace extérieur pri­vatif — même petit — (24%), ou encore la pos­si­bil­ité de faire des économies d’énergie (19%).

Vin­cent Le Rouz­ic évoque l’exemple d’un quarti­er d’Helsinki, com­posé de maisons indi­vidu­elles mitoyennes conçues durable­ment, avec des petites par­celles extérieures pri­v­a­tives mais aus­si de plus larges espaces verts partagés. «Ces con­di­tions ren­dent ce type d’habitat urbain dense accept­able, et j’ai la faib­lesse de croire que si c’est accept­able pour les Fin­landais, pourquoi est-ce que ça ne le serait pas pour les Français ?», s’interroge l’urbaniste, pour qui il faut appren­dre à ven­dre un nou­v­el idéal d’habitat.

Le quarti­er Honka­suo à Helsin­ki offre à ses habitant·es les avan­tages du loge­ment indi­vidu­el tout en étant une forme d’habi­tat rel­a­tive­ment dense. © Koti­va­lo / DR

Construire de nouveaux habitats sobres ou privilégier le parc foncier existant ?

Au 1er jan­vi­er 2022, 3,1 mil­lions de loge­ments étaient vacants en France. Ne suf­fit-il pas alors de compter sur les habi­tats déjà sur pied afin de lim­iter les nou­velles con­struc­tions ? «Il faut activ­er ces deux leviers, au cas par cas. Dans cer­tains ter­ri­toires en forte ten­sion immo­bil­ière, comme dans les métrop­o­les ou les zones touris­tiques, réin­ve­stir l’existant ne suf­fi­ra pas car les besoins en loge­ment sont très forts», pointe l’expert. «Sans oubli­er que des généra­tions d’habitat sont aujourd’hui com­plète­ment obsolètes, et que, dans cer­tains cas, la démo­li­tion-recon­struc­tion peut-être plus per­for­mante à long terme sur le plan de la sobriété énergé­tique que la restruc­tura­tion totale des loge­ments.»

Pas de modèle parfait

La recette mir­a­cle pour un loge­ment sobre n’existe pas, et les solu­tions dépen­dent des mul­ti­ples con­fig­u­ra­tions (ter­ri­toires urbains, péri-urbains ou ruraux, état du fonci­er pré-exis­tant, deman­des en loge­ment, etc). «Il n’y a pas de “one best way” [«la meilleure solu­tion»], il y a un cer­tain nom­bre de points d’attention autour de la sobriété fon­cière des con­struc­tions, sur l’adéquation entre la taille des loge­ments et la typolo­gie des ménages, sur la sobriété des matéri­aux de con­struc­tion ou encore notre rap­port au col­lec­tif et au partage d’espaces», con­clut Vin­cent Le Rouz­ic. «C’est avant tout un vrai débat de société qu’il faut ouvrir.»

Cet arti­cle est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, ques­tions d’actualité, ordres de grandeur, véri­fi­ca­tion de chiffres : chaque jeu­di, nous répon­drons à une ques­tion choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez vot­er pour la ques­tion de la semaine ou sug­gér­er vos pro­pres idées, vous pou­vez vous abon­ner à la newslet­ter juste ici.