Reportage

«Ce n’est que le début de la catastrophe» : à Mayotte, le chant des oiseaux remplacé par les coups de marteaux

Dans le 101ème département français, la vie est suspendue depuis le passage du cyclone Chido. Pour les humains, la priorité est de trouver de l’eau, à manger, et de reconstruire un abri. La biodiversité est aussi aux abois. Récit de notre correspondante à Mayotte.
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Au milieu des parpaings en miettes, derrière le mur de sa maison dont il ne reste que quelques centimètres, Dini Dinis tente de faire du tri dans les débris. «Le mur de ma cour s’est effondré sur ma maison. Tout est à terre, témoigne cet habitant de Petite-Terre, île de l’archipel qui surplombe la baie. J’essaye de voir ce qui peut encore être utilisé, sinon il faut tout jeter.»

Dans ce quartier des hauteurs, tout a été ravagé. Sur la parcelle voisine, seuls des palmiers à qui il reste quelques feuilles, ainsi que des troncs, sont encore debout. La végétation luxuriante des collines environnantes a laissé place à un mélange de terre et de feuilles. Sur les trottoirs, les branches des arbres s’entassent au milieu des restes de tôle et des débris.

Avec des vents à près de 230 kilomètres heure (km/h) samedi 14 décembre, le cyclone Chido a tout emporté. Des cases en tôles, qui peuplent l’île, il ne reste quasiment rien. Même le chant des coqs, qui rythme les réveils des habitant·es, a disparu. Il a été remplacé par les bruits de marteaux sur les tôles, de ceux qui tentent de reconstruire au plus vite leurs cases.

Les habitant·es tentent de reconstruire leurs maisons, au milieu des décombres. © Jérômine Doux/Vert

À l’horizon, pas un maki – le lémurien de Mayotte -, ni une roussette – chauve souris mahoraise qui peut atteindre plus d’un mètre. Depuis six jours, la vie semble suspendue. La priorité est de trouver de quoi boire et manger sur l’île privée d’eau et d’électricité.

Coupée du monde

Sur le chemin, Neymar, huit ans, les bras chargés de bidons vides, se dirige vers l’un des robinets publics pour faire des réserves. Il faut marcher de longues minutes pour l’atteindre, et porter à bout de bras les bidons remplis au retour. Pas le choix. «On n’a plus rien pour faire à manger», confie-t-il. Pour Mato et Sergent, 14 ans, qui se baladent sur leurs vélos, l’urgence est plutôt de «trouver de la nourriture» avant la tombée de la nuit. Les deux garçons habitent à La Vigie, le plus grand bidonville de Petite-Terre, dont il ne reste que des débris de bois et de tôle. «On n’a plus de maison et rien à manger», confie Sergent, avant de croiser la route de Mohammed. L’homme file en direction de l’un des rares petits commerces encore ouverts. «On a besoin de bougies, lance le père de famille, qui tient sa petite fille par la main. On se dépêche avant qu’il fasse nuit.»

La maison de Dini Dinis s’est effondrée. Pour lui, l’objectif est désormais de faire du tri pour récupérer ce qui est réutilisable. © Jérômine Doux/Vert

Depuis le passage du cyclone, seul un supermarché en Petite-Terre a rouvert ses portes. Les client·es rentrent au compte-goutte et ne peuvent payer qu’en espèce, faute de réseau. Le système de téléphonie mobile est indisponible à 80%. «Nous n’avons aucune nouvelle du nord, du sud et de l’ouest de l’île», confie Florent, un habitant de Petite-Terre.

À 22 heures, tout le monde devra être rentré chez soi pour le couvre-feu, instauré depuis mardi 17 décembre. L’objectif : éviter les pillages qui font trembler la plupart des habitant·es. Car si la priorité est de trouver à boire, à manger, ou de reconstruire sa maison, il faut aussi protéger le peu d’affaires qu’il reste. «Il faut faire très attention, confie Abdoul, 41 ans. Dès que la nuit tombe, les jeunes rodent. Ils cherchent à entrer dans les maisons abîmées. Ils en profitent parce qu’on n’a pas de lumière.» Paul, l’un de ses voisins, est sceptique quant au respect de la nouvelle mesure : «Certains prennent ça au sérieux. J’imagine que le fait qu’il n’y ait personne dans les rues facilite les contrôles des gendarmes. Mais généralement, à 22 heures, tout le monde est déjà au lit.»

À l’aéroport, seulement quelques palmiers tiennent encore debout. © Jérômine Doux/Vert

«Les pluies vont tout emporter»

À l’extrémité sud de la Petite-Terre, près de l’aéroport de Mayotte, certain·es tentent de retrouver «un semblant de normalité». L’hôtel Ibis, inauguré en 2022, trône désormais au milieu des morceaux de verre et des débris. Les vitres de plusieurs chambres ont explosé et une partie du mobilier de l’établissement est hors d’usage. L’établissement fait partie des rares endroits de l’île qui accueillent encore du public. Mehdi*, fonctionnaire, est venu boire un café. Pour cet habitant de Petite-Terre, «ce que vit Mayotte actuellement n’est que le début de la catastropheNous allons entrer dans la saison des pluies, tout va être emporté vers le lagon», envisage-t-il. Surtout, le cyclone, qui a fait 31 morts selon un bilan provisoire des services de l’État, laisse sans doute «plusieurs centaines, voire milliers» de victimes derrière lui, estime le préfet de Mayotte. Un bilan impossible à déterminer, selon l’État, car les corps sont très rapidement enterrés, comme le veut la tradition musulmane. «Les pluies qui arrivent pourraient faire ressortir les cadavres vite enterrés, craint Medhi. Et une crise sanitaire pourrait alors arriver.»

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* Le prénom a été modifié.


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