Décryptage

Catastrophe «naturelle» et vulnérabilité structurelle : la recette mortelle du cyclone Chido à Mayotte

Habitats précaires, forte population en situation irrégulière, infrastructures vétustes et saturées : à Mayotte, les conséquences du cyclone Chido ont été amplifiées par le contexte socioéconomique de l’archipel et sa vulnérabilité au changement climatique.
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Il est rare qu’un cyclone touche frontalement l’archipel de Mayotte. Par sa position géographique dans le canal du Mozambique, à mi-chemin entre les côtes africaines et l’île de Madagascar, Mayotte se situe dans une zone intertropicale exposée à des phénomènes cycloniques. Mais, en général, Madagascar «protège» le petit archipel de la plupart de ces événements extrêmes.

La probabilité que l’œil du cyclone (son cœur, entouré des vents les plus puissants) traverse un territoire aussi petit en plein milieu de l’océan Indien – 374 kilomètres carrés, soit la superficie cumulée de Paris et de Marseille – était très faible.

Des températures qui dopent le cyclone

Classé en catégorie 4 (sur l’échelle Saffir-Simpson qui va de 1 à 5) avec des vents jusqu’à 220 kilomètres heure (km/h), Chido est le cyclone le plus important à toucher les îles de Mayotte depuis 90 ans. C’est aussi le premier cyclone tropical majeur depuis 1984.

Les secours déblayent les rues de Combani (Mayotte), dévastées après le cyclone Chido. © Sécurité civile via AFP

D’après une première étude d’attribution réalisée lundi par l’Institut Pierre Simon Laplace, le lien entre le cyclone et le dérèglement climatique est pour l’instant très difficile à établir. Une deuxième étude, menée mardi par une équipe de l’Imperial college London, a conclu que le changement climatique avait intensifié le cyclone Chido et fait passer d’une catégorie 3 à une catégorie 4. D’après les scientifiques, une tempête tropicale similaire à Chido a 40% plus de chances de se produire dans le climat de 2024 qu’au cours de l’ère préindustrielle (milieu du 19ème siècle). Le dérèglement climatique n’a pas pour effet de multiplier les tempêtes tropicales, mais il tend à les intensifier. C’est en partie lié aux températures des eaux qui augmentent – un phénomène dû au dérèglement du climat -, et qui fournissent davantage d’énergie aux cyclones.

Chido a été dopé par des températures anormalement élevées pour la période dans l’océan Indien, avec des eaux de surface proches des 30°C et des eaux chaudes très profondes.

Or, «Chido était un phénomène intense mais pas exceptionnellement intense», souligne la géographe Magali Reghezza-Zitt, spécialiste des risques naturels et de la vulnérabilité des territoires. Son ampleur dévastatrice est plutôt liée à la situation unique de l’archipel ultramarin de Mayotte, qui cumule les vulnérabilités.

Un isolement géographique

L’archipel présente une «double insularité» : c’est un territoire exigu isolé par définition, mais surtout très éloigné des surfaces continentales ou des grandes îles – Madagascar, la Réunion – et de l’Hexagone, et constitué de plusieurs îles. De quoi complexifier le déploiement des secours et le déplacement des sinistré·es après la catastrophe. L’aéroport de Mayotte a d’ailleurs été endommagé pendant la tempête, ce qui ralentit l’arrivée des renforts extérieurs sur place. «C’est une situation géographique qui fragilise l’île et à laquelle vous rajoutez une situation sociale et économique très particulière», détaille Magali Reghezza-Zitt.

Un territoire pauvre et une population méfiante

D’après l’Insee, 77% de la population mahoraise vivait sous le seuil de pauvreté en 2018 – cinq fois plus qu’en France hexagonale – et la moitié de population vivait avec moins de 3 140 euros par an. Mayotte est, de très loin, le département le plus pauvre de France, mais elle représente un archipel très attractif pour les pays alentours, avec des arrivées migratoires importantes des Comores, de Madagascar ou de la région des Grands lacs en Afrique. Résultat : une large part de la population en situation irrégulière, dont de nombreuses femmes accompagnées de jeunes enfants, ou des mineurs isolés.

«C’est une population particulièrement fragile et méfiante, qui a peur de s’adresser aux pouvoirs publics», explique Magali Reghezza-Zitt. Beaucoup ont cru à un piège lors des alertes d’évacuation et n’ont pas osé aller se réfugier, de peur d’être attendu·es par les autorités pour être expulsé·es.

L’extrême jeunesse de la population mahoraise (23 ans en moyenne, contre 41 en métropole) a potentiellement participé au manque de réactivité des habitant·es face à Chido. «Le dernier cyclone majeur remontait à 1984. Une grande partie n’avait jamais connu de tel événement et pas anticipé la réalité de vents à 220 km/h», avance la géographe.

Un habitat précaire fragile

Quatre jours après le passage de Chido, les témoignages font état de paysages de désolation, avec des bidonvilles complètement rasés ou retournés. L’habitat précaire, qui loge au moins un tiers de la population mahoraise (320 000 habitant·es), a été «complètement détruit», d’après le ministre démissionnaire de l’intérieur, Bruno Retailleau.

Ces habitant·es vivent dans des logements auto-construits avec des matériaux de récupération (tôle, carton, bois) dans des zones dangereuses et vulnérables, comme des pentes de collines propices aux glissements de terrain en cas de pluie. Pendant le cyclone, les matériaux mal fixés ont pu devenir des projectiles extrêmement puissants.

Des crises pré-existantes

Il faut ajouter une double crise à cette situation explosive : d’un côté, des ressources en eau extrêmement limitées à cause de sécheresses persistantes, en hausse avec le changement climatique. De l’autre, des infrastructures publiques en grande difficulté du fait d’un manque d’investissements et d’une pression démographique importante liée aux migrations et à une natalité importante. Des hôpitaux et des écoles déjà en difficulté avant le cyclone, sont désormais confrontés à une situation encore plus critique et aux dégâts à réparer.

Les autorités craignent la résurgence de certaines maladies à cause de la mise hors service des infrastructures d’assainissement à cause de Chido – des dysfonctionnements avaient déjà entraîné une épidémie de choléra au printemps 2024.

Une catastrophe prévisible

«Vous aviez tous les ingrédients pour que la catastrophe arrive. La question n’était pas tant de savoir si, mais quand elle allait se produire», estime Magali Reghezza-Zitt. Mardi matin, quatre jours après le passage de Chido, le bilan provisoire faisait état de 22 morts et 1 400 blessé·es. Compte tenu de la difficulté des services de secours à décompter les sinistré·es dans les bidonvilles et à se déplacer sur le territoire ultramarin, les autorités redoutent encore plusieurs centaines, voire des milliers de victimes. Chido pourrait vite devenir la catastrophe naturelle la plus meurtrière en France depuis des décennies.

Compte tenu de ce cocktail de vulnérabilités structurelles, une telle crise sera amenée à se reproduire tant que des investissements massifs ne seront pas mis en place pour développer l’archipel. Les scientifiques le disent depuis longtemps : «Les aléas sont naturels, mais les catastrophes sont sociales. Elles s’enracinent dans des causes sociales, économiques et culturelles», martèle la géographe.

Car, pour l’instant, «il n’y a rien de plus résilient qu’un bidonville», regrette Magali Reghezza-Zitt. Les premiers bâtiments reconstruits après des catastrophes sont toujours ces quartiers informels, faits à partir de débris récupérés. De quoi alimenter un cercle vicieux de plus en plus dramatique avec l’accélération du dérèglement climatique.


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