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Boycott des produits américains : refuser de consommer, une méthode de lutte efficace ?

Conso, mais mieux. Face à la politique d’extrême droite de Donald Trump, les appels au boycott se multiplient contre les produits américains, en France et ailleurs en Europe. Une contestation au poids économique limité, mais qui peut jouer sur le plan politique.
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Depuis le retour de Donald Trump à la tête des États-Unis et le déploiement de ses mesures d’extrême droite et de ses politiques agressives sur les plans international et commercial, de plus en plus de voix s’élèvent pour boycotter le pays de l’Oncle Sam.

Qu’ils concernent des entreprises ciblées comme Tesla, propriété d’Elon Musk, ou l’ensemble des produits américains, ces appels au boycott se multiplient sur les réseaux sociaux. Créé fin février, le groupe Facebook «Boycott USA : achetez français et européen !» cumule plus de 23 000 membres. Les participant·es s’échangent des listes de produits à bannir de leurs placards et des idées d’alternatives pour ne plus consommer américain. Mais au-delà de l’effet d’annonce, le boycott a-t-il déjà fait ses preuves dans l’histoire ? Peut-il être efficace et, surtout, à quoi sert-il ?

Une forme de contestation historique…

Les origines du boycott remontent loin. La première occurrence du terme date de 1879, lorsque l’intendant d’un riche propriétaire terrien, appelé Charles Boycott et connu pour maltraiter les paysan·nes, a été «boycotté» par sa communauté pour le punir de ses agissements.

Plusieurs épisodes historiques ont aussi marqué l’histoire, comme le boycott de produits britanniques piloté par Gandhi en Inde dans les années 1920. Ou encore le boycott des bus ségrégationnistes dans le sud des États-Unis, organisé par Martin Luther King dans les années 1950 – qui a permis la fin de la ségrégation dans les transports publics américains.

Les effets économiques du boycott sont difficilement quantifiables. © Getty images/Unsplash

On peut aussi penser aux appels au boycott de produits israéliens, régulièrement lancés depuis la Seconde Guerre mondiale, et particulièrement fréquents depuis 2023 et la guerre à Gaza.

…mais aux effets difficilement quantifiables

«Il est très difficile de savoir quels sont les effets réels d’un boycott», explique à Vert Vincent Vicard, adjoint au directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), le principal centre de recherche français sur l’économie mondiale.

Pour souligner l’impact relatif de cette forme de contestation, ce spécialiste du commerce international évoque le cas du boycott des produits français par les Américain·es en 2003, au moment de l’opposition de la France à la guerre en Irak. En plus d’un appel à se détourner des biens tricolores, des député·es républicain·es avaient aussi renommé les french fries («frites françaises») en freedom fries («frites de la liberté»). Le commerce entre la France et les États-Unis avait alors baissé d’environ -1% à -2% pendant quelques mois. «Ce n’est pas négligeable à l’échelle du commerce entre deux pays, mais ça reste un effet limité et peu durable», admet Vincent Vicard.

Un boycott peu probable à grande échelle

Vu l’omniprésence de la culture américaine dans notre société, est-il illusoire d’imaginer un vaste boycott des produits américains ? Sûrement, admet Vincent Vicard : «Il faut noter qu’il n’y a pas forcément une vraie tradition du boycott parmi les consommateurs français.» Nous devons aussi nous demander ce que l’on cible : toutes les marques américaines, ou seulement les biens fabriqués outre-Atlantique ?

«Si l’on prend l’exemple de Tesla, les exemplaires vendus en Europe sont produits à Berlin ou à Shanghai, et pas aux États-Unis», pointe Vincent Vicard. L’entreprise du bras droit de Donald Trump souffre de sérieux troubles économiques depuis début 2025 : baisse massive de la capitalisation boursière de l’entreprise, diminution des ventes en Europe… (notre article) – même s’il est délicat d’attribuer tous ces effets aux seules prises de position de son PDG. «Pour certaines entreprises, un boycott peut tout de même avoir des conséquences massives», confirme l’économiste du CEPII.

Mais un boycott généralisé de produits américains semble peu probable. «En réalité, la plupart des importations américaines ne sont pas des produits de consommation, sur lesquels les citoyens font des choix directs», pointe-t-il. Parmi les produits sur lesquels la France est la plus dépendante des États-Unis, il y a le gaz naturel liquéfié – autrefois largement fourni par la Russie, avant l’invasion de l’Ukraine –, ou encore des produits liés à l’aéronautique.

Pour des biens et services du quotidien, encore faut-il avoir des alternatives à disposition – comme pour des produits pharmaceutiques ou encore les plateformes numériques, secteur dans lequel les États-Unis sont hégémoniques (Google, Microsoft, Meta…). Cela ne signifie pas que des options non-américaines n’existent pas, mais elles doivent être suffisamment intéressantes pour convaincre les Français·es de se détourner de leurs habitudes.

Un outil plus politique qu’économique

Outre des effets économiques difficilement quantifiables, les appels au boycott sont surtout des outils politiques puissants – et à plus forte raison lorsqu’ils concernent un pays historiquement allié et partenaire commercial.

«Plus que le boycott, c’est l’appel au boycott qui peut porter une certaine efficacité. Cet appel manifeste une forme d’ostracisme, le souhait de ne plus vouloir échanger ou avoir des relations avec des produits, des marques, des entreprises, voire des pays», détaille à Vert Sophie Dubuisson-Quellier, chercheuse en sociologie économique et autrice de La consommation engagée. «C’est une arme qui joue sur les réputations et les valeurs morales, et là est sa force politique», complète la sociologue, pour qui le ciblage des États-Unis est significatif au vu de leur omniprésence sur la scène internationale. «Le boycott ne mettra pas à mal économiquement les groupes qui ont le plus soutenu le président américain, soutient quant à lui Léo Charles, économiste et maître de conférences à l’Université Rennes 2. Il peut avoir un impact sur la domination culturelle des États-Unis si la démarche atteint les représentants phares du modèle américain comme X, Meta ou Coca-Cola.»

Surtout, le boycott peut être un outil de rétorsion face à un État agressif et protectionniste, mais il ne doit pas être le seul si l’on souhaite un impact durable. «Cela peut participer à une mobilisation contre des politiques hostiles de la part d’un gouvernement étranger, mais cela ne peut pas être la seule réponse, juge Vincent Vicard. Si l’on prend l’exemple du Canada, la réponse aux 25% de droits de douane voulus par Trump ne pouvait pas être un simple boycott : il fallait aussi une réponse politique pour instaurer un rapport de force vis-à-vis de l’administration américaine.» C’est pourquoi le premier ministre canadien, Justin Trudeau – qui a récemment quitté son poste – a décidé d’imposer des taxes douanières de 25% aux États-Unis, et incité ses concitoyen·nes à éviter de voyager là-bas et à favoriser les achats locaux.

Une chose est sûre : il y a un monde entre des initiatives citoyennes de boycott, comme en France, et un appel officiellement lancé par un gouvernement. Par sa nature plus coordonnée et sa force de frappe démultipliée, le second aura toujours plus de chance de peser sur les relations entre États. En France, nous n’en sommes pas encore là.

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