Tribune

Black Friday : «La dynamique de consommation actuelle renforce les inégalités et les divisions sociales»

Acheteur d’hiver. Dans une tribune à Vert, une vingtaine d’entreprises de l’économie circulaire plaident pour le réemploi, le partage et les achats de seconde main, à l’occasion du Black Friday. Elles lancent aussi une plateforme, Share Friday, pour mettre en commun leurs alternatives aux modes de consommation dominants.
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Critiqué pour son impact social et environnemental, le Black Friday est, tel qu’il existe aujourd’hui, symbole de la surconsommation. Malgré les mouvements de boycott, l’événement reste crucial pour les consommateurs, avec 83% des foyers français toujours en quête de promotions pour préserver leur pouvoir d’achat. Cependant, beaucoup reconnaissent aussi la nécessité de repenser leurs modes de consommation face à la crise climatique. Nous faisons ainsi face à une fracture entre une volonté collective de consommer mieux et la réalité économique, où ce choix est souvent réservé à une élite.

Ouverture de la boutique d’une marque d’ultra fast-fashion. Les marketplaces low cost ont le vent en poupe ces dernières années. © Wikimedia Commons

Mais pourquoi le Black Friday, ne pourrait-il pas alors devenir une occasion de promouvoir des alternatives durables ? Plutôt que de lutter contre son impact qu’il semble difficile d’enrayer, intégrons-le en mettant en avant une économie du partage et une meilleure utilisation des ressources. Grâce à des initiatives comme «Share Friday», profitons de ce moment commercial devenu – pour les mauvaises raisons – incontournable pour sensibiliser les consommateurs à des solutions responsables et encourager l’action collective. Ensemble, conjuguons nos efforts pour favoriser une économie circulaire en pleine expansion.

Il est urgent d’agir sur les effets délétères de la surconsommation

Malgré une inflation qui a nettement ralenti en France (elle est à 1,2% en octobre 2024), le pouvoir d’achat des citoyen·nes reste en berne. S’il reste la principale préoccupation pour 51% des Français·es, tous les moyens sont bons pour améliorer celui-ci. L’engouement pour les produits de marques de distributeurs ainsi que les promotions ne faiblit pas, et d’autres nouvelles tendances apparaissent : les marketplaces de l’ultra low cost, le Buy Now Pay Later pour acheter facilement en plusieurs fois sans frais, ou encore la professionnalisation rapide et très accessible des particuliers sur des plateformes de revente ou de location à courte durée.

Il serait malhonnête de nier l’attractivité de ces solutions pour certains foyers, qui se voient réaliser, grâce à elles, des économies substantielles. Une aubaine pour les entreprises concernées qui ne tarissent pas sur des communications agressives, l’utilisation des opérations commerciales de grande ampleur ou encore la stratégie du yield management, qui consiste à faire varier les prix en fonction de la demande, afin de s’assurer d’être le plus attractif possible face à des concurrences intra-sectorielles accrues.

Toutefois, cette course aux économies soulève des questions quant à l’impact social et environnemental. Cette quête du pouvoir d’achat s’accompagne de conséquences néfastes : la dépendance à la surconsommation au détriment de l’environnement et du – réel – bien-être des client·es finaux·ales. Endettement, obsolescence programmée, dangers sanitaires, épuisement des ressources… des conséquences connues de toutes et tous, et pourtant peu de choses changent.

L’inaccessibilité des biens responsables : une réalité encore trop ancrée

Dans ce tableau un peu morose de la société, une tendance encourageante émerge : l’environnement devient un critère de plus en plus important dans les choix d’achat des Français·es. Le baromètre Greenflex-Ademe 2024 de la consommation responsable déclare par exemple que 55% d’entre elles et eux limitent à présent leurs achats de produits neufs systématiquement ou régulièrement, ou encore que 65% exercent d’ores et déjà des arbitrages en changeant de magasin pour se tourner vers une option plus engagée (locale, bio, etc.).

Cependant, ces tendances peinent à réellement se démocratiser, les dissonances cognitives persistent. Il reste de nombreux·ses consommateurs·trices qui n’osent pas s’intéresser aux marques éthiques car elles sont perçues comme trop chères, punitives (elles représenteraient un sacrifice, en obligeant à abandonner des modes de consommation trop ancrés) et génératrices de charge mentale (acheter de l’occasion nécessiterait par exemple plus de temps de recherche, de négociation et de logistique). Il est indéniable que l’argent, le temps et la décharge mentale constituent de véritables privilèges de nos jours. Nous faisons ainsi face à un effet de polarisation où la dynamique de consommation actuelle renforce les inégalités et les divisions sociales : le choix responsable devient un luxe.

Pour combattre ces sujets et sensibiliser, certains s’attaquent par exemple aux événements promotionnels massifs à travers des mouvements de boycott, blâmant le non-sens de toute cette frénésie d’achat. Ce sont des moyens tout à fait pertinents et essentiels qui pointent les maux profonds de notre système. Ainsi nous décidons de proposer une démarche complémentaire qui vise à permettre de mieux consommer sans pour autant se priver ou culpabiliser.

Le Black Friday : un autre modèle de promotion est possible

Si les principaux freins à l’achat responsable sont toutes les tentations commerciales peu éthiques mais très séduisantes, omniprésentes et facilitatrices de notre quotidien effréné, nous observons toutefois un manque clair d’informations sur les véritables solutions alternatives. Oui, il existe bien une multitude de biens et de services sains et accessibles. Leurs entreprises ont alors un rôle crucial à jouer en termes de promotion et d’éducation. Comment ? D’une part, en captant le public lors d’instants clés de consommation – tels que des soldes – où il ressent le besoin urgent d’obtenir une information sur un produit, de le trouver ou de réaliser une action quelconque d’achat ; d’autre part en rendant la consommation responsable désirable, accessible et transparente.

C’est dans cette optique que nous lançons le mouvement Share Friday. À l’heure où le Black Friday incarne l’apogée d’une consommation frénétique, il est temps de repenser cet événement en le rendant plus en phase avec les défis écologiques et sociaux d’aujourd’hui. L’initiative Share Friday s’inscrit dans cette volonté de transformation en proposant une alternative : un Black Friday plus sensé, où les promotions ne sont pas des incitations à l’achat compulsif, mais des occasions de promouvoir des choix de consommation plus justes et éclairés.

En réunissant une dizaine de marques partageant les mêmes valeurs, l’opération du 29 novembre vise à encourager la réflexion collective sur nos pratiques de consommation et à engager un dialogue sur la nécessité d’un changement vers un modèle plus durable. Privilégier la seconde main pour ses meubles et ses équipements, échanger ses biens, et même son logement pour les vacances, autant de fois qu’on le souhaite et à moindre frais, donner et récupérer gratuitement et facilement toutes sortes d’objets, louer plutôt qu’acheter les équipements qui nous servent peu, faire des courses anti-gaspillage peu onéreuses, ou encore utiliser des produits d’hygiène innovants durables et sans superflu, c’est autant de solutions accessibles qui privilégient l’utilisation des ressources existantes via l’échange, le partage et la sensibilisation à l’impact environnemental.

Par cette initiative, nous ne prétendons pas être la solution à tous les défis écologiques, mais nous affirmons avec conviction que la transition vers une économie responsable repose sur le renforcement de sa visibilité à travers la mobilisation, l’éducation et, surtout, des actions concrètes menées par des marques engagées. Celles-ci démontrent qu’un autre modèle est possible, sans pour autant compromettre la satisfaction des besoins individuels. Il est temps de passer des intentions aux actes, et de prouver que consommer autrement n’est pas un sacrifice, mais une promesse d’avenir durable qui doit être accessible à toutes et tous !

Signataires :  Floriane ADDAD, MyTroc ; Thomas ARNAUDO, 900.care ; Hakim BAKA, Geev ; Grégoire CARLIER, Sven RIPOCHE et Claire LAURENT, BeneBono ; Sandrine & Julien DUIGOU, SwapTheRoad ; Aurélie FIRCOWIZ, Murfy ; Charles-Édouard GIRARD, HomeExchange ; Thomas GOUNOT, Campsider ; Virginie KERHUEL et Cyrielle Français, belOOp ; Ilfynn LAGARDE, Youzd ; Yann LEMOINE et Thomas KOELL, Les Biens en Commun ; Morgane LONGO, Lib&Lou ; Ralph MANSOUR & Quentin HAYOT, Le Closet ; Raphaël MASBOU, Lokki ; Marie REBOUL, Getaround ; Livingstone MEKAMOU, DressLike ; Clément MERY et Jonathan NEGRIN, Willy anti-gaspi ; Raphaël MOREL, Articonnex ; François TRUONG, Kidibam ; Valérian FAUVEL et Valentin LHEUREUX, HomeCycle.