Rabais joie. Le principe est simple : une journée d’offres promotionnelles et de dispositifs publicitaires massifs pour lancer le top départ des achats de Noël. Et c’est ce vendredi. En 2021, alors que ce chiffre baissait légèrement pour la première fois, les Nord-Américain·es ont dépensé 8,9 milliards de dollars le jour J, selon Adobe Analytics. Parmi les grands gagnants de l’opération : Amazon, UberEats ou encore Apple.
Au fil des ans, l’opération s’est étalée dans le temps, incluant le « Cyber monday », le lundi qui suit, dédié à l’achat de produits technologiques, puis devenant une « Black week » — voire plus (Vert). Avec la hausse généralisée des prix, 70% des consommateurs et consommatrices en ligne français — dits « cyberacheteur·ses » — ont l’intention de participer à ce grand raout sur internet aujourd’hui, selon une enquête en ligne réalisée auprès d’un millier de personnes par Toluna Harris Interactive pour la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance (Fevad). Parmi les 30% qui résistent, les motivations sont évidemment le pouvoir d’achat, mais aussi le rejet de la surconsommation et du gaspillage. 9% se disent certains de bouder l’opération et un tiers des personnes interrogées préfèreraient avoir un cadeau d’occasion à Noël plutôt qu’un produit neuf. L’an passé, le budget prévisionnel par personne pour le Black friday était de 333 euros, a estimé un sondage Yougov.
Ristournes riquiqui, fausses promos et vraies arnaques, l’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir documente de longue date ce qui se trame derrière les ventes flash, même si les règles se sont un peu durcies cette année. La période est aussi propice aux contrefaçons, alerte l’Union des fabricants (Unifab). Ces dernières sont en général non recyclables, et ont un bilan carbone « désastreux » en raison de leur acheminement depuis les pays de production et de la « multiplication des trajets pour brouiller les pistes ».
Par ailleurs, les conditions de travail des employé·es des plateformes d’e-commerce se dégradent encore pendant ce coup de pression, et de nombreux commerces préparent des stocks en vue de cette journée, multipliant d’autant la surproduction et la pollution.
Depuis plusieurs années, les appels au boycott et les alternatives se multiplient. En 2017 déjà, la Camif avait décidé de fermer son site pendant une journée. Une opération qui n’est pas reconduite même si l’entreprise de commerce en ligne « renonce à cette opération commerciale » cette année encore. Elle n’est pas la seule à bouder dans l’Hexagone. eBay France a aussi annoncé qu’elle ne proposera aucune remise sur les produits neufs. En 2018, plusieurs réseaux de ressourceries et entreprises dites « sociales et solidaires » créaient le Green friday, un évènement citoyen en faveur de la consommation responsable. Pour eux, le Black friday est « le symbole de la surconsommation et du marketing qui pousse à acheter plutôt qu’à s’interroger sur ce qui est utile », explique à Vert Diane Scemama, cofondatrice de la plateforme de consommation « responsable » DreamAct et du Green friday.
Lors du Black friday, les Français·es achètent en majorité « les produits tech, de mode et de beauté. Or, il s’avère que nos corps de métiers consistent à décortiquer ce qui se cache derrière ces industries de la tech sans cesse renouvelée, de la fast fashion et des cosmétiques pleins de cochonneries », poursuit-elle. En 2022, les 600 adhérent·es du Green friday s’engagent une nouvelle fois à ne pratiquer aucune promotion ce vendredi et à reverser 10% de leur chiffre d’affaires à des associations de lutte contre l’obsolescence programmée ou le gaspillage.
Selon un sondage mené par Harris interactive pour la MAIF et le Green friday, 70% des 1 600 personnes interrogées associent le Black friday à de la surconsommation, mais 55% envisagent tout de même de profiter des promotions cette année. Pour les acheteuses et acheteurs, il est d’autant plus difficile d’y voir clair avec l’explosion du greenwashing : des « structures réellement engagées se retrouvent face à des mastodontes qui utilisent les mêmes arguments qu’eux, mais sans aucune réalité derrière », déplore Diane Scemama. Elle refuse de faire porter la culpabilité de cette journée sur les citoyen·nes. « Pour améliorer le pouvoir d’achat, le meilleur moyen est d’acheter moins, au prix juste pour rémunérer correctement toute la chaîne, des produits qui vont durer davantage dans le temps et qui sont vraiment utilisés. La baisse de la consommation passe aussi par le fait de proposer un autre modèle. »
Dans le sud-ouest, une initiative prônant, elle aussi, un nouveau modèle tend à s’inscrire dans le temps : le Free friday. Une boutique gratuite ouverte pendant une journée grâce à des dons, lancée en 2019 par des citoyen·nes de Mont-de-Marsan (Landes). Vêtements, vélos, livres, pierrades, montres connectées, livres… rien ne se paie. « De nombreuses personnes viennent parce qu’elles sont dans une très grande précarité. Mais il y a aussi des curieux, et peut-être des gens qui ont consommé pour le Black friday, qui ont acheté un frigo dont ils avaient besoin. Mais le fait de venir consommer autrement, sans argent, est important. En faisant ce geste, ils disent aussi qu’ils n’adhèrent pas totalement, qu’ils n’ont pas envie de tomber complètement dans le piège de la surconsommation », explique Emmanuelle Pédezert, coprésidente de la maison écocitoyenne des Landes qui a repris l’organisation. Pour elle, une des solutions est d’adopter au quotidien la méthode BISOU, qui consiste à se poser des questions sur son Besoin Immédiat d’achat, les objets Semblables que l’on a déjà et sur l’Origine et l’Utilité de notre emplette. Devant le succès, la maison écocitoyenne des Landes réfléchit à proposer une deuxième édition dans l’année.
À lire aussi
-
Enfer social et écologique, le Black friday est hors-la-loi en France
Black friday, black week, black époque. Critiquée de toutes parts par les associations, interdite par la loi française, cette grand-messe de la surconsommation continue son essor dans nos échoppes et, surtout, en ligne. -
Catherine Dauriac : « nous avons produit assez de vêtements pour habiller la planète jusqu’en 2100 »
Jusqu’au 24 avril, la Fashion revolution week entend sensibiliser le public sur les conditions de travail subies par celles et ceux qui fabriquent nos vêtements. À cette occasion, Vert a interrogé Catherine Dauriac, coordinatrice nationale de l’ONG Fashion revolution. Cette pionnière de la mode éthique nous éclaire sur les nombreux défis que l’industrie textile doit relever pour respecter la justice sociale et l’écologie.