Décryptage

Les alternatives au Black friday se multiplient en France

La journée est classée noire sur le front du gaspillage et des arnaques. Depuis qu’il est arrivé en France en provenance des États-Unis autour de 2015, le Black friday séduit chaque année près de la moitié des consommatreur·rices français·es.
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Rabais joie. Le principe est sim­ple : une journée d’offres pro­mo­tion­nelles et de dis­posi­tifs pub­lic­i­taires mas­sifs pour lancer le top départ des achats de Noël. Et c’est ce ven­dre­di. En 2021, alors que ce chiffre bais­sait légère­ment pour la pre­mière fois, les Nord-Américain·es ont dépen­sé 8,9 mil­liards de dol­lars le jour J, selon Adobe Ana­lyt­ics. Par­mi les grands gag­nants de l’opération : Ama­zon, UberEats ou encore Apple.

Au fil des ans, l’opération s’est étalée dans le temps, inclu­ant le « Cyber mon­day », le lun­di qui suit, dédié à l’achat de pro­duits tech­nologiques, puis devenant une « Black week » — voire plus (Vert). Avec la hausse général­isée des prix, 70% des con­som­ma­teurs et con­som­ma­tri­ces en ligne français — dits « cyberacheteur·ses » — ont l’in­ten­tion de par­ticiper à ce grand raout sur inter­net aujourd’hui, selon une enquête en ligne réal­isée auprès d’un mil­li­er de per­son­nes par Tol­u­na Har­ris Inter­ac­tive pour la Fédéra­tion de l’e-com­merce et de la vente à dis­tance (Fevad). Par­mi les 30% qui résis­tent, les moti­va­tions sont évidem­ment le pou­voir d’achat, mais aus­si le rejet de la sur­con­som­ma­tion et du gaspillage. 9% se dis­ent cer­tains de boud­er l’opération et un tiers des per­son­nes inter­rogées préfèr­eraient avoir un cadeau d’occasion à Noël plutôt qu’un pro­duit neuf. L’an passé, le bud­get prévi­sion­nel par per­son­ne pour le Black fri­day était de 333 euros, a estimé un sondage Yougov.

Ris­tournes riquiqui, fauss­es pro­mos et vraies arnaques, l’association de défense des con­som­ma­teurs UFC-Que Choisir doc­u­mente de longue date ce qui se trame der­rière les ventes flash, même si les règles se sont un peu dur­cies cette année. La péri­ode est aus­si prop­ice aux con­tre­façons, alerte l’U­nion des fab­ri­cants (Uni­fab). Ces dernières sont en général non recy­clables, et ont un bilan car­bone « désas­treux » en rai­son de leur achem­ine­ment depuis les pays de pro­duc­tion et de la « mul­ti­pli­ca­tion des tra­jets pour brouiller les pistes ».

Par ailleurs, les con­di­tions de tra­vail des employé·es des plate­formes d’e-com­merce se dégradent encore pen­dant ce coup de pres­sion, et de nom­breux com­merces pré­par­ent des stocks en vue de cette journée, mul­ti­pli­ant d’autant la sur­pro­duc­tion et la pol­lu­tion.

Depuis plusieurs années, les appels au boy­cott et les alter­na­tives se mul­ti­plient. En 2017 déjà, la Cam­if avait décidé de fer­mer son site pen­dant une journée. Une opéra­tion qui n’est pas recon­duite même si l’entreprise de com­merce en ligne « renonce à cette opéra­tion com­mer­ciale » cette année encore. Elle n’est pas la seule à boud­er dans l’Hexagone. eBay France a aus­si annon­cé qu’elle ne pro­posera aucune remise sur les pro­duits neufs. En 2018, plusieurs réseaux de ressourceries et entre­pris­es dites « sociales et sol­idaires » créaient le Green fri­day, un évène­ment citoyen en faveur de la con­som­ma­tion respon­s­able. Pour eux, le Black fri­day est « le sym­bole de la sur­con­som­ma­tion et du mar­ket­ing qui pousse à acheter plutôt qu’à s’interroger sur ce qui est utile », explique à Vert Diane Sce­ma­ma, cofon­da­trice de la plate­forme de con­som­ma­tion « respon­s­able » Drea­mAct et du Green fri­day.

Lors du Black fri­day, les Français·es achè­tent en majorité « les pro­duits tech, de mode et de beauté. Or, il s’avère que nos corps de métiers con­sis­tent à décor­ti­quer ce qui se cache der­rière ces indus­tries de la tech sans cesse renou­velée, de la fast fash­ion et des cos­mé­tiques pleins de cochon­ner­ies », pour­suit-elle. En 2022, les 600 adhérent·es du Green fri­day s’engagent une nou­velle fois à ne pra­ti­quer aucune pro­mo­tion ce ven­dre­di et à revers­er 10% de leur chiffre d’af­faires à des asso­ci­a­tions de lutte con­tre l’obsolescence pro­gram­mée ou le gaspillage.

Selon un sondage mené par Har­ris inter­ac­tive pour la MAIF et le Green fri­day, 70% des 1 600 per­son­nes inter­rogées asso­cient le Black fri­day à de la sur­con­som­ma­tion, mais 55% envis­agent tout de même de prof­iter des pro­mo­tions cette année. Pour les acheteuses et acheteurs, il est d’autant plus dif­fi­cile d’y voir clair avec l’explosion du green­wash­ing : des « struc­tures réelle­ment engagées se retrou­vent face à des mastodontes qui utilisent les mêmes argu­ments qu’eux, mais sans aucune réal­ité der­rière », déplore Diane Sce­ma­ma. Elle refuse de faire porter la cul­pa­bil­ité de cette journée sur les citoyen·nes. « Pour amélior­er le pou­voir d’achat, le meilleur moyen est d’acheter moins, au prix juste pour rémunér­er cor­recte­ment toute la chaîne, des pro­duits qui vont dur­er davan­tage dans le temps et qui sont vrai­ment util­isés. La baisse de la con­som­ma­tion passe aus­si par le fait de pro­pos­er un autre mod­èle. »

Dans le sud-ouest, une ini­tia­tive prô­nant, elle aus­si, un nou­veau mod­èle tend à s’inscrire dans le temps : le Free fri­day. Une bou­tique gra­tu­ite ouverte pen­dant une journée grâce à des dons, lancée en 2019 par des citoyen·nes de Mont-de-Marsan (Lan­des). Vête­ments, vélos, livres, pier­rades, mon­tres con­nec­tées, livres… rien ne se paie. « De nom­breuses per­son­nes vien­nent parce qu’elles sont dans une très grande pré­car­ité. Mais il y a aus­si des curieux, et peut-être des gens qui ont con­som­mé pour le Black fri­day, qui ont acheté un fri­go dont ils avaient besoin. Mais le fait de venir con­som­mer autrement, sans argent, est impor­tant. En faisant ce geste, ils dis­ent aus­si qu’ils n’adhèrent pas totale­ment, qu’ils n’ont pas envie de tomber com­plète­ment dans le piège de la sur­con­som­ma­tion », explique Emmanuelle Pédez­ert, coprési­dente de la mai­son écoc­i­toyenne des Lan­des qui a repris l’organisation. Pour elle, une des solu­tions est d’adopter au quo­ti­di­en la méth­ode BISOU, qui con­siste à se pos­er des ques­tions sur son Besoin Immé­di­at d’achat, les objets Sem­blables que l’on a déjà et sur l’Origine et l’Utilité de notre emplette. Devant le suc­cès, la mai­son écoc­i­toyenne des Lan­des réflé­chit à pro­pos­er une deux­ième édi­tion dans l’année.