Reportage

Avion Air France repeint en vert par Greenpeace : «la cause est juste», estime le procureur

Neuf activistes de Greenpeace qui avaient barbouillé de vert un avion à l’aéroport de Roissy comparaissaient ce jeudi au tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Des amendes relativement faibles ont été requises. Récit.
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De la peinture verte barbouillée sur la carlingue d’un avion, des personnes perché·es sur l’aile et le toit de l’appareil, une grande banderole jaune «Climat en danger, la solution : moins d’avion»…  Le 5 mars 2021, neuf militant·es de l’association Greenpeace ont investi le tarmac de l’aéroport parisien Roissy-Charles de Gaulle pour une courte action de désobéissance civile contre «l’avion vert».

À l’époque, plusieurs milliards d’euros d’aides publiques avaient été accordés à Air France sans contrepartie environnementale à la suite du Covid-19, et le gouvernement communiquait largement sur les promesses de l’avion vert pour décarboner l’aviation – un contexte qui a motivé leur passage à l’acte.

Les prévenu·es étaient jugé·es ce jeudi pour dégradations volontaires d’un avion d’Air France, entrave au fonctionnement d’une installation à usage aéronautique et refus de se soumettre au prélèvement biologique lors de leur interpellation. Les dégradations en question ont entraîné un préjudice de 60 000 euros pour Air France – intégralement pris en charge par l’assurance de la compagnie – qui réclame un euro symbolique de dommages et intérêts par personne, tout comme le groupe Aéroports de Paris, deuxième partie civile du procès.

Des militant·es de Greenpeace repeignent un avion Air France en vert tandis que d’autres tentent de déployer une banderole sur le toit de l’appareil, le 5 mars 2021 à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. © Alain Jocard / AFP

Lors de l’audience, les débats n’ont pas porté sur les faits, reconnus par les activistes, mais sur leur justification. «Ces actes sont considérés comme illégaux, mais moi je les considère comme légitimes. Alors que le climat est en train de se dérégler, c’est important de pointer du doigt l’impact du trafic aérien sur le dérèglement climatique et l’inaction du gouvernement», explique Estrella, l’une des cinq militant·es présent·es à l’audience.

Le mythe de l’avion vert

Pour appuyer ces propos, la défense a fait intervenir deux experts : le climatologue et membre du Giec Gerhard Krinner, et Florian Simatos, enseignant-chercheur à l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (Isae-Supaéro). «Il est requis une diminution forte et durable des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, soit -5% à -10% par an si on veut être sérieux. Et tous les secteurs doivent contribuer, dont l’aviation», a avancé Gerhard Krinner.

«Un certain avion vert existe», a commencé Florian Simatos, citant l’exemple d’un vol transatlantique mené en novembre 2023 qui a utilisé 100% de carburants durables. «Mais c’est un mauvais cadre pour penser l’avenir du secteur aérien, puisqu’il invisibilise le vrai problème qui est un problème d’échelle. Il y a 23 000 avions dans la flotte commerciale et on table sur un doublement de cette flotte en 2042.»

L’avion vert, qui repose sur des technologies non matures, chères et inadaptées à l’ensemble des vols, ne sera ni prêt à temps pour décarboner le secteur, ni suffisant pour enrayer les projections de croissance du trafic. «Le débat sur l’avion vert laisse penser qu’une solution technologique miracle ferait entrer l’aviation dans des trajectoires compatibles avec l’Accord de Paris. Or, ce n’est pas le cas», a tranché l’enseignant-chercheur.

«Air France est une société particulièrement engagée depuis plusieurs années dans la défense du climat. Même si c’est une compagnie aérienne qui fait voler des avions, elle les fait voler de manière responsable», a défendu l’avocate de la compagnie, Maître Chemarin.

L’utilité de la désobéissance civile

«L’action menée vous a-t-elle permis d’obtenir ce que vous cherchiez ?», a longuement interrogé le président d’audience. «Non, a reconnu Simon, mais ça permet de mettre en lumière la non-écoute de certains élus sur les attentes de la population sur les questions climatiques.» «Ça fait avancer le débat en tout cas», a abondé Eva.

Avant l’audience, une quarantaine de sympathisant·es de Greenpeace et plusieurs élu·es se sont réuni·es devant le tribunal correctionnel de Bobigny en soutien aux neuf activistes en procès. © Justine Prados / Vert

«La cause est juste», a admis le procureur. «Mais la fin justifie-t-elle les moyens, permet-elle d’enfreindre la loi ?» La notion d’état de nécessité permet de commettre des délits en cas de péril grave et imminent – ce qui est le cas ici, reconnaît le procureur – mais si et seulement si la réponse est proportionnée et permet d’éviter ce péril. «Il faut que cette action serve à quelque chose et soit le dernier recours», a-t-il écarté. «Ça voudrait dire qu’on ne pourrait faire usage de sa liberté d’expression que si et seulement si on est certain qu’elle aboutisse à quelque chose ? C’est extrêmement inquiétant !», s’est exclamée Maître Dosé, l’avocate de Greenpeace.

«Greenpeace est à l’origine de l’Affaire du siècle qui a fait condamner l’État pour inaction climatique, produit de nombreux rapports, fait du plaidoyer… C’est parce que Greenpeace a déjà tout fait qu’à un moment cette action existe !», a pointé l’avocate, pour qui l’état de nécessité et la liberté d’expression des activistes justifient leur relaxe.

Soulignant l’absence d’intérêt individuel des prévenu·es dans cette action, le procureur a écarté les peines de prison et requis des condamnations allant de 700 euros d’amende à 120 jours-amende à dix euros. Une amende de 100 euros pour les huit activistes qui avaient refusé le prélèvement biologique a aussi été réclamée. Le délibéré sera rendu le 22 février prochain.

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