Décryptage

Avec ses centaines de fuites de méthane, souvent volontaires, l’industrie fossile accélère le chaos climatique

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Ça a fuité. Grâce à des satel­lites, des sci­en­tifiques ont mis au jour près de 2 000 fuites de méthane sur le globe. L’industrie du pét­role et du gaz est respon­s­able de la plu­part de ces échappe­ments qui aggravent encore un peu plus la crise cli­ma­tique. 

Le méthane (CH4) est le deux­ième gaz à effet de serre le plus présent dans l’atmosphère, der­rière le dioxyde de car­bone (CO2). Il est aus­si bien plus néfaste que ce dernier, avec un pou­voir de réchauf­fe­ment 86 fois supérieur au CO2 au cours des 20 pre­mières années passées dans l’atmosphère. Libéré par l’a­gri­cul­ture indus­trielle, les décharges et l’ex­ploita­tion d’hy­dro­car­bu­res, ce gaz est respon­s­able d’un quart du réchauf­fe­ment cli­ma­tique depuis l’ère préin­dus­trielle (milieu du 19ème siè­cle). 

Jusqu’à présent, les fuites mas­sives de méthane étaient con­sid­érées comme des faits excep­tion­nels par les sci­en­tifiques, faute de don­nées plus com­plètes à leur dis­po­si­tion. Pub­liée jeu­di dans la revue Sci­ence, une nou­velle étude a révélé quelque 1 800 fuites observées entre 2019 et 2020. 1 200 d’entre elles sont directe­ment imputa­bles à l’exploitation de gaz et de pét­role.

Piloté par le Lab­o­ra­toire des sci­ences du cli­mat et de l’environnement, avec l’aide de la start-up française Kayrros, spé­cial­isée dans l’analyse de don­nées, ce tra­vail s’est appuyé sur des obser­va­tions satel­lites quo­ti­di­ennes depuis la plate­forme européenne « Tropo­mi ». Aupar­a­vant, les analy­ses des émis­sions de méthane étaient réal­isées au sol ou par voie aéri­enne. Des tech­niques bien moins pré­cis­es et exhaus­tives. 

Les auteur·rices de l’étude soulig­nent toute­fois cer­taines lim­ites à la méth­ode satel­lite : la cou­ver­ture nuageuse a freiné la détec­tion du méthane dans cer­taines régions du monde, comme les tropiques ou dans les infra­struc­tures off­shore. L’étude exclut aus­si le bassin per­mien aux États-Unis, une région riche en gise­ments pétro-gaziers qui s’étend du Texas au Nou­veau-Mex­ique.

Des fuites souvent intentionnelles

Ces fuites observées dans des exploita­tions de pét­role ou de gaz relâchent env­i­ron huit mil­lions de tonnes de méthane par an. Soit l’équivalent de 8 à 12% des émis­sions totales de méthane du secteur des hydro­car­bu­res. À cause du pou­voir de réchauf­fe­ment du CH4, ces largages ont un effet équiv­a­lent « à l’influence totale de toutes les émis­sions de l’Australie ou des Pays-Bas depuis 2005, ou au retrait des routes de 20 mil­lions de véhicules pen­dant un an », esti­ment les sci­en­tifiques. La plu­part des échappe­ments ont été détec­tés dans une poignée de pays : la Russie, le Turk­ménistan, les États-Unis, l’Iran, l’Ouzbék­istan ou encore l’Algérie. Cer­tains sites relâchent plusieurs cen­taines de tonnes de méthane par heure.

Carte mon­trant la local­i­sa­tion des prin­ci­paux gazo­ducs (en bleu) et les prin­ci­pales sources d’émissions de méthane liées à l’industrie pétrolière et gaz­ière (en orange). © Kayrros Inc., Esri, HERE, Garmin, FAO, NOAA, USGS, Open­StreetMap

« On s’est aperçus que la majorité de ces fuites ne sont pas des acci­dents mais inten­tion­nelles », a expliqué au Monde Thomas Lau­vaux, co-auteur de l’étude. Cer­taines se pro­duisent lors d’opérations de main­te­nance des infra­struc­tures, notam­ment lors de la vidan­ge des pipelines. Le méthane est directe­ment relâché dans l’atmosphère, plutôt que d’être torché, ce qui le chang­erait alors en CO2. N’étant pas réper­toriées par les exploitants, ces fuites ne sont pas compt­abil­isées dans les bilans des émis­sions des États.

Pour­tant, col­mater ces fuites per­me­t­trait d’économiser beau­coup d’argent. « En prenant en compte les coûts socié­taux sous-jacents aux impacts sur le cli­mat et la qual­ité de l’air ain­si que le prix du gaz per­du, l’étude mon­tre au con­traire que les lim­iter serait syn­onyme de mil­liards de dol­lars d’économies nettes pour les pays qui en sont respon­s­ables », com­mente le CNRS, qui a par­ticipé aux travaux. L’étude éval­ue le manque à gag­n­er à env­i­ron six mil­liards de dol­lars (5,24 Mds€) pour le Turk­ménistan, qua­tre mil­liards pour la Russie ou encore 1,6 mil­liard pour les États-Unis.

De plus, puisque ce gaz pro­duit l’essen­tiel de ses effets dans les pre­mières années passées dans l’at­mo­sphère, agir à la source con­tre les fuites de méthane est l’une des manières les plus sim­ples et rapi­des d’en­ray­er le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, comme l’avait souligné un rap­port des Nations Unies en mai 2021.