Reportage

Au débat des Européennes sur la transition écologique, quatre nuances de vert et des absents

Débat et des hauts. Mercredi 22 mai, l’Institut Rousseau, Vert, Alternatives économiques et Quota Climat, ont convié à l’École des Mines de Paris cinq candidat·es aux prochaines élections européennes du 9 juin. Un riche débat qui a tracé de multiples chemins possibles pour accélérer la transition écologique.
  • Par

Dans le nou­v­el amphithéâtre de l’École des Mines, en bor­dure du jardin du Lux­em­bourg à Paris, Pas­cal Can­fin (Renais­sance), Jean-Marc Ger­main (Par­ti social­iste, Place publique), Flo­ra Ghe­bali (les Écol­o­gistes), Mari­na Mesure (La France insoumise) et Stéphane Pied­noir (Les Répub­li­cains) étaient invités à débat­tre, mer­cre­di 22 mai. Le représen­tant des Répub­li­cains, «retenu dans sa cir­con­scrip­tion», n’a finale­ment pas pu se join­dre aux dis­cus­sions.

L’Institut Rousseau, Vert et Alter­na­tives économiques avaient fait le choix de ne pas con­vi­er les par­tis d’extrême droite, jugeant impos­si­ble d’offrir, sans con­tra­dic­toire, une tri­bune à des par­tis xéno­phobes.

Objec­tif de cette soirée qui a fait salle comble : par­ler cli­mat et tran­si­tion écologique au tra­vers de cinq thèmes majeurs – les trans­ports, le bâti­ment, l’agriculture, le com­merce inter­na­tion­al et le finance­ment de la tran­si­tion. Vert vous résume les prin­ci­pales propo­si­tions énon­cées par les candidat·es au cours de cette soirée, ani­mée par les jour­nal­istes Anne-Claire Poiri­er, de Vert, et Matthieu Jublin, d’Alternatives économiques, et essaimée des propo­si­tions de l’Institut Rousseau.

Le 22 mai 2024, débat dans le cadre des élec­tions européennes à l’É­cole des Mines de Paris. © Yann Castanier/Vert

Le «pass rail» pour les jeunes fait l’unanimité

Sur la ques­tion des trans­ports – secteur représen­tant plus de 20% des émis­sions de GES de l’Union européenne –, le pro­jet d’un pass rail pour les jeunes sem­ble faire l’unanimité. Ce tick­et d’une cinquan­taine d’euros à l’année, déjà mis en place en Alle­magne, per­me­t­trait un usage illim­ité et facil­ité du train sur tout le Vieux Con­ti­nent. «Ce tick­et cli­mat pour tous les jeunes va per­me­t­tre une véri­ta­ble éman­ci­pa­tion, un peu comme le pro­gramme Eras­mus», s’enthousiasme Flo­ra Ghe­bali (Les Écol­o­gistes).

Si tous et toutes insis­tent sur la néces­sité de dévelop­per au max­i­mum le trans­port fer­rovi­aire, pour moins de traf­ic routi­er et aérien, Pas­cal Can­fin (Renais­sance) rap­pelle que la décar­bon­a­tion de la route reste la pri­or­ité : «On est tous d’accord sur le pass rail, mais les efforts doivent d’abord porter sur la décar­bon­a­tion de la route, qui est la source prin­ci­pale des émis­sions liées au trans­port».

Le logement écolo, une question de dignité et de gros sous

Sur la ques­tion du bâti­ment et de l’immense chantier de la réno­va­tion énergé­tique, les can­di­dates de La France insoumise et des Écol­o­gistes soulig­nent de con­cert qu’au-delà des débats tech­niques, le loge­ment est aus­si et d’abord une ques­tion de dig­nité.

«Pour ce qui con­cerne la France, un ménage sur 10 vit dans une pas­soire ther­mique, alors que notre pays est la 7e puis­sance économique mon­di­ale», rap­pelle Mari­na Mesure (LFI). «Rénover, c’est per­me­t­tre de créer plus de 100 000 emplois dans le pays», com­plète Flo­ra Ghe­bali (Les Écol­o­gistes).

Pour rénover, il va fal­loir beau­coup d’argent, les candidat·es le martè­lent. Mais qui va pay­er ? Pour Pas­cal Can­fin (Renais­sance), il faut trou­ver de nou­veaux mod­èles de finance­ment, car «on ne peut pas juste dire : “il faut plus d’argent pub­lic”». Une sor­tie qui ne manque pas de faire réa­gir Jean-Marc Ger­main (Par­ti social­iste, Place publique) : «Comme le mon­trent les don­nées de l’Institut Rousseau, pour faire face à l’urgence de la réno­va­tion, il va fal­loir bien au con­traire de l’argent pub­lic».

Jean-Marc Ger­man (PS, Place publique) lors du débat des Européennes à l’É­cole des Mines de Paris © Yann Castanier/Vert

Dans sa récente étude Road to net zero, l’Institut Rousseau indique que la tran­si­tion écologique va réclamer 360 mil­liards d’euros d’investissements sup­plé­men­taires au niveau européen chaque année, dont les deux tiers devraient être financés par de l’argent pub­lic.

Une politique agricole commune vraiment pas assez verte

Sur la ques­tion agri­cole européenne, le con­stat des candidat·es est clair : la poli­tique agri­cole com­mune (PAC), qui représente le pre­mier bud­get de l’Union européenne (notre arti­cle), est loin d’être assez verte pour faire face aux périls du réchauf­fe­ment cli­ma­tique et de l’effondrement de la bio­di­ver­sité.

«Il est tout à fait pos­si­ble d’avoir une PAC agroé­cologique, mais il faut de la for­ma­tion, de l’accompagnement, plaide Jean-Marc Ger­main (Par­ti social­iste, Place publique). Pour cela, il faut aus­si que les aides agri­coles européennes reposent sur la main‑d’œuvre et pas sur la sur­face des exploita­tions».

Aider les petit·es face aux géants de l’agrobusiness, soutenir les agriculteur·ices bio et leur assur­er un revenu décent, voilà l’autre pri­or­ité que devrait se don­ner l’Europe selon Flo­ra Ghe­bali (les Écol­o­gistes) : «Les agricul­teurs doivent devenir les pre­miers écol­o­gistes en pro­duisant des fibres, de l’énergie».

Flo­ra Ghe­bali (EELV) lors du débat des Européennes à l’É­cole des Mines de Paris. © Yann Castanier/Vert

«On est à un point de bas­cule à cause du réchauf­fe­ment et beau­coup d’agriculteurs vivent sous le seuil de pau­vreté, déplore Mari­na Mesure (LFI). Il faut arrêter d’être en con­cur­rence avec le reste du monde et met­tre fin aux accords de libre-échange».

Pour Pas­cal Can­fin (Renais­sance), c’est aus­si le traite­ment de faveur réservé aux mastodontes de l’agroalimentaire qui doit pren­dre fin pour faire évoluer la PAC : «L’industrie agro-ali­men­taire doit être mise à con­tri­bu­tion dans les objec­tifs de réduc­tion des émis­sions».

Et le protectionnisme redevint cool

Face aux mesures de pro­tec­tion économique ren­for­cées en Chine et aux États-Unis, «l’Union européenne ne serait-elle pas dev­enue l’idiote utile de la mon­di­al­i­sa­tion ?», se demande Flo­ra Ghe­bali (les Écol­o­gistes). «Il est temps d’assumer un pro­tec­tion­nisme écologique européen, avance Jean-Marc Ger­main (Par­ti social­iste, Place publique), et de pro­mou­voir le “juste échange”, en pro­duisant en Europe et en ren­forçant les claus­es miroirs». Ces claus­es désig­nent le fait d’imposer aux pays qui veu­lent importer leurs pro­duits en Europe les mêmes règles et normes qui s’appliquent aux pro­duc­teurs européens.

Mari­na Mesure (La France Insoumise) lors du débat des Européennes à l’É­cole des Mines de Paris © Yann Castanier/Vert

Pour Mari­na Mesure (LFI), la sor­tie des accords de libre-échange s’impose pour per­me­t­tre une réin­dus­tri­al­i­sa­tion de l’Europe. «Ce tro­pisme anti-com­merce en France inter­roge, réag­it Pas­cal Can­fin (Renais­sance). Nous assumons d’avoir signé cer­tains accords de libre-échange, comme celui avec le Chili sur le lithi­um pour per­me­t­tre de fab­ri­quer des bat­ter­ies élec­triques, et pas d’autres, comme le Mer­co­sur».

Qui va payer la facture ?

Pour financer les chantiers pharaoniques de la tran­si­tion écologique au niveau européen, l’argent est mobil­is­able de dif­férentes manières par les États-mem­bres. En piochant dans les réserves, en réal­louant les dépens­es, en aug­men­tant les recettes (tax­es, impôts) ou en emprun­tant.

Alors que le coût de l’inaction revient qua­tre à six fois plus cher, com­ment comptent s’y pren­dre les candidat·es ?

Pas­cal Can­fin (Renais­sance) lors du débat des Européennes à l’É­cole des Mines de Paris © Yann Castanier/Vert

«Allons chercher l’argent dans les poches de ceux qui en ont le plus» : c’est le cap, tra­di­tion­nel à gauche, que pro­pose Mari­na Mesure (LFI), avec la créa­tion d’un impôt vert sur les grandes for­tunes au niveau européen.

Une propo­si­tion partagée par Flo­ra Ghe­bali (les Écol­o­gistes), et Jean-Marc Ger­main (Par­ti social­iste, Place publique) qui sort les gros chiffres : «Il va fal­loir col­lecter 10 000 mil­liards d’euros pour la con­ver­sion écologique, et cela doit se faire via l’impôt et non pas via l’emprunt, comme le pro­pose Renais­sance ! Il ne faut pas faire repos­er ce coût sur les généra­tions futures en emprun­tant.» Visé, Pas­cal Can­fin (Renais­sance) plaide pour ne pas oppos­er argent pub­lic et privé – «Il nous faut les deux !».

Autre con­stat partagé par les candidat·es : la néces­sité de faire évoluer les règles budgé­taires européennes, qui lim­i­tent notam­ment le déficit pub­lic à 3% du PIB – «véri­ta­ble car­can» selon Jean-Marc Ger­main (Par­ti social­iste, Place publique), «obsolètes» pour Mari­na Mesure (LFI) – pour assur­er un finance­ment de la tran­si­tion.

Pour retrou­ver tous les échanges entre les candidat·es et vision­ner l’intégralité de ce riche débat, ren­dez-vous sur YouTube.