Décryptage

Après le pétrole d’Ouganda, TotalEnergies lorgne le gaz au large de l’Afrique du Sud

La multinationale prévoit d’exploiter deux champs gaziers situés dans une zone riche en biodiversité, selon deux ONG. Une pétition vient d’être lancée pour demander l’abandon immédiat du projet.
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Les bad gaz. Au large de la côte mérid­ionale sud-africaine, un mil­liard de bar­ils d’équiv­a­lent pét­role dor­ment entre 200 et 1 800 mètres de pro­fondeur. À 175 kilo­mètres au large de la côte mérid­ionale sud-africaine, les champs de Brul­pad­da et de Luiperd con­stituent une réserve de gaz « de classe mon­di­ale », selon Total­En­er­gies. En pleine crise énergé­tique, la multi­na­tionale prévoit d’in­ve­stir 3 mil­liards de dol­lards pour en tir­er prof­it, rap­por­tent deux ONG. Le 5 sep­tem­bre, une licence de pro­duc­tion a été demandée au gou­verne­ment, selon Bloom et The Green Con­nec­tion, qui deman­dent l’arrêt immé­di­at du pro­jet. Soutenue par l’activiste Camille Eti­enne, le député François Ruf­fin et les eurodéputé·es Kari­ma Del­li et Raphaël Glucks­mann, une péti­tion a été lancée ce lun­di.

Une man­i­fes­ta­tion con­tre les pro­jets d’ex­ploita­tion du gaz et du pét­role au large des côtes s’est déroulée le 26 sep­tem­bre 2022, à Sal­dan­ha, au nord du Cap. © The Green Con­nec­tion

« Une aberration économique et écologique totale »

Ce pro­jet est « une aber­ra­tion économique et écologique totale », s’indigne auprès de Vert Swann Pom­mi­er, chargé de plaidoy­er de l’association Bloom. Les gise­ments de Brul­pad­da et de Luiperd ont été décou­verts suc­ces­sive­ment en 2019 et en 2020 sur des blocs d’exploration détenus à 45% par Total aux côtés de Qatar Petro­le­um (25%), CNR Inter­na­tion­al (20%) et du con­sor­tium sud-africain Main Street (10%). Ils sont situés en plein cœur d’une zone riche en bio­di­ver­sité, comme en témoigne cet atlas des zones marines pro­tégées. Cor­ri­dor bleu sur la route migra­toire de mil­liers de baleines, les eaux sudafricaines abri­tent de mul­ti­ples espèces comme les otaries à four­rure, des man­chots et d’autres oiseaux marins, par­mi lesquels les pétrels et les alba­tros. Les fous du Cap et les tortues Luth vien­nent y faire leur nid. Les asso­ci­a­tions red­outent aus­si les marées noires, dans ces eaux bercées par le courant des Antilles, par­mi les plus tumultueux du monde.

La carte des pro­jets d’exploration et d’exploitation des ressources de pét­role et de gaz en Afrique du Sud. © Petro­le­um Agency SA, sep­tem­bre 2022

L’équivalent de neuf milliards de barils de pétrole enfouis sous les mers

Ces gise­ments ont été décou­verts dans le cadre de l’opération « Phak­isa », vaste pro­jet lancé par le gou­verne­ment sudafricain en 2014 pour stim­uler les investisse­ments dans l’exploration de pét­role et de gaz, avec pour but de creuser pas moins de 30 puits d’exploration d’ici 2024. Un objec­tif large­ment dépassé, puisque 300 puits ont été creusés au cours de la dernière décen­nie par Total­En­er­gies, Shell, Qatar Petro­le­um, la com­pag­nie sudafricaine Pet­roSA et d’autres lead­ers de l’industrie (voir la carte ci-dessus). Selon les dernières esti­ma­tions faites lors des cam­pagnes d’exploration, l’Afrique du Sud pos­sèderait ain­si l’équivalent d’environ neuf mil­liards de bar­ils de pét­role enfouis sous les mers.

Cette stratégie est incom­pat­i­ble avec la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, même si Total­En­er­gies martèle régulière­ment que le gaz émet deux fois moins de CO2 que le char­bon pour légitimer ses pro­jets. En mai 2021, l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE) avait estimé qu’il fal­lait met­tre fin à tout nou­veau pro­jet fos­sile pour con­tenir le réchauf­fe­ment à moins de 1,5°C d’ici la fin du siè­cle, soit l’objectif sur lequel se sont accordés la qua­si-total­ité des Etats du monde, dont la France et l’Afrique du Sud.

En 2014, année du lance­ment de l’opération Phak­isa, l’Afrique du Sud a égale­ment pub­lié un livre blanc pré­con­isant la tran­si­tion vers les éner­gies renou­ve­lables, en exclu­ant les éner­gies fos­siles — y com­pris le gaz.

Le pro­jet men­ace aus­si l’économie locale : de nom­breux habitant·es des côtes dépen­dent de la pêche pour leur survie — tout par­ti­c­ulière­ment des Snoeks, une var­iété de maque­reaux. Or, les nui­sances générées par l’exploration des fonds, la pol­lu­tion sonore et la con­struc­tion d’infrastructures risquent de les en éloign­er.

Les opposant·es à cette exploita­tion ont déjà rem­porté une pre­mière vic­toire. Le 1er sep­tem­bre, The Green Con­nec­tion et les pêcheurs arti­sanaux ont réus­si à met­tre fin à une cam­pagne d’exploration pilotée par Shell au motif que de nom­breuses com­mu­nautés locales n’avaient pas été infor­mées cor­recte­ment du pro­jet.

Dans cette courte vidéo en anglais, l’ONG sudafricaine The Green Con­nec­tion passe en revue les dif­férents pro­jets d’exploration des ressources de gaz et de pét­role au large des côtes ain­si que leurs impacts pour les com­mu­nautés locales et pour la bio­di­ver­sité.

Une phase de consultation jusqu’au 20 janvier 2023

Pour The Green Con­nec­tion et Bloom, il est encore large­ment temps d’agir con­cer­nant les champs de Brul­pad­da et de Luiperd : « les for­ages n’ont pas encore démar­ré, le pro­jet est en phase de con­sul­ta­tion jusqu’au 20 jan­vi­er 2023, souligne encore Swann Pom­mi­er. Nous souhaitons que Total annonce l’abandon du pro­jet avant la COP 27 » sur le cli­mat, qui démarre le 6 novem­bre à Charm El-Cheikh (Egypte).

Total­En­er­gies est déjà sous le feu des cri­tiques à cause de son mégapro­jet d’oléoduc entre l’Ouganda et la Tan­zanie, Eacop, qui promet de rav­ager des réserves naturelles et doit entrain­er le déplace­ment de 118 000 per­son­nes. Le procès inten­té par plusieurs ONG pour non-respect du devoir de vig­i­lance vient d’être reporté au 7 décem­bre.