Les bad gaz. Au large de la côte méridionale sud-africaine, un milliard de barils d’équivalent pétrole dorment entre 200 et 1 800 mètres de profondeur. À 175 kilomètres au large de la côte méridionale sud-africaine, les champs de Brulpadda et de Luiperd constituent une réserve de gaz « de classe mondiale », selon TotalEnergies. En pleine crise énergétique, la multinationale prévoit d’investir 3 milliards de dollards pour en tirer profit, rapportent deux ONG. Le 5 septembre, une licence de production a été demandée au gouvernement, selon Bloom et The Green Connection, qui demandent l’arrêt immédiat du projet. Soutenue par l’activiste Camille Etienne, le député François Ruffin et les eurodéputé·es Karima Delli et Raphaël Glucksmann, une pétition a été lancée ce lundi.

« Une aberration économique et écologique totale »
Ce projet est « une aberration économique et écologique totale », s’indigne auprès de Vert Swann Pommier, chargé de plaidoyer de l’association Bloom. Les gisements de Brulpadda et de Luiperd ont été découverts successivement en 2019 et en 2020 sur des blocs d’exploration détenus à 45% par Total aux côtés de Qatar Petroleum (25%), CNR International (20%) et du consortium sud-africain Main Street (10%). Ils sont situés en plein cœur d’une zone riche en biodiversité, comme en témoigne cet atlas des zones marines protégées. Corridor bleu sur la route migratoire de milliers de baleines, les eaux sudafricaines abritent de multiples espèces comme les otaries à fourrure, des manchots et d’autres oiseaux marins, parmi lesquels les pétrels et les albatros. Les fous du Cap et les tortues Luth viennent y faire leur nid. Les associations redoutent aussi les marées noires, dans ces eaux bercées par le courant des Antilles, parmi les plus tumultueux du monde.

L’équivalent de neuf milliards de barils de pétrole enfouis sous les mers
Ces gisements ont été découverts dans le cadre de l’opération « Phakisa », vaste projet lancé par le gouvernement sudafricain en 2014 pour stimuler les investissements dans l’exploration de pétrole et de gaz, avec pour but de creuser pas moins de 30 puits d’exploration d’ici 2024. Un objectif largement dépassé, puisque 300 puits ont été creusés au cours de la dernière décennie par TotalEnergies, Shell, Qatar Petroleum, la compagnie sudafricaine PetroSA et d’autres leaders de l’industrie (voir la carte ci-dessus). Selon les dernières estimations faites lors des campagnes d’exploration, l’Afrique du Sud possèderait ainsi l’équivalent d’environ neuf milliards de barils de pétrole enfouis sous les mers.
Cette stratégie est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique, même si TotalEnergies martèle régulièrement que le gaz émet deux fois moins de CO2 que le charbon pour légitimer ses projets. En mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait estimé qu’il fallait mettre fin à tout nouveau projet fossile pour contenir le réchauffement à moins de 1,5°C d’ici la fin du siècle, soit l’objectif sur lequel se sont accordés la quasi-totalité des Etats du monde, dont la France et l’Afrique du Sud.
En 2014, année du lancement de l’opération Phakisa, l’Afrique du Sud a également publié un livre blanc préconisant la transition vers les énergies renouvelables, en excluant les énergies fossiles – y compris le gaz.
Le projet menace aussi l’économie locale : de nombreux habitant·es des côtes dépendent de la pêche pour leur survie – tout particulièrement des Snoeks, une variété de maquereaux. Or, les nuisances générées par l’exploration des fonds, la pollution sonore et la construction d’infrastructures risquent de les en éloigner.
Les opposant·es à cette exploitation ont déjà remporté une première victoire. Le 1er septembre, The Green Connection et les pêcheurs artisanaux ont réussi à mettre fin à une campagne d’exploration pilotée par Shell au motif que de nombreuses communautés locales n’avaient pas été informées correctement du projet.
Une phase de consultation jusqu’au 20 janvier 2023
Pour The Green Connection et Bloom, il est encore largement temps d’agir concernant les champs de Brulpadda et de Luiperd : « les forages n’ont pas encore démarré, le projet est en phase de consultation jusqu’au 20 janvier 2023, souligne encore Swann Pommier. Nous souhaitons que Total annonce l’abandon du projet avant la COP 27 » sur le climat, qui démarre le 6 novembre à Charm El-Cheikh (Egypte).
TotalEnergies est déjà sous le feu des critiques à cause de son mégaprojet d’oléoduc entre l’Ouganda et la Tanzanie, Eacop, qui promet de ravager des réserves naturelles et doit entrainer le déplacement de 118 000 personnes. Le procès intenté par plusieurs ONG pour non-respect du devoir de vigilance vient d’être reporté au 7 décembre.
À lire aussi
-
Eacop : un nouveau rapport pointe les pratiques accablantes de TotalEnergies en Tanzanie
Les Amis de la Terre et Survie ont enquêté sur la partie tanzanienne du gigantesque oléoduc imaginé par TotalEnergies pour transporter le pétrole bientôt extrait d’Ouganda. Les deux associations ont constaté que l'entreprise y bafouait encore plus les droits humains qu'en Ouganda. -
La lutte contre le gigantesque pipeline ougandais de Total s’invite en France
La tournée des grands oléoducs. Une délégation d’activistes ougandais·es parcourt actuellement l’Europe pour interpeller politiques, banques, citoyen·nes – et même le pape – afin de demander le retrait d’EACOP : un mégaprojet de pipeline à travers l’Ouganda et la Tanzanie, qui constituerait une « bombe climatique » selon plusieurs ONG. Ce 24 mars, elles et ils se sont rendu·es au pied de la tour TotalEnergies à Paris pour exiger l'arrêt de ce projet.