Une crème en glaise ? Ancienne directrice de formation au sein d’un grand groupe de cosmétiques, Anne-Marie Gabelica a lancé sa propre marque de produits de beauté – Oolution – en 2013 avec la ferme volonté d’élever les standards du secteur en matière de santé et d’environnement. Elle témoigne aujourd’hui des difficultés à proposer de véritables innovations sur le marché, notamment du côté des protections solaires.
L’an dernier, votre entreprise s’est lancée sur le marché des protections solaires en essayant de proposer une alternative aux filtres conventionnels, pouvez-vous nous expliquer votre démarche ?
S’il est crucial de se protéger du soleil dont les rayonnements peuvent être nocifs sur la santé, plusieurs études montrent que les filtres solaires posent des questions sanitaires indéniables – pour la santé des utilisateurs à long terme, via les perturbateurs endocriniens et les nanoparticules, et pour les écosystèmes marins. Nous avons donc décidé de créer les premiers produits solaires efficaces, 100 % naturels, sans filtres chimiques ou minéraux, à base d’ingrédients uniquement végétaux.
Pour cela, nous nous sommes appuyés sur les études scientifiques qui analysent la façon dont les plantes se protègent du soleil. Après quatre ans de recherches et des centaines de tests sur les substances filtrantes naturelles – extraits et poudres de plantes, huiles et beurres végétaux, huiles essentielles – nous avons développé une huile solaire avec un indice de protection FPS [pour Facteur de protection solaire, NDLR] supérieur à 20.
Souvent, les crèmes solaires bio laissent la peau toute blanche après leur application, ce qui décourage certaines personnes de se tourner vers ces versions plus écologiques. À quoi est-ce dû ?
Pour vous répondre, je dois faire un peu de pédagogie et rappeler que les rayonnements ultraviolets (UV) ont des effets sur notre santé : les UVA sont responsables du bronzage immédiat, du vieillissement prématuré de la peau et peuvent être à l’origine de certains cancers de la peau. Les UVB, eux, ne pénètrent que la couche protectrice de l’épiderme. Responsables du bronzage à long terme et des coups de soleil, ils causent la plupart des cancers de la peau. Si une large part des UVB est absorbée par la couche d’ozone, 5 % d’entre eux se rendent à la surface de la terre.
Pour se protéger, il existe aujourd’hui deux types de filtres UV sur le marché : les filtres chimiques (ou organiques) issus du pétrole, qui absorbent les UV à la place de la peau ; et les filtres minéraux composés de molécules dioxyde de titane ou d’oxyde de zinc, qui réfléchissent les UV comme un miroir – ces filtres sont plus épais et donnent le fameux effet blanc des crèmes solaires.
« Plus une crème solaire est transparente, plus elle est chimique et riche en nanoparticules »
S’ils sont efficaces contre les UV, les filtres chimiques sont des perturbateurs endocriniens et cancérigènes suspectés. Leur accumulation dans l’océan a des effets sur les espèces marines. Les filtres minéraux, eux, sont composés de nanoparticules qui peuvent traverser toutes les barrières de défense de notre corps : intestinale, encéphalique, peau, placenta… et atteindre, via le sang, les cellules de tous nos organes.
D’après l’Anses [l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, NDLR], le dioxyde de titane, sous forme de nanoparticule, est cancérogène. Pour atténuer leur tendance à conférer aux produits solaires leur texture blanchâtre, les producteurs de filtres minéraux ont réduit la taille des particules les composant : aujourd’hui, plus une crème solaire est transparente à l’application, plus elle est chimique et riche en nanoparticules.
Chez Oolution, nous avons refusé ces critères et nous sommes la seule marque de cosmétiques au monde à n’utiliser que des ingrédients végétaux qui parviennent à un FPS 20, testé par plusieurs laboratoires indépendants. Les autres marques de positionnement naturel utilisent a minima des filtres minéraux pour y parvenir. Elles ne peuvent en ce cas nullement garantir qu’il n’y a pas de nanoparticules dans leurs formules. Le label Cosmébio recommande d’ailleurs à ses adhérents de ne jamais revendiquer « sans nanoparticule » pour les filtres minéraux.

Le seul défaut de notre huile solaire Hello Sunshine est lié aux ingrédients naturels filtrants : ils peuvent tacher les vêtements blancs. Mais au regard du bénéfice pour la santé et les océans, cela nous semble un compromis très acceptable.
Pourquoi vos produits ne sont-ils pas certifiés comme produits solaires ?
Nous savions que ce serait le cas dès le début de nos recherches : la réglementation européenne impose d’inclure dans les formules au moins un ingrédient faisant partie d’une liste de 28 filtres solaires chimiques ou minéraux (mentionnée dans le Règlement européen relatif aux cosmétiques) que nous nous refusons d’utiliser, car nous estimons qu’ils ne sont bons ni pour la santé, ni pour l’environnement.
Ainsi, tous les tests que nous avons effectués avec des laboratoires indépendants prouvent l’efficacité de notre filtre solaire végétal, mais notre huile ne peut pas être qualifiée de produit solaire, puisqu’elle ne contient pas de filtres mentionnés dans la réglementation européenne. Il ne peuvent pas non plus revendiquer de seuils de protection (FPS).
Par ailleurs, le coût et temps supposés pour l’enregistrement de notre filtre végétal est totalement inaccessible pour une petite entreprise indépendante comme la nôtre.
Pourquoi, d’après vous, la certification évolue-t-elle si peu en Europe ?
Depuis sa publication en 2009, le Règlement cosmétique européen n’a connu que neuf amendements et il est à déplorer que l’on autorise des molécules chimiquement très proches des filtres déjà utilisés et soupçonnés d’effets néfastes.
« Repenser la filtration solaire, c’est remettre en cause le fonctionnement même de l’industrie. »
Et ce, d’autant plus que plusieurs pays bannissent certaines crèmes solaires, essentiellement pour des raisons de pollution des océans – aux États-Unis, certains États comme Hawaï ou la Californie, mais aussi l’île de Bonaire et l’archipel de Palau interdisent les produits solaires chimiques (principalement l’oxybenzone et l’octinoxate) en raison du danger qu’ils représentent pour les récifs coralliens.
Quel sentiment vous anime, aujourd’hui, face à une telle difficulté à faire bouger les lignes ?
Cette industrie a du mal à proposer des innovations de fond : les rares « nouveautés » en matière de filtres solaires sont toujours liées à des molécules issues de la pétrochimie. Repenser la filtration solaire, c’est remettre en cause le fonctionnement même de l’industrie. Cela devient presque tabou, d’autant que les risques de cancers de la peau ne sont jamais bien loin, ce qui ne favorise pas la prise d’initiative. Il y a aussi une méconnaissance de la mécanique technique et, en filigrane, innover coûte cher. Je pense qu’il faudrait plus de scientifiques que de commerciaux dans le secteur cosmétique !