Décryptage

Alpes 2030 : des Jeux olympiques d’hiver vraiment écolos, c’est possible ?

Jeux de dupes ? Alors que ce mardi, le collectif citoyen JOP 2030 a déposé un recours pour stopper la signature du contrat olympique, les JO d’hiver 2030 dans les Alpes françaises sont présentés par leurs promoteur·ices comme les Jeux les plus écolos de l’histoire. Mais est-ce vraiment possible ? Vert fait le point.
  • Par

À peine les Jeux olympiques de Paris bouclés, c’est déjà reparti. Seule candidate en lice, la France a décroché en juillet dernier l’organisation des JO d’hiver 2030, au grand dam des militant·es «NO-JO», qui craignent un désastre écologique dans les Alpes. Le collectif citoyen JOP 2030 a d’ailleurs lancé ce mardi un recours en référé-liberté contre la signature du contrat olympique entre les régions organisatrices et le Comité international olympique (CIO).

On sait déjà que les Jeux seront répartis sur quatre pôles en région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), avec des sites olympiques prévus en Haute-Savoie, en Savoie, autour de Briançon et à Nice. On sait aussi que l’empreinte carbone des JO 2030 se situerait entre 689 000 et 804 000 tonnes équivalent CO2 (tCO2e), selon les organisateur·ices – l’équivalent de 16 millions de journées au ski pour un·e Français·e lambda.

La station de ski de Méribel devrait accueillir des épreuves de ski alpin. ©Spurwing Agency/Unsplash

Elles et ils promettent néanmoins des jeux «sobres, durables, responsables et inclusifs», qui «contribueront à façonner le modèle des Jeux d’hiver de demain». Alors, ces JO peuvent-ils réellement être écolos ? On fait le point sur les principales promesses du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et des deux régions hôtes.

Promesse 1 : Utiliser 95% d’infrastructures existantes

Finie la gabegie de béton et les terrassements à tout-va, comme lors des JO de 1968 à Grenoble et Chamrousse, où il avait fallu déplacer plus de 300 000 mètres cubes de montagne pour créer de nouvelles pistes de ski. Finie aussi la création ex nihilo de coûteuses pistes de bobsleigh ou de tremplins trop vite abandonnés, comme celui de Saint-Nizier-du-Moucherotte, au-dessus de Grenoble.

Cette fois-ci, les organisateur·ices promettent de réutiliser dans 95% des cas des infrastructures existantes et avancent un budget total de trois milliards d’euros – contre au moins neuf milliards pour les JO de Paris 2024. «Le premier critère de ces Jeux olympiques dans les Alpes françaises, c’est de privilégier les stations qui ont déjà des infrastructures, pour réduire l’impact», se félicite Yves Dimier, vice-président de Domaines skiables de France, qui représente les opérateurs de domaines dans l’Hexagone. «C’est la première fois que les Jeux olympiques vont dans ce sens-là.»

Carte des épreuves prévues dans le rapport de la commission de futur hôte remis au CIO en 2024.

Un choix également présenté comme un moyen de donner un second souffle à des sites olympiques vieillissants, comme la coûteuse piste de bobsleigh de la Plagne (Savoie), construite pour les JO d’Albertville (1992). Classée site Seveso, elle avait coûté trois fois plus cher que ce qui était initialement prévu et occasionné de graves pollutions dues aux fuites récurrentes d’ammoniac, produit toxique utilisé jusqu’en 2007 pour le refroidissement de la glace. Toujours utilisée comme site sportif et de loisir, elle devrait être réutilisée en 2030 moyennant au moins 18 millions d’euros de travaux, ce qui devrait permettre d’économiser la construction d’une nouvelle piste.

Mais même recyclées, les infrastructures olympiques auront un impact environnemental. La remise à niveau du tremplin du Praz de Courchevel (Savoie) – qu’il faudra rallonger – impliquera des terrassements. Idem à Serre-Chevalier et Montgenèvre (Hautes-Alpes), où des arbres risques d’être abattus pour élargir les pistes de ski acrobatique et de snowboard.

Quid des 5% d’infrastructures supplémentaires qu’il faudra construire de toute pièce ? C’est le cas de la patinoire olympique de Nice, qui devrait accueillir le patinage artistique et dont le déficit structurel annuel après les JO est déjà évalué à 650 000 euros par an. Pour Stéphane Passeron, ancien skieur de fond en équipe de France et ex-entraîneur de l’équipe paralympique, devenu militant NO-JO, c’est une aberration : «Ils vont fabriquer une patinoire de 13 000 spectateurs à Nice, alors que c’est la ville qui se réchauffe le plus en France et qu’elle est inondée très régulièrement.» Sans oublier la construction de logements pour les athlètes, qui seront répartis sur pas moins de cinq villages olympiques.

Promesse 2 : Investir dans les transports décarbonés

Au niveau local et régional, les élu·es qui soutiennent les Jeux mettent en avant les investissements dont leurs régions encore relativement enclavées pourraient bénéficier au niveau des transports.

«Les JO donnent un coup d’accélérateur sur des infrastructures à un moment donné», argumente Marie-Noëlle Fleury, élue en charge des sports et du centenaire des JO de 1924 à la mairie de Chamonix – ville qui espère décrocher certaines des épreuves optionnelles des JO 2030. «C’est vrai que nous essayons d’avoir un cadencement plus réglé [du train qui dessert la vallée], pour faciliter l’accès. Le fait que les personnes ne viennent plus en voiture ou en car, et puissent prendre plus facilement le train, c’est tout à fait opportun. En accueillant les Jeux olympiques, on ferait d’une pierre deux coups.»

C’est aussi l’argument avancé par le président de la région PACA, Renaud Muselier (Renaissance), qui promet de moderniser la ligne de train Marseille-Briançon – vieillissante et sujette aux pannes – à temps pour les Jeux. Autre promesse phare : quadriller la région PACA de bus «verts» d’ici 2028, et créer un système de transports en commun décarbonés entre les sites olympiques. Plutôt ambitieux, quand on sait que ceux-ci sont éclatés sur une zone montagneuse immense, qui va des rives du Lac Léman à la Méditerranée…

Ces objectifs sont-ils crédibles ? Pour Eric Adamkiewicz, économiste, maître de conférences en management du sport et développement territorial, la réponse est sans appel : «On est dans le mensonge, parce qu’en cinq ans, on ne va pas pouvoir refaire des lignes de train, dédoubler la ligne entre Albertville et Bourg-Saint-Maurice, construire un tram ou un nouveau téléporté [télécabine ou télésiège, NDLR] au Grand-Bornand ou à la Clusaz», énumère l‘ancien directeur des sports de la ville de Grenoble. «On a même un argument absolument fallacieux : l’ascenseur valléen entre Bozel et Courchevel, puisqu’il n’y a pas de gare à Bozel et que cette commune se situe à 14 kilomètres (km) de Moutiers [ville savoyarde qui, elle, dispose d’une gare, NDLR]. On voit bien qu’il n’y aura pas de décarbonation ou alors il va falloir des bus électriques sur 14 km.»

Sa crainte : que les JO servent de prétexte pour imposer de nouvelles routes et accélérer des grands travaux, tout en réduisant les possibilités de la population de s’y opposer. «On ne fait pas de l’aménagement du territoire à horizon cinq ans», résume l’économiste. Une crainte partagée par Anna Loguès, ancienne saisonnière en station de ski et militante NO-JO basée dans le briançonnais : «On a très peur des travaux routiers, puisque chez nous – contrairement à la Maurienne ou à ces vallées industrielles – c’est préservé, et on a envie de garder ça. C’est un gros rouleau compresseur qui nous arrive dessus.»

Promesse 3 : faire des Alpes françaises une destination touristique durable

Autre ambition affichée par les organisateur·ices des JO 2030 : se saisir d’un évènement d’ampleur internationale pour «rajeunir les Alpes françaises en tant que destination touristique durable». C’est ce qu’explique le rapport de la Commission de futur hôte olympique remise au CIO, avant que celui-ci valide la candidature de la France.

L’un des objectifs de cette édition serait d’ailleurs de «démontrer qu’il est tout à fait possible d’organiser une manifestation sportive d’envergure tout en préservant les ressources naturelles, en promouvant la mobilité durable, en améliorant l’accès et en assurant la transition énergétique». Le tout, en présentant «les Alpes françaises en tant que destination populaire pour les sports d’hiver», alors que celles-ci sont déjà dans le top trois mondial et connaissent de plus en plus de difficultés liées à la baisse de l’enneigement.

Pour les habitant·es des Alpes mobilisé·es contre les Jeux, c’est tout l’inverse qui risque de se passer, à l’heure où la montagne subit de plein fouet les impacts du changement climatique. «Le problème d’organiser les Jeux dans les Alpes, c’est surtout que ça nous empêche de prendre le problème à bras le corps», s’exclame Stéphane Passeron. «Au lieu de se dire : on est conscients du problème, on voit que la montagne se réchauffe et il faut changer… Eh bien on va améliorer les aéroports, construire des routes. Les athlètes et les journalistes vont circuler en avion et en hélicoptère, ça va tourner dans tous les sens.»

D’autant que le modèle des sports d’hiver mis en avant par les JO est aujourd’hui à réinventer. «La question qui peut se poser par rapport à l’organisation, c’est l’image positive que ça va renvoyer sur les sports d’hiver, le fait qu’on réinvestisse dans cette économie et qu’elle soit de nouveau mise en exergue comme représentative de l’économie de la montagne, alors qu’il y a des territoires où ça va devenir de plus en plus compliqué», souligne Hugues François, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) spécialiste de l’aménagement du territoire en montagne et de l’adaptation des stations au changement climatique. «L’un des obstacles qu’on connaît aujourd’hui dans la transition, c’est justement d’arriver à se projeter sur une montagne sans les sports d’hiver.»

Cet article a été réalisé avec le soutien de JournalismFund Europe.