Reportage

Agriculteurs en colère dans la Drôme : «Je ne vois pas comment les forces de l’ordre vont bouger nos tracteurs»

Fulmine à ciel ouvert. Malgré les récentes annonces du gouvernement, les agriculteur·rices qui barrent l’autoroute A49 entre Valence et Grenoble depuis mercredi ne semblent pas pressé·es de lever le camp. Vert est allé à leur rencontre.
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Héris­sée de dra­peaux vert et blanc du syn­di­cat agri­cole majori­taire, la Fédéra­tion nationale des syn­di­cats d’ex­ploitants agri­coles (FNSEA), une haute muraille de paille pro­tège le campe­ment plan­té au beau milieu de l’au­toroute, à hau­teur de Bourg-de-Péage. Depuis mer­cre­di 24 jan­vi­er, plusieurs dizaines d’a­gricul­tri­ces et agricul­teurs se relaient jour et nuit sur cette por­tion de bitume entre Valence et Greno­ble. Plus aucun véhicule ne passe ici, à l’ex­cep­tion des tracteurs qui vien­nent ali­menter en branch­es les énormes tas de débris sous lesquels le feu cou­ve. Comme partout sur le ter­ri­toire français, «c’est le ras-le-bol et la sol­i­dar­ité qui nous ont amenés ici», jus­ti­fie Brice Maret, mem­bre du bureau de la FDSEA, éch­e­lon départe­men­tal du syn­di­cat majori­taire.

Le blocage sur l’A49, ce same­di. © Aurélie Delmas/Vert

Ven­dre­di soir, le Pre­mier min­istre, Gabriel Attal, a ten­té d’a­pais­er leur colère en promet­tant l’a­ban­don de la hausse de la taxe sur le gazole non routi­er (GNR), et plusieurs mesures de sim­pli­fi­ca­tion. Mais ces déc­la­ra­tions, que peu de monde a écouté en direct, provo­quent au mieux un hausse­ment d’é­paules. «On ne croit plus aux men­songes depuis longtemps», expliquent les uns ; «il veut divis­er pour mieux régn­er», tan­cent d’autres. Alors que les pre­miers bar­rages ont été lev­és ailleurs en France ce week-end, «per­son­ne ici ne par­le d’ar­rêter», com­mente Johan­na Pay­ot Rimet, mem­bre du bureau départe­men­tal des Jeunes Agricul­teurs (JA). Sou­vent vieux de plusieurs années, le ressen­ti­ment a été attisé par la pho­to «bras dessus bras dessous» de l’éleveur du sud-ouest Jérôme Bayle, ini­ti­a­teur du pre­mier blocage (levé depuis), avec Gabriel Attal.

Sur un air d’ac­cordéon, la mobil­i­sa­tion se veut con­viviale. Plusieurs véhicules, déviés sur une route par­al­lèle, man­i­fes­tent leur sou­tien d’un coup de klax­on, récon­for­t­ant celles et ceux qui se dis­ent vic­times d’un «agrib­ash­ing détestable». Mais la ten­sion demeure. Ici, rares sont celles et ceux qui iden­ti­fient claire­ment ce qui les décidera à lever le camp. «On attend les forces de l’or­dre, mais je ne vois pas com­ment ils vont bouger nos tracteurs», s’in­ter­roge Jean-Philippe Nal­let, pro­duc­teur d’œufs. Johan­na Pay­ot Rimet se réjouit que la mobil­i­sa­tion ait pris : «main­tenant, on sait qu’on est capa­ble de le faire». «Soit on lève le blo­cus mar­di, soit on durcit le mou­ve­ment», estime Vladimir Gau­thi­er, mem­bre des JA, pro­duc­teur de céréales et de semences à Mon­téli­er.

Vladimir Gau­thi­er et Johan­na Pay­ot-Rimet. © Aurélie Delmas/Vert

Déter­miné à rester sur le bar­rage, Math­is André résume : «ce méti­er m’a fait rêver quand j’é­tais petit et m’empêche de dormir main­tenant». Cul­ti­va­teur de noix âgé de 24 ans, cet adhérent aux JA a con­nu deux pre­mières années de tra­vail très dif­fi­ciles. «L’an dernier, j’ai ven­du cer­taines noix à 50 cen­times du kilo alors que le coût de pro­duc­tion était à 2,20€. Le prix de vente en grande sur­face, lui, n’a pas bougé : autour de 8€. Cette année, les prix sont un peu remon­tés, mais les ren­de­ments ont été trop faibles», décrypte-t-il.  Après six mois sans se vers­er de salaire, il s’est résigné à retourn­er vivre chez ses par­ents.

«La bonne case»

La grogne porte sou­vent sur la con­cur­rence des pro­duits importés, jugés de moins bonne qual­ité. «Même en con­ven­tion­nel [non bio, NDLR], on a en France des exi­gences plus lour­des que le reste du monde. Ce n’est pas plus mal : on fait de la bonne nour­ri­t­ure et on ne veut pas faire n’im­porte quoi. Mais plein d’autres pays ne font pas tout ça», explique Brice Maret, mem­bre de la FDSEA de la Drôme, pro­duc­teur de céréales et de noix bio. «Les gens n’ont plus de sous, ils se sont repliés vers de l’al­i­men­ta­tion pas chère, mais cette nour­ri­t­ure, on n’a pas le droit de la pro­duire en France», déplore Vladimir Gau­thi­er.

Dans les petits groupes qui parta­gent ver­res et sauciss­es gril­lées sous le soleil de jan­vi­er, la con­ver­sa­tion revient régulière­ment sur «les heures passées à faire des papiers». «Cela fait un an que j’at­tends mon con­gé pater­nité», explique un jeune papa, dont la com­pagne n’a pas touché de prime d’ac­tiv­ité pen­dant un an sans que per­son­ne ne sache lui expli­quer pourquoi. «Attal a annon­cé 50 mil­lions pour la fil­ière bio, il peut sem­bler que c’est beau­coup. Mais je suis en bio, en poly­cul­ture éle­vage, le mod­èle rêvé par tous les éco­los… et je me dis pour­tant que je ne toucherai sans doute jamais rien parce que je ne ren­tr­erai pas dans la bonne case», craint Johan­na.

Des sujets évo­qués aus­si par la Con­fédéra­tion paysanne, dont les points de vue sont sou­vent opposés à ceux de la FNSEA. «On pense par exem­ple qu’en­lever les normes, c’est accélér­er la com­péti­tion et la loi du plus fort, explique Chris­tine Riba, mem­bre du comité départe­men­tal de la Con­fédéra­tion paysanne, dont le syn­di­cat a mis en place son pro­pre bar­rage, plus au sud. Mais on est com­plète­ment sol­idaires de la mis­ère et on éprou­ve la même colère au sujet de la paperasse, des prob­lèmes admin­is­trat­ifs et des prob­lèmes de revenus, beau­coup de choses qui pour­ris­sent notre quo­ti­di­en».

Chris­tine Riba, lors de la con­férence de presse de la Con­fédéra­tion paysanne, organ­isée ce ven­dre­di. © Aurélie Delmas/Vert

Au-delà de la «Conf’», générale­ment perçue avec défi­ance sur le bar­rage autorouti­er, les «éco­los», terme aux con­tours mal défi­nis qui désigne leurs opposants sup­posés, sont sou­vent con­sid­érés comme la source des con­traintes qui pèsent sur la pro­fes­sion. «On nous enlève des pro­duits phy­tosan­i­taires pour pro­téger la pop­u­la­tion, sans nous don­ner de solu­tions, se plaint Brice Maret. On n’est pas con­tre ces règles. Mais il faut que ce soit inter­dit pour tout le monde ou pour per­son­ne. Et il faut nous laiss­er du temps pour nous adapter», réclame-t-il.

«Je ne suis pas là pour détru­ire la faune et la flo­re, se défend aus­si Romain*, mais on a beau­coup été bridés par l’é­colo­gie extrémiste qui nous a empêchés de tra­vailler nor­male­ment. Des gens déci­dent pour nous sans com­pren­dre ce que l’on fait. Qu’on nous sou­ti­enne, qu’on soit payés à notre juste valeur et les crises cli­ma­tiques, on les affron­tera», estime-t-il.

Au niveau nation­al, les syn­di­cats FNSEA et JA ont promis de met­tre en place un «siège» de Paris ce lun­di, pour une durée indéter­minée.

* Cer­taines per­son­nes inter­rogées ont refusé de don­ner leur nom de famille

Pho­to d’il­lus­tra­tion : Le blocage de l’A49, ce week­end. © Aurélie Delmas/Vert