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À la veille du premier tour, des dizaines de marches pour mettre le climat et la justice sociale dans les urnes

À l’appel de centaines d'organisations, plus de 80 marches « pour le futur » se sont tenues en France ce samedi dans le but de faire converger les luttes environnementales, féministes, antiracistes et contre la précarité. Si aucune consigne de vote n’a été donnée, à la veille du premier tour de la présidentielle, la tentation d'un « vote utile » pour l'écologie et la justice sociale était sur de nombreuses lèvres.
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En 2027, il sera trop tard pour vot­er utile », pou­vait-on lire ce same­di après-midi sur une des pan­car­tes du cortège parisien de la « marche pour le futur ». De la place de la Bastille à celle de la République, env­i­ron 35 000 per­son­nes ont bat­tu le pavé ce 9 avril selon les organ­isa­teurs — 5 600 selon la police. Au même moment, quelque 60 000 manifestant·es défi­laient au sein des 83 rassem­ble­ments organ­isés à tra­vers tout le pays, dont 3 000 à Lyon ou encore 2 000 à Bor­deaux.

Le mot d’ordre de cette marche soutenue par plus de 300 organ­i­sa­tions écol­o­gistes, fémin­istes, antiracistes, con­tre la pré­car­ité ou les vio­lences poli­cières : la con­ver­gence des luttes. Dans le cortège, le vert des militant·es des Amis de la Terre ou de Green­peace se mélangeait au rose du col­lec­tif Nous Toutes ou au fluo des gilets jaunes. « À la veille du pre­mier tour de la prési­den­tielle, le but est d’ap­pel­er à vot­er, de faire appel aux citoyens pour ren­dre compte de l’ur­gence cli­ma­tique et sociale », lance-t-on du côté d’Alternatiba, à la manœu­vre pour organ­is­er ce vaste raout. « Il y a un sen­ti­ment d’ur­gence à la fin de ce quin­quen­nat où nos luttes ont été méprisées, humil­iées », estime Char­lène Fleury, mem­bre d’Ac­tion non-vio­lente COP 21. 

Demain, Loane, Flo­ra et Louis voteront pour Jean-Luc Mélen­chon. « Même si on n’ad­hère pas au per­son­nage, c’est le seul de gauche qui a une chance d’être au sec­ond tour » © Julie Ren­son Miquel / Vert

« Nos vies et notre avenir sont en jeu, on n’a pas cinq ans, ouvrons les yeux ». Lunettes sur le nez et imper bleu marine sur le dos, Mer­lin opine du chef en écoutant les manifestant·es scan­der leurs slo­gans. Pour ce retraité de 68 ans, « tous ces rassem­ble­ments pour dif­férentes luttes vont finir par pay­er. Plus il y aura de voix dis­si­dentes, plus ça rééquili­br­era le rap­port de force ». Si aucune con­signe de vote n’a été offi­cielle­ment don­née par les organ­i­sa­tions, le vote « utile » est sur de nom­breuses bouch­es au sein du cortège. « On est en train de dire aux gens : ne faites pas de la merde dans l’urne s’il vous plaît ! », lance Loane, 22 ans. Pour cette jeune inter­mit­tente du spec­ta­cle, le choix est clair : demain elle glis­sera un bul­letin Jean-Luc Mélen­chon dans l’urne. « C’est le seul qui a des valeurs de gauche et qui a une chance de pass­er au sec­ond tour ». « Même si on n’adhère pas au per­son­nage, on est obligé de vot­er pour lui pour ne pas avoir de fachos au pou­voir », abonde son amie Flo­ra, régis­seuse de 24 ans.

« Ce quinquennat a été tellement violent qu’il nous a obligé à nous réunir »

Par­mi les manifestant·es, beau­coup regret­tent l’absence de la ques­tion cli­ma­tique dans la cam­pagne, et ce, mal­gré la paru­tion du dernier volet du rap­port du Giec ce lun­di (notre décryptage). « La pandémie, les thé­ma­tiques d’extrême droite et la guerre en Ukraine ont monop­o­lisé le débat », déplore Gabriel Maz­zoli­ni porte-parole des Amis de la Terre. D’après les ONG à l’o­rig­ine de l’« Affaire du siè­cle », qui pub­lient un baromètre heb­do­madaire sur la place des ques­tions cli­ma­tiques dans la cam­pagne, le cli­mat n’a occupé, en moyenne, que 3,6 % du temps médi­a­tique au cours des deux derniers mois. « C’est dif­fi­cile de se pro­jeter dans l’avenir s’il n’y a pas de change­ment rad­i­cal », estime Mars, étu­di­ant néer­landais en sci­ences poli­tiques. « Et puis en France, le sys­tème élec­toral est cassé, ça décourage de vot­er. On est obligé de faire un vote utile au pre­mier tour et pas un vote de con­vic­tion. Con­crète­ment, si on veut vot­er Poutou, ça ne sert à rien. »

Esther et Mars, 23 ans, étudiant·es en sci­ences poli­tiques, man­i­fes­tent « surtout pour l’en­vi­ron­nement », un sujet qui a été « claire­ment absent de la cam­pagne » © Julie Ren­son Miquel / Vert

Un peu plus loin dans le cortège, des activistes en com­bi­nai­son rouge, casque de la série Squid Game sur la tête, dénon­cent le pro­jet de pipeline Eacop entre l’Ougan­da et la Tan­zanie, porté par le pétroli­er Total, qui a déjà entraîné le déplace­ment de dizaines de mil­liers de per­son­nes. Sophie, pro­fesseure de Français de 55 ans s’insurge con­tre « la vio­lence de ce quin­quen­nat. Que ce soit la vio­lence sociale ou encore la répres­sion lors des man­i­fes­ta­tions… nos droits ont été grig­notés pen­dant cinq ans ». Par­mi les fig­ures de la marche, Assa Tra­oré, à la tête du comité « La vérité pour Adama », qui se bat con­tre les exac­tions de la police. « En 2017, un tel rassem­ble­ment des luttes aurait été improb­a­ble, estime Youcef Brakni, porte-parole du comité. C’est un peu ironique, mais ça aura été un mir­a­cle de ce quin­quen­nat. Il a été telle­ment vio­lent qu’il nous a obligé à nous réu­nir ».

« Les vio­lences touchent prin­ci­pale­ment les mêmes groupes vul­nérables, notam­ment les femmes, encore plus quand elles sont pré­caires ou racisées », explique Pauline Baron, coor­di­na­trice du col­lec­tif fémin­iste Nous Toutes. Pour la mil­i­tante, ce mou­ve­ment « inédit » de con­ver­gence n’est qu’un début. « Peu importe le résul­tat de l’élection, aujourd’hui c’est le point de départ d’une dynamique plus large autour de toutes nos luttes ».