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À la télé ou dans les écoles, les « lobbies de la viande » défendent leur bout de gras

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Bas les steaks ! Les représentant·es des entre­pris­es du secteur de la viande mul­ti­plient les astuces pour détourn­er les consommateur·ices des injonc­tions à végé­talis­er leur ali­men­ta­tion, révèle un nou­veau rap­port de Green­peace.

Mot compte dou­ble au Scrab­ble, « flex­i­tarien » est surtout un terme vidé de sa sub­stance par les lob­bies de la viande. Par­mi eux, l’interprofession bovine (Inter­bev), porcine (Ina­porc), de volaille de chair (Anvol), ain­si que la Fédéra­tion française des indus­triels char­cutiers, trai­teurs et trans­for­ma­teurs de vian­des (FICT). Des organ­i­sa­tions qui défend­ent leurs intérêts par tous les moyens avec des bud­gets com­mu­ni­ca­tion bien gon­flés — près de 35 mil­lions d’eu­ros par an pour Inter­bev en 2021. De quoi pro­mou­voir large­ment la bidoche lors d’ate­liers dans des écoles ou par le biais de pub­lic­ités à la télévi­sion et sur les réseaux soci­aux. Dans leurs réclames, un·e flexitarien·ne devient un·e « omni­vore éclairé·e », qui mange de la viande de qual­ité. Exit l’idée de réduire sa con­som­ma­tion.

La pub­lic­ité “Naturelle­ment flex­i­tarien” réal­isée par l’In­ter­bev fait de ce régime ali­men­taire un syn­onyme d’« omni­vore », alors qu’il s’ag­it générale­ment d’un état tran­si­toire vers le végé­tarisme ou, du moins, d’un régime faible en pro­duits carnés. © Inter­bev

C’est ce genre de mal­hon­nêtetés que pointe du doigt l’ONG Green­peace dans son rap­port « Com­ment les lob­bies de la viande nous manip­u­lent » pub­lié ce mar­di. Mise au ser­vice d’une indus­trie au lourd bilan écologique, cette débauche de moyens se fait au détri­ment « de l’ur­gence cli­ma­tique et de la crise de la bio­di­ver­sité », indique à Vert Lau­re Ducos, chargée de cam­pagne ali­men­ta­tion de Green­peace. Elle dénonce « l’in­flu­ence ten­tac­u­laire de ces lob­bies à tous les âges et à tous les stades de la vie ».

Les professionnel·les de la viande abreuvent par exem­ple les écoles de « kits péd­a­gogiques » qui van­tent les bien­faits d’un repas riche en pro­téines ani­males. Stars de cet univers « ludo-édu­catif », la « Famille Jolipré », dont les aven­tures sont déclinées dans des ban­des dess­inées, des cahiers d’ac­tiv­ités ou sous forme de fig­urines.

Vis­ite la ferme de la famille Jolipré — Kit péd­a­gogique télécharge­able sur le site la-Viande.fr, dévelop­pé par Inter­bev © Inter­bev

Aux jeunes femmes, on promet de devenir aus­si cool et stylées que les « Filles à côtelettes », un club créé par Inter­bev qui noue des parte­nar­i­ats avec des « influ­enceuses ». Le tout en entre­tenant régulière­ment le « mythe des pro­téines », selon lequel les per­son­nes qui ne man­gent pas de viande présen­tent des carences. Ain­si que des stéréo­types sur le côté vir­il ou patri­o­tique des régimes carnés (notre arti­cle à ce sujet).

Extrait de la page Insta­gram des « Filles à côtelettes »

Les professionnel·les de san­té n’échap­pent pas à ces straté­gies d’in­flu­ence : dans leurs salles d’at­tente, on trou­ve des brochures comme celle qu’In­ter­bev a inti­t­ulé « San­té : n’ou­bliez pas la viande ! ». En 2016, celle-ci a touché 22 mil­lions de patient·es.

Autre astuce : pren­dre l’ap­parence de la sci­ence pour véhiculer l’idée que les pro­duits carnés seraient indis­pens­ables. En 2020, l’I­na­porc a lancé une vaste cam­pagne — spon­sorisée par l’U­nion européenne, bap­tisée « Let’s talk about pork » (par­lons du porc). Le but : démon­ter les idées reçues sur l’él­e­vage de cochon avec le mot d’or­dre « fake or real ? » (faux ou vrai), signe sup­posé de véri­fi­ca­tion sci­en­tifique. Sur le site de l’opéra­tion, on apprend par exem­ple qu’il est « real » que l’él­e­vage de porcs est « mod­erne et famil­ial » : « Les éle­vages français appar­ti­en­nent aux éleveurs, et non à des sociétés privées comme c’est couram­ment le cas aux États-Unis par exem­ple. Cette par­tic­u­lar­ité française explique que les éleveurs ont le souci de la trans­mis­sion de leur exploita­tion, une vision à long terme de leur activ­ité et un attache­ment fort au ter­ri­toire. » Portée par des influenceur·ses comme Raphaële Mar­chal (85 000 fol­low­ers sur Insta­gram), cette cam­pagne de pro­pa­gande a atteint 74 mil­lions de jeunes Européen·nes.

Autant d’ac­tions menées pour main­tenir la con­som­ma­tion de viande et qui « font tout pour noy­er la réal­ité de l’él­e­vage indus­triel en France », analyse Lau­re Ducos. Elle rap­pelle, par exem­ple, que la majorité des porcs nés dans l’hexagone ne ver­ront jamais la lumière du jour.

En France, la con­som­ma­tion de viande est passée de 78 kg (équiv­a­lent car­casse) par an et par per­son­ne en 1960 à 84,5 kg en 2020, selon l’A­greste, le ser­vice de sta­tis­tiques du min­istère de l’A­gri­cul­ture. Un niveau de con­som­ma­tion qui n’est ni bon pour la san­té, ni pour l’en­vi­ron­nement : les éle­vages – bovins en tête – ont un lourd bilan car­bone (ils relâchent 68% des émis­sions nationales de méthane). Ils génèrent aus­si des pol­lu­tions alar­mantes, comme les excès de nitrates qui peu­vent con­duire au phénomène des algues vertes.

Pour autant, Green­peace ne se dit pas « anti-viande ». L’ONG milite plutôt pour des « éle­vages écologiques ». Kéza­co ? « Des éle­vages opposés à l’él­e­vage indus­triel, autonomes en ali­men­ta­tion au niveau de leur ter­ri­toire, avec une den­sité ani­male peu élevée et un accès au plein air ou au pâturage », pré­cise Lau­re Ducos.