Merci patrons. Pendant plusieurs mois, les dirigeant·es de plusieurs firmes sélectionné·es par un comité dédié de la Convention des entreprises pour le Climat (CEC) ont travaillé pendant sur les pistes à explorer pour réduire l’impact environnemental et améliorer la « reconnexion au vivant » de leurs boîtes. Un travail inspiré la Convention citoyenne pour le climat, dont les 150 Français·es tiré·es au sort avaient proposé des dizaines de mesures au gouvernement pour réduire nos émissions « dans un esprit de justice sociale » (Vert).
En avril dernier, les dirigeant·es suggéraient notamment que « tous les décideurs suivent une formation complète, exigeante et tournée vers l’action sur les enjeux environnementaux ». En juillet, dix propositions étaient soumises au gouvernement (Le Monde), parmi lesquelles la réalisation d’un bilan carbone avec un périmètre large pour les entreprises de plus de 50 salarié·es, ou le fait de conditionner la rémunération des dirigeant·es à la réussite de critères environnementaux.
Résultat, présenté ce 25 octobre devant le ministre de l’écologie, Christophe Béchu : 150 pages pour « pousser les curseurs au maximum » et « accélérer la bascule du business as usual vers l’entreprise régénérative » en 2030, promet dans l’édito du rapport Eric Duverger, ex-cadre dirigeant chez Michelin qui a lancé le projet à l’été 2020.
Cette « entreprise régénérative » constituerait le standard le plus élevé et s’opposerait à la notion d’économie extractive, basée sur l’exploitation de ressources naturelles. Le but affiché : ne pas se contenter de moins polluer ou d’être « neutre », mais avoir un impact positif. Autrement dit, séquestrer plus de carbone que l’entreprise n’en émet, régénérer plus de biodiversité que celle détruite par l’activité, etc. Pour ce faire, les entreprises doivent en priorité « viser la réduction de leurs émissions à leur seuil incompressible dès que possible » et dépasser la seule vision de l’impact carbone au profit d’une vision systémique des enjeux.
Après plusieurs mois de travaux, la CEC fait donc le bilan des feuilles de routes plus ou moins ambitieuses adoptées par les entreprises participantes, dont une dizaine est encore en cours de finalisation. En septembre 2021, un tiers des entreprises déclarait fonctionner de manière très classique (Business as usual), presque 50% estimaient leur fonctionnement « responsable », 15% « contributif », et 3% se disaient déjà « régénératives ». Désormais, 45 % souhaitent adopter un modèle contributif et 54% un modèle régénératif.
« Les engagements sont totalement libres, explique à Vert Florent Favier, en charge des relations presse de la CEC. Les entreprises ont été formées et informées pendant plusieurs mois et ce sont elles qui choisissent dans le panel des propositions ce qu’elles sont à même de faire et à quelle échéance : on comprend bien que Renault Trucks n’aura pas la même agilité que d’autres entreprises. Ce qui est intéressant pour les responsables politiques, c’est que ce sont des idées rapides à mettre en place et déjà cooptées par le monde économique », poursuit-il en soulignant la présence mardi, lors de la présentation du rapport, du Medef et de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CGPME).
La CEC veut désormais transmettre le message aux politiques afin de transformer l’essai dans des lois contraignantes pour toutes les entreprises et réfléchir au suivi des mesures, pour que ces dernières ne restent pas des paroles en l’air. « Parmi les 120 chefs d’entreprises présents lors de la dernière session, à la question “êtes-vous d’accord pour continuer à nous voir, suivre nos travaux et échanger sur nos progrès, avancées”, 100% ont répondu “oui”. Les engagements pris par les entreprises auront de la valeur car ils sont pris à l’échelle d’un collectif, précise Florent Favier. L’évaluation par les pairs qui auront fait le parcours aura plus de poids que n’importe quel organisme de contrôle. »
Quand on se penche sur les feuilles de routes, quelques surprises émergent. Parmi les entreprises qui ont accepté de rendre leur projet public, on retrouve par exemple le mastodonte Bouygues immobilier qui se targue d’avoir fait « le choix de la sobriété » et identifie comme leviers d’actions l’exploitation de l’existant (réhabilitations, rénovations de bâtiments), la limitation de l’imperméabilisation des sols et le réemploi de matériaux. Malgré son projet de réaménagement de l’île Seguin à Boulogne (Hauts-de-Seine), contesté en justice par des associations (BFMTV) — Autre voie d’action : « être à l’écoute des territoires d’implantation », liste le promoteur immobilier qui compte réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 32% d’ici à 2030.
Autre participant, le groupe Pierre et Vacances Center Parcs — dont un projet à Roybon (Isère) combattu par des écologistes pendant plus d’une décennie avant d’être abandonné en 2020 (Reporterre) — fixe ses buts : « réhabilitation vs construction neuve, […] zéro artificialisation nette, […] stratégie d’autonomie énergétique, […]contribution nette à la biodiversité ordinaire ». Quant au brasseur Heineken, il identifie comme objectif « la réutilisation et le recyclage de l’eau » et le soutien à une agriculture durable.
Si les intentions sont louables, encore faut-il lever certains sérieux freins : convaincre dirigeant·es et collaborateur·rices, trouver le temps et les moyens pour engager les changements, les financer… et accessoirement faire face, avec un rapport qui ne cite le capitalisme qu’en référence à l’ouvrage Regenerative Capitalism de l’économiste John Fullerton, à un modèle économique incompatible avec les limites planétaires.
Présente ce mardi, la paléoclimatologue et co-autrice du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) Valérie Masson-Delmotte a incité son auditoire à accélérer : « Est-ce aux scientifiques de porter la charge mentale sur le climat ? Non, c’est aux décideurs, et plus on a de leviers d’action, plus cette charge doit être forte. Il est critique que les chefs d’entreprise la prennent à bras le corps. C’est une course contre-la-montre ».
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