La quotidienne

Masse carbone

Chères toutes et chers tous,

Voilà une semaine que la rédaction de Vert suit la COP26 depuis Glasgow. Nous espérons que vous prenez autant de plaisir à nous lire que nous à vous concocter ces éditions spéciales chaque jour.

N’hésitez pas à nous faire part de vos envies de sujets et de formats particuliers ou simplement à nous donner votre avis avant d'entamer une deuxième semaine de COP.

Bonne lecture !  


Quand on laisse aux marchés la régulation du carbone, on prend le risque d'en émettre des tonnes. 


Les marchés du carbone empoisonnent les négociations climatiques

Marchés confus. Pour certains, ils sont la clé de voûte de l'action climatique, pour d'autres ils ont le pouvoir de saper complètement l'accord de Paris. Les marchés du carbone sont sans conteste le sujet le plus controversé des négociations climat. Explications.

Signé en décembre 2015 par 195 Parties à la COP21, l'accord de Paris, « est comme une loi dont il manque les décrets d'application », expliquait en octobre l'ambassadeur climat de la France, Stéphane Crouzat, devant le Sénat. COP après COP, les négociateur•rice•s sont parvenu•e•s à s'entendre sur la mise en œuvre de la plupart des 29 articles de l'accord, mais l'article 6 relatif aux « mécanismes de coopération internationale volontaire » résiste à tout consensus.

Concrètement, ce sixième article porte sur la création d'un marché du carbone interétatique (article 6.2) et d’un autre ouvert aux acteurs privés (6.4). Le premier offre la possibilité aux pays les moins ambitieux d'acheter des droits à polluer à ceux qui ont atteint et dépassé leurs objectifs climatiques. Le second permet de générer des crédits carbone via le financement de projets peu émetteurs (énergies renouvelables) voire de captage des émissions (comme la reforestation). 

Le principe des marchés du carbone est né du protocole de Kyoto, signé en 1997. © Pxfuel

Mais « le diable est dans le détail et nous avons identifié ici bien des diablotins », concède l’ambassadeur. Un exemple, parmi d'autres, concerne le double comptage des crédits carbone : parfois, ceux-ci sont comptabilisés à la fois dans le pays qui les génère et dans celui qui les achète. Certains Etats émetteurs de crédits, comme le Brésil, y sont favorables tandis que d'autres s'y opposent formellement, arguant que cela saperait totalement l'efficacité du dispositif. D'autres encore, veulent réutiliser les crédits qu'ils ont accumulés sous le mécanisme de développement propre né du protocole de Kyoto. Or, la surabondance de crédits aurait pour effet de noyer totalement le marché et les prix, selon d'autres.

Le principe même d'une marchandisation du CO2 interroge, voire suscite l'opposition. « Le risque est que des États industrialisés s'achètent à bon prix des droits à polluer sans remettre en cause leur propre fonctionnement », a expliqué à Vert Clara Alibert, chargée de plaidoyer international au Secours Catholique. Les projets financés le sont souvent dans des pays du sud, où cela coûte beaucoup moins cher, avec des risques avérés d'accaparement des terres ou de violation des droits humains. Depuis la COP25 à Madrid, les négociateur•rice•s ont certes introduit dans l'article 6.4 une mention sur le respect des droits humains mais celle-ci n’est pas encore définitivement actée.

Les activistes « Pikachu » devant le Scottish Event Campus, à Glasgow. © Peter Summers / Getty Images via AFP

Attaque éclair ! Jeudi matin, une mobilisation de Pikachus géants appelait le Japon à stopper l’exploitation de mines de charbon sur son sol et à l’étranger. Vêtu·e·s de costumes à l’effigie de la mascotte de l’univers Pokémon, des activistes se sont rassemblé·e·s sur les quais du fleuve Clyde, sur la berge opposée au Scottish Event Campus qui accueille la COP26. Dans la série Pokémon, Pikachu est capable de maîtriser l’électricité. Le Japon est le sixième plus gros consommateur de charbon au monde et a refusé de s’engager dans un plan de sortie du charbon à l’horizon 2030, publié mercredi.

Bad COP. Les pays vulnérables sont en colère après la parution, hier, du rapport annuel de l’ONU sur le déficit d’adaptation au changement climatique (« adaptation gap »). Leurs besoins financiers pour s’adapter aux conséquences du réchauffement sont cinq à dix fois supérieurs aux montants actuellement fournis, révèlent ses auteur•ice•s. Du reste, les estimations grimpent continuellement et se situent désormais dans le haut de la fourchette calculée en 2016, qui était alors de 140-300 milliards de dollars par an d’ici 2030 et 280-500 milliards en 2050. En 2009, les économies développées ont promis de transférer 100 milliards de dollars par an aux pays en développement à partir de 2020 pour financer à la fois l’atténuation de leur impact climatique et l’adaptation à ses effets. « Seulement 20% sont consacrés à l’adaptation et à peine 2% ruissellent jusqu’aux petits États insulaires qui sont les plus en danger », a protesté Eddy Pérez, représentant canadien du Climate Action Network. Selon lui, quitter Glasgow sans avancées sur ce sujet serait « un très mauvais signal ».

Sad COP. La France brille par son absence de la liste des 24 pays et institutions qui se sont engagé•e•s, jeudi, à stopper leurs financements aux projets d’énergies fossiles à l’étranger d’ici fin 2022. De grands investisseurs comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni font partie de l’accord. Le week-end dernier, les États membres du G20 s’étaient déjà entendus sur la fin des subventions accordées aux projets de centrales à charbon à l’étranger. Mais pour la première fois, le plan annoncé à Glasgow inclut aussi le gaz et le pétrole. Lucile Dufour, responsable des politiques énergétiques à l’Institut international du développement durable (IISD), juge cet engagement « historique » et estime que « le gouvernement français rate le coche pour se positionner dans le groupe des pays progressistes ». 

Contre-COP. De larges manifestations de jeunes activistes du mouvement « Fridays for future » sont prévues vendredi dans les rues de Glasgow à l’occasion du « Youth day » de la COP26. De grandes figures du mouvement pour le climat comme la Suédoise Greta Thunberg ou l’Ougandaise Vanessa Nakate prendront la parole après une marche qui devrait réunir des milliers de jeunes. Auprès de la BBC, l’une des organisatrices de l’événement, Anna Brown, explique que l’intérêt d’une telle mobilisation est de décloisonner les négociations : « Nous devons sortir de cet espace clos où les gens ne peuvent pas être impliqués pour aller dans la rue, où ils voient ce qu’il se passe et ont leur mot à dire. »


« Les 1,5 °C ont maintenant l’air atteignables. À l’issue de cette journée, j’ai espoir que les pays s’entendent pour limiter la hausse des températures sous les 1,5 °C. C’est gros et important. »

- Mohamed Nasheed

L’ambassadeur du Climate Vulnerable Forum (qui rassemble 55 pays touchés de manière disproportionnée par les conséquences du réchauffement climatique), Mohamed Nasheed, a été rassuré par les annonces des premiers jours de la COP. Il s’en est ouvert à des journalistes, dont Vert, lors d’une conférence de presse le 2 novembre. Le président de la COP26, Alok Sharma, a eu le même frémissement d’optimisme le 3 novembre mais il l’a exprimé dans un langage propre aux diplomates : « Je suis prudemment optimiste sur le fait que nous faisions des progrès importants sur un large spectre de sujets. »

Si les promesses étaient tenues, la hausse des températures pourrait être contenue à 1,8°C

Langage ment. Les chefs d’État ont fait rêver la COP avec leurs promesses. Il faut désormais qu'ils les respectent « entièrement et dans le temps » pour limiter le chaos climatique, prévient l'Agence internationale de l'énergie.

« 90% des économies mondiales sont désormais dotées d'un objectif de neutralité carbone, contre seulement 30% il y a un an », s'est félicité, mardi, le président de la COP26 Alok Sharma. Les premiers jours de la conférence ont apporté leur lot de belles promesses : l'Inde a annoncé la neutralité carbone en 2070, le Vietnam et l'Australie en 2050, la Russie en 2060. Le Canada a promis de plafonner les émissions de son secteur gazier et pétrolier tandis que la Nouvelle-Zélande réduira ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 50% d'ici 2030. Vert vous a aussi raconté ces États prêts à bouter le charbon hors de leurs frontières (ici), à en finir avec la déforestation () et à réduire drastiquement leurs émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre ().

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) les a pris au pied de la lettre. Elle a calculé que tous ces engagements permettraient de contenir le réchauffement climatique à 1,8°C au-dessus des températures pré-industrielles, à condition d'être « intégralement tenus ». « C'est la première fois que des gouvernements avancent des objectifs suffisamment ambitieux pour rester en deçà des 2°C », a commenté le directeur de l'AIE, Fatih Birol. Mais ce n'est pas encore assez et, du reste, « les ambitions ne comptent pour rien, si elles ne sont pas concrétisées avec succès ».

+ Justine Prados, Loup Espargilière et Juliette Quef ont contribué à ce numéro