Chères toutes et chers tous,
Vous tenez entre les mains une édition spéciale, concoctée par nos soins tout le week-end durant dans l'attente, fiévreuse, que le Giec nous donne le droit de dévoiler le contenu du tome 2 de son dernier rapport.
Nous avons tâché de rendre compréhensibles et faciles d'accès les très nombreux enseignements de ce copieux document de 4 000 pages. Nous espérons que ce travail vous servira et vous permettra de mieux saisir les impacts de la crise climatique sur l'ensemble du vivant et nos capacités d'adaptation.
En dix minutes de lecture, c'est promis, vous saurez tout sur le clicli.
En août dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dévoilait la première partie de son sixième rapport, consacrée à l’état des connaissances scientifiques sur l’évolution physique du climat (notre article), de la période préindustrielle (milieu du 19ème siècle) à 2100 et au-delà. Ce lundi, c’est le second volet, consacré aux conséquences pour les sociétés humaines et les écosystèmes, qui vient de paraître. Tour d'horizon des principales leçons.
Les impacts du changement climatique sont généralisés et, pour certains, irréversibles
Difficile de trouver lecture plus sombre que celle des premiers chapitres de ce tome 2. Comme l’avait déjà indiqué le Giec il y a six mois, le climat s’est réchauffé de 1,1°C en un siècle et demi. Résultat : « L’augmentation des extrêmes météorologiques et climatiques [canicules, sécheresses, pluies torrentielles, cyclones, etc.] a entraîné des impacts irréversibles, alors que des systèmes naturels et humains sont poussés au-delà de leur capacité d’adaptation », indique le second groupe de travail. Dans cet épais document de 4 000 pages, on trouve une description exhaustive des impacts connus du bouleversement du climat.
Parmi les innombrables effets sur le vivant, les auteur·rices notent les lourdes pertes dans les écosystèmes aquatiques (eaux douces), terrestres, côtiers ou marins. Près de la moitié des espèces étudiées ont entamé une migration vers les pôles ou vers les sommets, à la recherche de lieux de vies plus frais (notre article sur les migrations de poissons). On déplore déjà de premières extinctions causées par le réchauffement.
La multiplication et l’intensification des épisodes extrêmes ont fait reculer la sécurité alimentaire des humains et leur accès à l’eau, de quoi miner certains efforts accomplis pour atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies. La moitié de la population mondiale fait déjà face à des pénuries d’eau pendant une partie de l’année, à cause de facteurs climatiques, mais pas seulement.
Le changement climatique a des effets sur la santé physique, liés, par exemple, à la nutrition, à une eau inaccessible ou rendue impropre à la consommation, ou au développement des vecteurs (les moustiques, par exemple) de maladies. Parmi celles-ci, les zoonoses qui, comme le paludisme ou le Covid-19, peuvent passer les barrières des espèces. La santé mentale des humains est également atteinte par la hausse des températures, les traumatismes liés aux épisodes extrêmes, ou la perte de moyens de subsistance ou de culture, comme lorsqu’un ouragan détruit tout ou partie du patrimoine local.
Le rapport relève aussi des dégâts économiques dans les secteurs les plus exposés au climat : agriculture, foresterie, pêche, énergie et tourisme. Les moyens individuels de subsistance sont affectés par des pertes de rendements agricoles, l’altération de la santé et de l’alimentation, la destruction de foyers ou d’infrastructures, ou encore, la perte de propriété et de revenus.
Le climat, les humains et les écosystèmes sont interdépendants
Les menaces que font peser les activités humaines et le bouleversement du climat sur les écosystèmes nous mettent en danger en retour. Comme l’écrivent les auteur·rices de ce tome 2, l’usage « non-durable » des terres et des ressources naturelles, la déforestation, la perte de biodiversité, la pollution, ainsi que l’interaction de tous ces facteurs, nuisent aussi à la capacité des écosystèmes, des sociétés et des individus à s’adapter au changement. La perte des écosystèmes et des services qu’ils rendent a des effets en cascade sur les humains, a fortiori sur les peuples autochtones et les communautés locales qui en dépendent directement.
Hélas, note le rapport, moins de 15% des terres, 21% des écosystèmes d’eau douce et 8% des océans sont protégés à l’échelle du globe. Et dans la plupart de ces aires, le manque de moyens ne permet pas de réduire les dégâts causés par le changement climatique ou d’en accroître la résilience. Or, pour favoriser la sauvegarde du vivant et conserver les services que nous rendent les écosystèmes, entre 30 et 50% des terres et des mers devraient faire l’objet d’une protection « efficace et équitable ».
Il faut limiter le réchauffement à 1,5°C pour que les dégâts restent gérables
Comme l’avait indiqué le premier volet de ce rapport, chaque dixième de degré compte. Les dégâts sont voués à se multiplier alors que s’élève la température moyenne du globe. Il y a une façon positive de voir les choses : les actions à court terme pour contenir le réchauffement sous 1,5°C réduiraient considérablement les pertes et dommages attendus dans les systèmes humains et les écosystèmes, notent les scientifiques. Problème : cet objectif, visé par l’Accord de Paris (signé en 2016 par 195 États du globe), pourrait être dépassé dès 2025, a alerté l’ONU (notre article). Multiplication et intensification des événements extrêmes, allongement des vagues de chaleur, sécheresses, inondations… à +3°C, soit le chemin que nous font prendre les promesses actuelles des États, les conséquences du bouleversement du climat seront autrement plus calamiteuses et l’adaptation toujours plus difficile.
Les impacts dépendent fortement de l’état social et économique des sociétés
Comme le pointe ce rapport, les dégâts causés par la crise climatique ne sont pas directement corrélés à la température ou au nombre d’événements graves ; le niveau de risque dépend largement de la vulnérabilité des sociétés, ainsi que de leur niveau de développement, les inégalités, l’inclusion ou la marginalisation de certains groupes sociaux. « Deux ouragans de même ampleur vont engendrer un nombre de morts et de dégâts matériels fort différents selon qu’ils ont lieu au Bangladesh (l’ouragan Sidr) ou au Myanmar (l’ouragan Nargis) où le régime autoritaire n’a pas prévenu les populations ni organisé leur évacuation », explique à Vert François Gemenne, spécialiste des migrations et co-auteur du rapport.
Toutefois, le réchauffement et les épisodes extrêmes entraînent le déplacement d’un nombre croissant de personnes dans toutes les régions du monde (les petits États insulaires en tête), ce qui, en retour, aggrave leur vulnérabilité à des crises futures. Entre 3,3 et 3,6 milliards d’êtres humains vivent dans des contextes de « forte vulnérabilité » au changement climatique.
Les bonnes solutions incluent nécessairement un développement équitable et juste
Les modèles de développement « non-durables » qui sont à l’œuvre aujourd’hui accroissent l’exposition des écosystèmes et des humains aux aléas climatiques, explique le rapport. Selon Wolfgang Cramer, directeur de recherches du CNRS, ce document souligne une « forte reconnaissance que le modèle économique actuel n’a pas les réponses qu’il faut. Certaines tendances de croissance ne sont pas compatibles avec la transition. On ne peut pas réduire le développement à des questions techniques mais on doit intégrer la dimension de justice et d’équité. »
L’action en faveur d’un développement « résilient » est urgente. Elle est rendue possible « lorsque les gouvernements, la société civile et le secteur privé font des choix de développement inclusifs qui donnent la priorité à la réduction des risques, à l’équité et à la justice », et implique les groupes généralement marginalisés que sont les femmes, la jeunes, les autochtones et les minorités ethniques. Cependant, pour l’heure, les scientifiques interrogé·es manquent d’exemples d’adaptations « transformationnelles » – qui limitent le réchauffement, mettent en œuvre des solutions pour s’y adapter et respectent les objectifs de développement durable.
Nous espérons que cette lecture vous aura permis d'y voir plus clair dans les conclusions de cet important document. Pour aller plus loin, nous vous proposons de réserver votre mercredi soir pour débriefer le rapport et discuter de son contenu avec nos journalistes. Rendez-vous à la Base (31 rue Bichat, Paris 10e) mercredi 2 mars à 19h30.
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+ Anne-Sophie Novel, Mathilde Picard et Juliette Quef ont contribué à ce numéro.