Décryptage

Taxer les superprofits du gaz et du pétrole : qu’est-ce qu’on attend ?

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Faire profit bas. Avec la flambée des cours, les grands groupes énergétiques enregistrent des profits records tandis que des millions d’Européen·nes basculent dans la précarité. Portée par un nombre croissant d’institutions internationales, l’idée de taxer les uns pour aider les autres fait son chemin malgré la mauvaise volonté de certains gouvernements.

Le malheur des uns… La reprise économique post-Covid et les prémices de la guerre en Ukraine ont fait les bonnes affaires des majors pétrogazières en 2021. Profitant de la flambée des cours du gaz et du pétrole, TotalEnergies a ainsi annoncé en février un bénéfice inédit de 14 milliards d’euros pour l’exercice 2021. Idem pour son confrère anglo-néerlandais Shell qui a empoché 18,8 milliards d’euros ou le britannique BP et ses 7,1 milliards. Moins outrancier, le français Engie a tout de même enregistré 3,7 milliards d’euros de bénéfices.

La situation actuelle laisse présager d’autres records pour les énergéticiens puisque les tensions se sont désormais propagées à l’ensemble des cours de l’énergie. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), « les conditions actuelles du marché pourraient conduire à des bénéfices excédentaires allant jusqu’à 200 milliards d’euros dans l’Union Européenne en 2022 ».

Dans le même temps, la hausse inédite des factures d’énergies – +25% en moyenne en 2021 selon Eurostat – a mis en difficulté des millions d’Européens. Selon le Réseau action climat, 80 millions d’entre eux seraient prêt·es à basculer dans la précarité. En France, où la hausse des prix des produits énergétiques a atteint 28% en mai, selon l’Insee, les signaux indiquant une précarisation grandissante de certains foyers se multiplient. D’après les chiffres collectés par le Médiateur national de l’énergie, les interventions pour impayés de factures ont ainsi frôlé les 800 000 en 2021, soit un bond historique de 17%. D’autre part, 25% des consommateur·rices interrogé·es ont déclaré avoir rencontré des difficultés pour payer leurs factures de gaz ou d’électricité en 2021. Elles et ils étaient 18% l’année précédente. Du reste, les centres communaux d’action sociale (CCAS) ont ressenti cette vague de détresse et signalé à l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) une hausse des demandes d’aides au paiement des factures.

La Commission européenne, l’AIE et même l’OCDE (l’organisation de coopération économique des pays développés) ont suggéré aux États européens de mettre en place un prélèvement exceptionnel sur les surprofits des grands groupes d’énergie afin de financer les mesures de soutien aux ménages, et plus généralement la transition énergétique. Jusqu’ici, la plupart des gouvernements font la sourde oreille, à commencer par la France. D’abord seule à passer le pas, l’Italie a été rejointe par la Hongrie puis par le Royaume-Uni. Le gouvernement de Boris Johnson a cédé face à la volonté populaire et annoncé une taxe de 25% sur les bénéfices des producteurs de gaz et de pétrole. Elle pourrait rapporter jusqu’à 5,8 milliards d’euros, directement affectés au budget du programme Cost of living (coût de la vie), un nouveau plan d’aides destiné à compenser l’inflation subie par les ménages modestes.

En France, le gouvernement a indiqué avoir déboursé 30 milliards d’euros dans des mesures à larges spectres (c’est-à-dire non ciblées sur les ménages les plus pauvres), telles que le bouclier sur les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité ou la ristourne de 15 centimes d’euros à la pompe. Les aides aux plus modestes (prime inflation de 100 € et bonification de 100 € du « chèque énergie ») ont cruellement manqué d’efficacité jusqu’ici.

Le gouvernement exclut fermement de taxer les superprofits des entreprises énergétiques, mais a tout de même mis à contribution les acteurs des énergies… décarbonées. Il a ainsi contraint EDF à céder de l’électricité issue du nucléaire à prix cassé aux fournisseurs alternatifs, afin de limiter la hausse des factures. L’énergéticien estime le manque à gagner à huit milliards d’euros. D’autre part, le gouvernement prévoit de récupérer quelques milliards d’euros auprès des producteurs de solaire et d’éolien (Les Échos). Grand prince, TotalEnergies a décidé de son propre chef d’accorder un chèque gaz de 100 euros à 200 000 de ses client·es les plus précaires et une ristourne de dix centimes à la pompe dans ses stations-services situées en zone rurale. Coût estimé de la manœuvre : 50 millions d’euros. Soit un 280ème des bénéfices réalisés en 2021.

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