Reportage

Autoroute A69 : dans le Tarn, des milliers de manifestants mobilisés contre les usines à bitume

Less béton. Entre 1000 et 2000 personnes se sont réunies samedi dans le Tarn pour protester contre la construction de deux centrales à bitume le long du tracé de la future autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Vert y était.
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«Écol­iers déter, A69 à terre !», scan­dent les participant·es regroupé·es devant l’école de Saint-Ger­main-des-Prés, dans le Tarn, avant le début de la man­i­fes­ta­tion. La pluie bat­tante n’a pas découragé les marcheur·ses qui se massent en nom­bre der­rière les tracteurs et les sonos qui crachent un remix de «Résiste» de France Gall. 1 800 per­son­nes ont fait le déplace­ment, d’après les décomptes des organisateur·rices, et 800 selon la pré­fec­ture.

Cette mobil­i­sa­tion s’inscrit dans le cadre d’un appel nation­al du col­lec­tif écol­o­giste les Soulève­ments de la Terre à lut­ter con­tre le monde du béton entre le 9 et le 12 décem­bre.

À cette occa­sion, de nom­breux col­lec­tifs locaux (dont La voie est libre, Laura­gais sans bitume, le Labo des Ter­res, etc) ont décidé de s’opposer à la con­struc­tion de deux usines d’enrobage à chaud sur le tracé de l’A69. Aus­si appelées cen­trales à bitumes, ces infra­struc­tures pro­duisent les enrobés néces­saires à la fab­ri­ca­tion du revête­ment qui sera util­isé pour la future autoroute qui doit reli­er Toulouse à Cas­tres.

A pri­ori instal­lées tem­po­raire­ment (entre douze et dix-huit mois), ces cen­trales inquiè­tent forte­ment les habitant·es des envi­rons en rai­son des risques san­i­taires et envi­ron­nemen­taux. Les fumées rejetées con­ti­en­nent des sub­stances appelées hydro­car­bu­res aro­ma­tiques poly­cy­cliques (HAP), dont le benzo(a)pyrène (BaP) et le ben­zène — des can­cérogènes avérés.

Des écoles à proximité des futures centrales à bitume

«Ces cen­trales nous sont imposées sans démoc­ra­tie aucune, on a l’impression d’avoir affaire à une mafia qui nous a délibéré­ment caché ce pro­jet», déplore Régis Lux, porte-parole du col­lec­tif Laura­gais sans bitume. «L’école de Saint-Ger­main-des-Prés est à un kilo­mètre à peine d’une des deux usines. Pour­tant, cette année, Car­ole Del­ga [la prési­dente de la région Occ­i­tanie, NLDR] a souhaité déplac­er une usine à bitume à Grag­nague qui était à un kilo­mètre d’un lycée. On demande juste un peu de cohérence de la part des élus», réclame-t-il.

40 écoles comp­tant près de 4 300 élèves sont situées à moins de dix kilo­mètres des deux cen­trales, ain­si que plus de 500 exploita­tions agri­coles. Les habitant·es et paysan·nes du coin craig­nent des fumées tox­iques, de fortes odeurs ain­si que la con­t­a­m­i­na­tion à long terme des ter­res, de l’air et de l’eau. «C’est la dou­ble peine pour nous. Après l’autoroute qui est déjà un crève-cœur et qui va couper notre ter­ri­toire en deux, on se retrou­ve avec ces cen­trales qui vont pol­luer les envi­rons», regrette Alexan­dre Lafon, porte-parole de Saint-Ger­main sans bitume, présent à la man­i­fes­ta­tion avec son fils de 14 ans.

Marie, Van­i­na, Céline et Natalia sont venues à la man­i­fes­ta­tion pour témoign­er de leur inquié­tude en tant que par­ents d’élèves d’enfants sco­lar­isés dans les écoles à prox­im­ité des futures cen­trales. © Jus­tine Pra­dos / Vert

C’est un pub­lic très var­ié qui com­pose la marche ce same­di, avec des per­son­nes âgées, des agriculteur·rices, et surtout beau­coup d’enfants et de familles. «Aujourd’hui on est sim­ple­ment des par­ents d’élèves qui se mobilisent pour leurs enfants et pour leur avenir», explique Céline, venue à la marche avec Marie, Van­i­na et Natalia au nom du col­lec­tif RPI sans bitume. «Si vous regardez autour de vous, c’est pas des éco­los, c’est juste des gens d’ici, on est tous con­cernés.»

Une lutte avec «les gens du coin»

«Les habi­tants du coin ne sont pas for­cé­ment des activistes», relève Alexan­dre Lafon. «Les mil­i­tants “tra­di­tion­nels” sont en fer de lance con­tre l’A69 depuis le début, mais là on voit que les citoyens se lèvent aus­si et qu’il y a de plus en plus de défi­ance envers les pou­voirs publics», analyse-t-il. «Les gens com­men­cent à en avoir marre qu’on leur mente», souf­fle Thomas Brail, le cofon­da­teur du Groupe nation­al de sur­veil­lance des arbres (GNSA) qui avait mené une grève de la faim et de la soif con­tre l’A69 au début de l’automne (notre arti­cle).

Plusieurs dizaines de manifestant·es ont revê­tu des com­bi­naisons blanch­es à l’approche du chantier de la cen­trale à bitume de Puy­lau­rens. Un clin d’œil à l’action con­tre la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air (Bouch­es du Rhône) le 10 décem­bre dernier, où des militant·es vêtu·es de blanc avaient «désar­mé» l’usine en com­met­tant de nom­breuses dégra­da­tions.

Seuls quelques pré­fab­riqués et des tas de fraisats — les gra­vats récupérés sur les chaussées et qui sont ensuite fon­dus et recy­clés pour pro­duire le nou­veau bitume — trô­nent sur le site de la future usine d’enrobage. Les manifestant·es les ont grim­pés pour y installer des fumigènes et des ban­deroles con­tre l’A69. En con­tre­bas, un pré­fab­riqué a été incendié.

En haut des tas de fraisats, des manifestant·es ont plan­té des pan­neaux avec les noms des pol­lu­ants qui pour­raient être rejetés par les cen­trales à bitume. © Soulève­ments de la Terre

Au bout d’une ving­taine de min­utes, les militant·es sont reparti·es en direc­tion de Saint-Ger­main-des-Prés alors que les ten­sions gran­dis­saient avec les forces de l’ordre, qui n’ont pas hésité à gaz­er l’ensemble du cortège (enfants com­pris). Aucun blessé n’est toute­fois à déplor­er et la marche s’est con­clue sous la pluie et la bonne humeur.

«Ça fait plus de trente ans qu’on par­le de cette autoroute et qu’on se mobilise con­tre elle», rap­pelle Sabine, habi­tante de Vil­leneuve-Lès-Lavaur, où s’implantera la deux­ième cen­trale à bitume. «Ils ne veu­lent pas lâch­er, et bien on ne lâchera rien non plus», promet la retraitée.

Pho­to d’illustration : © Soulève­ments de la Terre