Reportage

«Si on ne fait rien, il n’y aura presque plus de café en 2060» : le café de demain s’invente aujourd’hui dans les hauts plateaux du Vietnam

Effort de café. Face au dérèglement climatique, la culture de café telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui pourrait disparaître d’ici à 2060, voire 2050, selon les spécialistes. Des recherches pour créer de nouvelles variétés plus résilientes sont en cours au Vietnam, deuxième producteur de café dans le monde. Vert s’est rendu sur place.
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Sous des serres humides et étouffantes, des petits plants de café balafrés au niveau de leur tige cicatrisent sous la supervision d’une équipe d’agronomes. Nous sommes à Bao Loc, dans les hauts plateaux du centre du Vietnam. Soignés par un simple bout de film alimentaire, ces plants récemment greffés sont en réalité un condensé d’espoir pour le café de demain.

Bienvenue dans les locaux d’Acom, la filière locale d’Ecom, l’un des plus gros négociants de café au monde. L’entreprise est partenaire du programme de recherche Bolero, financé par l’Union européenne (UE) à hauteur de près de huit millions d’euros. Depuis 2022 et pour quatre ans, les 18 partenaires publics et privés de toute la filière étudient les plants de café dans quatre pays, dans le but de créer des variétés plus résilientes au réchauffement climatique. Cela passe notamment par des greffes sur des espèces plus résistantes à la chaleur : c’est ce qui se joue à Bao Loc.

Les mini greffes se font sur des tiges juvéniles de deux centimètres, plutôt que sur celles de 25 centimètres, car la soudure faite précocement prend mieux et évite 20% de perte. © Camille Philippe/Vert

Alors que nous n’avons jamais autant consommé de café à l’échelle mondiale, la pérennité de sa production est désormais remise en question. D’un côté, les températures moyennes sont amenées à augmenter avec le changement climatique et affectent directement les cultures. L’arabica, principalement consommé sur les marchés occidentaux, supporte ainsi des températures moyennes de 19 degrés. Au contraire de son cousin le robusta – 23 degrés supportés en moyenne – davantage consommé en Asie, et dont le Vietnam est le premier producteur mondial. L’arabica est donc particulièrement sensible à la hausse des températures et ne pourra pas résister dans une grande partie des zones de cultures traditionnelles. Mais le remplacer par le robusta – lui aussi mis en danger par le réchauffement climatique, dans une moindre mesure – n’est pas une solution : son goût est bien trop amer et terreux pour le marché occidental qui porte la demande.

219,1 milliards d’euros d’échanges sur les marchés mondiaux

De l’autre côté, les catastrophes naturelles sont amenées à croître, à l’instar des sécheresses et des pluies abondantes touchant directement les cultures. Ces derniers éléments ont particulièrement touché les deux premiers producteurs mondiaux de café dans le monde ces dernières années, le Brésil et le Vietnam, faisant exploser les tarifs. En Europe, des mélanges entre arabica et robusta sont déjà proposés depuis quelques années pour réduire les coûts, c’est notamment le cas pour l’italien Illy ou le français Café Richard qui fournit les comptoirs de l’Hexagone.

Les caféiers adultes ont besoin de fraîcheur, c’est pourquoi des avocatiers et manguiers (des arbres plus grands) sont plantés dans les cultures pour leur faire de l’ombre. © Camille Philippe/Vert

Il faut dire que l’enjeu est énorme. En 2024, le secteur du café représentait 219,1 milliards d’euros d’échanges sur les marchés mondiaux, portés par des importations d’arabica vers les États-Unis, le Japon ou encore l’Europe. En novembre dernier, la livre d’arabica se vendait sur les marchés à New York à 320,10 euros, soit environ 3,20 euros pour les 45 grammes. Un record depuis 1977. Et la demande ne cesse de croître dans les pays d’Asie (+12% en Chine l’an dernier), où boire un café n’est plus un luxe, mais le signe d’un mode de vie moderne.

«Si on ne fait rien, il n’y aura presque plus de café en 2060. Certains experts parlent même de 2050, même si cela concerne en particulier l’arabica», résume Hervé Étienne, directeur de recherche au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), spécialisé en biotechnologie du caféier et coordinateur français du programme Bolero. Penser le café de demain est donc une priorité d’aujourd’hui car «créer une nouvelle variété de façon traditionnelle peut prendre entre 30 et 35 ans. Il faut explorer la diversité génétique des espèces sauvages pour trouver des solutions pour l’avenir et des voies alternatives de reproduction plus rapides pour renouveler le verger avec des variétés plus résilientes».

Bientôt des racines importées du Nicaragua

Le greffage est l’une de ces voies envisagées. «Nous greffons sur un système racinaire de robusta ou de liberica, plus résistants, avec la partie aérienne d’un caféier de type arabica dont les sous-variétés ont été sélectionnées par les torréfacteurs depuis des siècles», explique Nguyen Trung Thanh, pépiniériste de 40 ans sur la plantation d’Acom, pointant du doigt une série de greffes faites récemment. On retrouve aussi des greffes de plants aériens d’arabica sur des racines de robusta, du robusta sur du liberia, et même des sous-variétés de robusta sur robusta, et d’arabica sur arabica.

Les industriels partenaires du projet Bolero sont garants de la qualité du café in fine. Les grains sont envoyés en Europe pour être goûtés. © Camille Philippe/Vert

Le liberia est une variété de café très résistante, mais «impossible à boire si on le consomme tel quel, à cause de son goût», souligne Hervé Étienne, du Cirad. Et les partenaires industriels du projet Bolero sont garants de la qualité du café in fine. Les grains sont envoyés en Europe pour être goûtés.

D’autres systèmes racinaires d’eugenoide et de racemosa, aux performances reconnues, doivent être importés du Nicaragua pour être greffés sur des plants de café vietnamien d’ici à la fin d’année. Et si les greffes prennent, l’enjeu sera l’adoption de ces nouvelles variétés par les agriculteur·ices de la région, et la certification de ces nouveaux plants pour une mise sur le marché. «Notre objectif, c’est qu’il n’y ait plus à irriguer, rappelle Hervé Étienne. On rêve de pouvoir créer une partie racinaire plus profonde et plus ramifiée, qui permettra de mieux résister à la sécheresse.»

Pourtant, certain·es agriculteur·ices se sont essayé·es au greffage depuis une dizaine d’années. «Mais sans savoir vraiment si ça marchait ou pourquoi, rappelle sous un polo vert Thuan Sarzynski, responsable du développement durable sur le site d’Acom, et auteur d’une thèse sur l’adaptation du café au changement climatique au Vietnam. C’est ce qu’on essaye de comprendre avec le programme Bolero.»

Un système monétaire hérité de la colonisation

Dans les hauts plateaux vietnamiens, les plants greffés pourraient être source d’une meilleure productivité pour les fermiers : «On peut espérer une hausse entre 12 et 14%, souligne Aske Skovmand Bosselmann, professeur associé à l’université de Copenhague (Danemark). C’est important car, en réalité, on a besoin de moins de producteurs, mais qui font un café de meilleure qualité.» Il souligne ainsi l’importance de réduire l’utilisation d’engrais chimiques, très utilisés dans les plantations – la filière du bio est peu développée au Vietnam.

Une grande quantité d’engrais est utilisée au Vietnam. Ici, une bassine où de l’eau et des fertilisants sont mélangés, avant d’être épandus environ toutes les trois semaines. © Camille Philippe/Vert

En plus du greffage, Bolero s’attache à étudier le système racinaire des plantes et à privilégier l’agroforesterie. Les chercheur·ses regardent aussi les sols et en particulier le microbiome – l’ensemble des organismes autour de la racine – dans lequel poussent les plantes, une partie encore inconnue aujourd’hui, et qui pourrait être déterminante pour mieux adapter le caféier au sol local et favoriser le rendement.

Comment expliquer que les recherches pour penser un café résilient ne soient faites que maintenant ? «Pendant des décennies, la filière du café se portait très bien avec une production qui dépassait la demande, explique Hervé Étienne, du Cirad. L’industrie a très peu investi dans la recherche sur le café, sauf peut-être Nestlé. Ça commence à peine.» Et Aske Skovmand Bosselmann d’abonder : «Les pays producteurs de café sont d’anciennes colonies qui, malgré leur indépendance, ont hérité d’un système de commerce et de négociation mondial fait par des pays consommateurs et acheteurs qui sont globalement ceux des pays riches. C’est ce qui explique en partie le problème que nous avons aujourd’hui avec la pérennité du café. On n’a pas aidé les fermiers à développer leur agriculture.»

Pour l’heure, la hausse des tarifs sur les marchés mondiaux apporte une meilleure qualité de vie aux producteur·ices. Certain·es ont pu s’acheter une voiture, ce qui était encore inenvisageable il y a quelques années.

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