Reportage

Salon de la Greentech : à la rencontre de ces entrepreneurs qui «innovent» pour le climat

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En tech de solu­tions. Ce mar­di s’est ouvert le salon Meet’up Green­tech à la Sta­tion F (Paris), le ren­dez-vous des start-up et des petites et moyennes entre­pris­es «au ser­vice du cli­mat». Reportage.

A l’intérieur de l’immense Halle Freyssinet près de la gare d’Austerlitz à Paris, rachetée par l’entrepreneur Xavier Niel en 2013, les exposant·es s’affairent. Bien­v­enue à Sta­tion F, dans le «vais­seau ami­ral de la tech» qui réu­nit depuis mar­di les entre­pris­es des nou­velles tech­nolo­gies «vertes» — la Green­tech.

«L’innovation est l’une des clés pour relever le défi cli­ma­tique», s’enthousiasme le min­istre délégué au numérique, Jean-Noël Bar­rot, en ouver­ture du salon. Il se félicite de la «voca­tion entre­pre­neuri­ale» de la France, assise depuis dix ans par l’écosystème de start-up de la French Tech, et qu’il veut main­tenant ori­en­ter vers l’urgence écologique. Et d’énoncer ses pre­miers suc­cès: avec 2,5 mil­liards d’euros lev­és en 2022 (sur 13,5 mil­liards d’euros au total en France), l’écosystème tri­col­ore de la Green­tech est en tête des pays européens. Le min­istre l’assure: que ce soient pour les finance­ments, l’accompagnement ou les clients, le gou­verne­ment met le paquet sur les start-up et les PME green, «au ser­vice de la France et du cli­mat». Amen.

Au Salon de la Greentech, mardi 7 novembre à la Station F, à Paris © Juliette Quef / Vert

Remorques de batteries électriques et dirigeable autonome à hydrogène

Dans le gigan­tesque hall de ce tem­ple de la start-up nation, les noms des papes de la tech décorent les bal­cons: Google for star­tups, Tik tok for busi­ness, OVH cloud, Qon­to, etc. Lau­réates du label «Green­tech inno­va­tion», délivré par le lab­o­ra­toire d’in­no­va­tion des min­istères des tran­si­tions écologique et énergé­tique (Eco­lab), une cinquan­taine d’entreprises tien­nent salon.

On croise Your­ban qui réalise «des diag­nos­tics et des plans d’action pour aider les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales à trans­former les zones com­mer­ciales au plus près des besoins des habi­tants», racon­te sa cofon­da­trice Amélie Jariel. Et EP Ten­der qui veut com­mer­cialis­er des remorques-recharges de bat­ter­ies élec­triques pour éviter de sur­di­men­sion­ner les moteurs des voitures.

En lev­ant les yeux, on tombe sur un énorme engin tapis­sé d’un slo­gan mobil­isa­teur: «Ensem­ble, on peut résoudre le change­ment cli­ma­tique». C’est le dirige­able autonome à hydrogène de la start-up Hylight qui ambi­tionne de «rem­plac­er les héli­cop­tères qui sur­veil­lent les lignes élec­triques chaque année et émet­tent 1 tonne de CO2 par heure ou les pipelines véri­fiés toutes les deux semaines pour y détecter les fuites de méthane», détaille son CEO Mar­tin Bock­er.

La Start-up Elixir se vante de réduire de 70% les émissions de gaz à effet de serre des avions utilisés par les pilotes en formation avec une aile «deux fois plus légère» mais insiste : «il faut que les gens raisonnent leur utilisation des transports». © Juliette Quef / Vert

22 000 ren­dez-vous d’affaire ont été pro­gram­més sur ces deux jours — un record. Ici, les start-up sont venues pour «pitch­er» devant des investis­seurs, et trou­ver des clients, comme les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, l’État ou des grandes entre­pris­es. L’Agence de la tran­si­tion écolo­gie (Ademe), la Banque publique d’investissement (BpiFrance) ou le pro­gramme Hori­zon de la Com­mis­sion européenne expliquent patiem­ment à tous·tes les entrepreneur·ses en herbe les finance­ments aux­quels chacun·e peut pré­ten­dre.

Dans un coin, deux par­tic­i­pants s’agitent sur les manettes d’une fausse-vieille con­sole de Street Fight­er — l’un des plus pop­u­laires jeux vidéo de com­bat ; pen­dant que des plantes potagères rachi­tiques poussent sous des lumières à UV dans une boîte bap­tisée «Urban cui­sine».

«La tech n’est pas une fin en soi»

Si les solu­tions présen­tées au selon inclu­ent toutes une dimen­sion tech­nologique, la plu­part des participant·es insis­tent aus­si sur ses lim­ites. Pour l’ingénieure-agronome Elodie Gri­moin, la tech «n’est pas une fin en soi, elle est au ser­vice du végé­tal». Elle a créé Urban Canopée, qui installe des struc­tures végé­tales de 40 m² en forme de corolle pour «rafraîchir les villes avec un min­inum d’emprise au sol».

Même son de cloche du côté de la coopéra­tive Com­mown, qui pro­pose de l’«électronique sobre». «L’innovation n’est pas un but en soi, souligne son respon­s­able Grands comptes Philippe Arradon. C’est sou­vent con­traire à la dura­bil­ité. Si c’est une excuse pour chang­er de matériel, il faut la frein­er. Mais si c’est pour avoir des bat­ter­ies qui durent 10 ans, oui il faut de l’innovation.» Ou de Cool roof qui vend des pein­tures réfléchissantes à base de coquilles d’huîtres, «la solu­tion low tech la plus sim­ple à met­tre en oeu­vre pour faire baiss­er la tem­péra­ture de 6 à 7°C sur les toits», explique son cofon­da­teur François Has­coet.

Dans ce monde «en tran­si­tion», chacun·e tente de trou­ver sa place dans une démarche prag­ma­tique. Ver­a­grow pro­duit des «bios­tim­u­lants» avec les sécré­tions de 25 mil­lions de vers de terre élevés en Nor­mandie, pour «aider la plante à mieux capter les nutri­ments et à résis­ter au stress hydrique», développe son fon­da­teur Theo Saint-Mar­tin. Un pro­duit liq­uide qui s’adapte aux épan­deurs et peut même venir «en com­plé­ment des fer­til­isants con­ven­tion­nels». Une solu­tion pour régénér­er les sols sans remet­tre en ques­tion la mono­cul­ture indus­trielle? «On apporte une brique mod­este», recon­naît l’entrepreneur qui l’affirme: «avec des pro­duits naturels, on arrive à faire mieux que le con­ven­tion­nel».

«On ne pense pas que la tech­nolo­gie est la solu­tion à tout. Il y a des enjeux de sobriété, d’énergie, de ressources. Mais on a besoin de la sci­ence et d’avoir un impact plus fort», assure Thomas Cot­tinet, directeur d’Ecolab, qui iden­ti­fie les start-up et les PME «dont on estime qu’elles représen­tent de vraies solu­tions, en évi­tant le green­wash­ing».

Directeur de l’AREP, une agence d’ingénierie et de con­seil, Philippe Bihouix relève auprès de Vert «qu’il y a de la sincérité dans beau­coup de solu­tions pro­posées, une vraie prise de con­science sur le puis­sant et incon­tourn­able levi­er que représente la sobriété et sur la néces­sité de faire preuve de ‘’tech­no-dis­cerne­ment’’».

En revanche, pour lui: «Le sou­tien pub­lic à l’innovation ‘’durable’’ ne peut être qu’une (petite) par­tie de l’action publique au ser­vice de la tran­si­tion, qui doit accom­pa­g­n­er le gros de l’effort : faire bouger les règles du jeu nor­ma­tives et régle­men­taires (définir ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas ; met­tre en œuvre des mécan­ismes de pro­tec­tion des pro­duc­teurs locaux soumis à la con­cur­rence inter­na­tionale ; etc.), fis­cales (pren­dre en compte des exter­nal­ités envi­ron­nemen­tales, arbitrer/rééquilibrer entre le prix/coût des ressources et prix/coût du tra­vail humain…), pre­scrip­tives (utilis­er la force de frappe des achats publics pour dévelop­per de fil­ières locales et durables…) pour faire advenir une économie respectueuse de l’environnement et des lim­ites plané­taires. Et là on en est encore très, très loin…»